Cour de justice de l’Union européenne, le 3 décembre 2020, n°C-72/19

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 3 décembre 2020, une décision majeure concernant le régime des mesures restrictives individuelles. Le litige porte sur l’obligation incombant à l’institution compétente de vérifier le respect des droits fondamentaux lors du gel d’avoirs de ressortissants étrangers. Les requérants, membres de la famille d’un ancien dirigeant, virent leurs ressources bloquées en raison de soupçons de détournement de fonds publics nationaux.

Le Tribunal de l’Union européenne, par des décisions du 22 novembre 2018 et du 12 décembre 2018, a initialement validé ces mesures restrictives. Les juges de première instance estimaient que les informations transmises par l’État tiers constituaient une base suffisante pour justifier le maintien du gel. Un pourvoi fut alors formé devant la Cour de justice afin de dénoncer l’absence de contrôle réel sur la régularité des procédures pénales étrangères.

La question de droit soulevée concerne l’étendue de l’obligation de vérification pesant sur l’institution avant de se fonder sur une décision étrangère. Il s’agit de savoir si l’autorité de l’Union doit examiner l’effectivité des droits de la défense et de la protection juridictionnelle dans l’État tiers. La Cour affirme que le juge doit s’assurer que la décision « repose sur une base factuelle suffisamment solide » pour garantir la légalité des actes.

L’analyse de cette solution impose d’étudier l’exigence d’une base factuelle solide avant d’envisager le renforcement de la protection juridictionnelle des personnes visées.

I. L’exigence impérative d’une base factuelle suffisamment solide

A. La responsabilité institutionnelle de vérification de l’autorité européenne

La Cour rappelle que toute décision d’inscription sur une liste de mesures restrictives doit s’appuyer sur des éléments concrets et vérifiables par le juge. L’institution ne peut se contenter d’invoquer des poursuites sans s’assurer que celles-ci respectent les principes fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union. Elle doit « vérifier lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés » par l’autorité nationale.

Cette exigence vise à protéger les individus contre des mesures arbitraires fondées sur des procédures potentiellement viciées ou politiquement motivées à l’étranger. Le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union et s’impose donc à toutes les décisions de ses organes.

B. L’insuffisance des simples assurances administratives de l’État tiers

L’institution s’était appuyée sur des memoranda émanant des autorités du pays d’origine pour justifier le maintien prolongé des sanctions économiques contre les requérants. Ces documents administratifs affirmaient le respect des garanties procédurales mais ne faisaient l’objet d’aucun examen critique de la part des services européens. La Cour souligne que la « simple référence par [l’institution] à des lettres et à un mémorandum » est insuffisante pour fonder légalement une décision.

Une telle approche reviendrait à déléguer le contrôle de la légalité des actes de l’Union aux seules autorités d’un État non membre de l’organisation. L’absence de vérification autonome constitue une défaillance grave dans l’exercice des compétences attribuées à l’autorité européenne pour la mise en œuvre des sanctions.

II. La consécration d’une protection juridictionnelle effective

A. Le rétablissement d’une charge de la preuve équilibrée

Le Tribunal de l’Union européenne avait imposé aux requérants de prouver que leur situation était affectée par des dysfonctionnements du système judiciaire de l’État tiers. Cette interprétation inversait la charge de la preuve en exigeant des individus une démonstration négative complexe sur l’absence de bien-fondé des motifs retenus. La Cour rectifie cette position en précisant que « c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs ».

L’institution doit fournir les preuves matérielles démontrant la régularité des poursuites pénales étrangères sur lesquelles elle entend asseoir ses propres mesures de gel. Ce principe garantit l’égalité des armes entre l’administration européenne et les personnes dont les avoirs sont bloqués par des décisions individuelles lourdes.

B. La portée de l’annulation des mesures de gel

L’arrêt sanctionne l’erreur de droit commise en première instance et procède à l’annulation des actes litigieux pour autant qu’ils concernent les requérants. Cette décision prive de base légale le maintien du gel des fonds faute pour l’institution d’avoir exercé son pouvoir de contrôle sur l’État tiers. Les mesures restrictives, bien que nécessaires à la lutte contre la corruption, ne sauraient s’affranchir des standards de protection juridique minimaux de l’Union.

Les juges européens s’affirment ainsi comme les ultimes remparts contre l’extension de procédures pénales étrangères non conformes aux valeurs fondamentales de la démocratie. Cette jurisprudence renforce la légitimité des sanctions internationales en les soumettant à un contrôle juridictionnel rigoureux et indépendant.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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