Cour de justice de l’Union européenne, le 3 février 2011, n°C-359/09

Par un arrêt du 3 février 2011, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une demande de décision préjudicielle par une juridiction hongroise, a précisé les modalités d’accès à la profession d’avocat dans un État membre d’accueil pour un ressortissant de l’Union déjà qualifié dans son État membre d’origine. En l’espèce, un ressortissant allemand, habilité à exercer la profession d’avocat en Allemagne sous le titre de « Rechtsanwalt », s’était établi en Hongrie. Après avoir été inscrit sur la liste des juristes européens lui permettant de pratiquer sous son titre d’origine, il a souhaité pouvoir utiliser le titre professionnel hongrois d’« ügyvéd » sans pour autant être membre de l’ordre des avocats local. Face au refus qui lui a été opposé par les juridictions nationales, une question préjudicielle a été posée afin de déterminer l’articulation des directives européennes régissant la matière et la légalité de l’obligation d’affiliation à un ordre professionnel. La juridiction de renvoi cherchait à savoir si les directives 89/48/CEE, relative à la reconnaissance des diplômes, et 98/5/CE, spécifique à la profession d’avocat, s’opposaient à une réglementation nationale subordonnant l’usage du titre professionnel de l’État d’accueil à une inscription à l’ordre des avocats de cet État. Il s’agissait également de clarifier si la directive 98/5/CE constituait une *lex specialis* excluant l’application du régime général de la directive 89/48/CEE. La Cour de justice a jugé que les deux directives instauraient des voies d’accès complémentaires et non exclusives, et qu’elles ne faisaient pas obstacle à l’exigence nationale d’inscription à un ordre professionnel pour exercer sous le titre de l’État d’accueil.

La solution de la Cour clarifie ainsi l’interaction entre les différents instruments de l’Union visant à assurer la libre circulation des avocats, en consacrant la dualité des voies d’accès à la profession dans un État membre d’accueil (I). Parallèlement, elle réaffirme la légitimité pour les États membres de soumettre l’exercice de la profession à des règles nationales d’organisation justifiées par l’intérêt général, telle l’appartenance à un ordre (II).

I. La consécration de voies d’accès complémentaires à la profession d’avocat

La Cour de justice établit que les directives 89/48/CEE et 98/5/CE ne s’excluent pas mutuellement, mais organisent au contraire une coexistence de deux mécanismes distincts d’intégration (A), ce qui a pour effet de préserver la liberté de choix du professionnel migrant (B).

A. La coexistence de deux mécanismes d’intégration distincts

La Cour prend soin de distinguer les deux régimes en présence. La directive 89/48/CEE instaure un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur, permettant à un ressortissant de l’Union de faire reconnaître ses qualifications dans un État membre d’accueil pour y accéder à une profession réglementée dans les mêmes conditions que les nationaux, sous réserve d’éventuelles mesures de compensation comme une épreuve d’aptitude ou un stage d’adaptation. La directive 98/5/CE, quant à elle, est spécifique à la profession d’avocat et vise à faciliter son exercice permanent dans un autre État membre. Elle permet notamment à l’avocat d’exercer sous son titre professionnel d’origine, et prévoit une voie d’intégration simplifiée pour obtenir le titre de l’État d’accueil après une période d’activité effective et régulière de trois ans sur ce territoire.

Loin de voir dans ce second texte une loi spéciale dérogeant au régime général, la Cour conclut à leur complémentarité. Elle s’appuie notamment sur le libellé de l’article 10, paragraphe 2, de la directive 98/5/CE, qui dispose expressément que « l’avocat exerçant sous son titre professionnel d’origine dans un État membre d’accueil peut, à tout moment, demander la reconnaissance de son diplôme selon la directive 89/48 ». Cette disposition démontre sans équivoque que le mécanisme d’intégration progressive prévu par la directive 98/5/CE n’est qu’une faculté, qui ne prive pas l’avocat de la possibilité de solliciter immédiatement la reconnaissance de ses qualifications via le système général.

B. La préservation de la liberté de choix du professionnel migrant

En affirmant que les deux directives se complètent, la Cour garantit au professionnel migrant une flexibilité essentielle à l’effectivité de sa liberté d’établissement. Le choix entre les deux voies lui appartient et dépend de sa situation et de sa stratégie d’intégration. Un avocat nouvellement arrivé dans un État membre n’est pas contraint d’attendre l’écoulement du délai de trois ans d’exercice pour prétendre au titre local. Il peut, s’il le souhaite, opter d’emblée pour la voie de la directive 89/48/CEE en se soumettant à une épreuve d’aptitude, ce qui peut représenter une voie d’accès plus rapide à une intégration complète. À l’inverse, un autre avocat pourra préférer une intégration plus progressive en commençant par exercer sous son titre d’origine, avant de bénéficier de l’assimilation après trois ans d’activité.

Cette dualité des voies d’accès est synthétisée par la formule retenue dans le dispositif de l’arrêt, selon laquelle les directives « se complètent en instaurant pour les avocats des États membres deux voies d’accès à la profession d’avocat dans un État membre d’accueil sous le titre professionnel de ce dernier ». La solution assure ainsi le plein effet utile des deux instruments, en les articulant comme deux options alternatives au service de la mobilité des professionnels du droit au sein du marché intérieur.

II. La légitime subordination de l’exercice professionnel aux règles de l’État d’accueil

La Cour rappelle que la reconnaissance des qualifications n’exonère pas l’avocat du respect des règles nationales régissant l’exercice de la profession, ce qui valide le principe de l’affiliation obligatoire à un ordre professionnel (A), cette exigence étant justifiée par des motifs d’intérêt général liés à la protection des justiciables et à la bonne administration de la justice (B).

A. La validation du principe de l’affiliation obligatoire à un ordre

La Cour énonce clairement que ni la directive de 1989 ni celle de 1998 ne font obstacle à une réglementation nationale qui impose l’inscription à un ordre professionnel. Elle juge que « ni la directive 89/48/CEE […], ni la directive 98/5/CE […] ne s’opposent à une réglementation nationale instituant, pour exercer l’activité d’avocat sous le titre d’avocat de l’État membre d’accueil, l’obligation d’être membre d’une entité telle qu’un ordre des avocats ». Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante depuis l’arrêt *Gebhard*, qui admet que des mesures nationales restreignant les libertés fondamentales peuvent être justifiées si elles répondent à des raisons impérieuses d’intérêt général et sont appliquées de manière non discriminatoire et proportionnée.

En l’espèce, l’obligation d’être membre d’un ordre est une condition d’exercice de la profession qui s’applique tant aux nationaux qu’aux ressortissants d’autres États membres souhaitant s’intégrer. Les directives sur la reconnaissance des qualifications visent à faciliter l’accès à la profession, mais non à modifier les règles d’organisation de celle-ci dans l’État d’accueil. Un avocat ayant obtenu la reconnaissance de son diplôme doit donc se conformer aux mêmes conditions d’exercice que ses confrères nationaux, y compris l’inscription au tableau de l’ordre.

B. La justification de l’affiliation par la garantie de l’intérêt général

La Cour justifie cette solution par la finalité des règles professionnelles nationales. L’obligation d’affiliation à un ordre professionnel est une garantie pour le justiciable et pour la bonne administration de la justice. Elle assure que tout avocat exerçant sous le titre de l’État d’accueil, quelle que soit son origine, est soumis aux mêmes règles déontologiques, au même contrôle disciplinaire et à la même responsabilité professionnelle. Les directives elles-mêmes anticipent cette nécessité, le dixième considérant de la directive 89/48/CEE et l’article 6 de la directive 98/5/CE rappelant que le professionnel migrant est soumis aux règles de l’État membre d’accueil.

L’affiliation à un ordre professionnel constitue le moyen par lequel l’État membre s’assure du respect de ces obligations. Il ne s’agit donc pas d’une barrière protectionniste, mais d’une modalité d’organisation justifiée par des objectifs d’intérêt général. La Cour prend toutefois soin de rappeler, en s’adressant à la juridiction de renvoi, qu’il appartient à celle-ci de vérifier que l’application concrète de ces règles se fait dans le respect du droit de l’Union, notamment du principe de non-discrimination. L’obligation d’adhésion est donc licite, à condition que ses modalités ne créent pas d’obstacles déguisés ou disproportionnés pour les avocats venant d’autres États membres.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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