La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 3 février 2015, une décision fondamentale concernant la liberté d’établissement. Ce recours en manquement porte sur les conditions d’imputation des pertes subies par des filiales non-résidentes au sein d’un groupe fiscal. L’État membre défendeur autorisait initialement la compensation des résultats uniquement entre entités résidentes sur son territoire national. À la suite d’une condamnation antérieure, la législation a été modifiée pour instaurer un mécanisme de dégrèvement transfrontalier sous conditions. Le texte prévoit que l’impossibilité de prise en compte des pertes soit évaluée immédiatement après la clôture de l’exercice fiscal. L’institution requérante estime que ces modalités rendent l’obtention du dégrèvement pratiquement impossible pour les sociétés mères. Le problème juridique réside dans la conformité de cette exigence temporelle au regard du principe de proportionnalité. La juridiction rejette le recours en validant la précision des critères d’appréciation et en soulignant l’absence de preuve de manquement. Le raisonnement s’articule autour de la validation des conditions d’appréciation des pertes avant d’écarter les griefs liés à l’application temporelle du régime.
I. La conformité des modalités d’appréciation du caractère définitif des pertes
A. La justification de l’entrave à la liberté d’établissement
La Cour de justice précise que le mécanisme de dégrèvement de groupe « constitue un avantage fiscal pour les sociétés concernées ». Une différence de traitement entre filiales résidentes et non-résidentes peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Ces motifs incluent la nécessaire répartition du pouvoir d’imposition entre les États et la prévention du risque d’évasion fiscale. La restriction constatée doit néanmoins respecter le principe de proportionnalité pour être jugée compatible avec le droit de l’Union.
B. Le respect du principe de proportionnalité dans l’évaluation des pertes
L’institution requérante contestait l’obligation d’apprécier la situation « par référence à la situation telle qu’elle se présente immédiatement après la fin » de l’exercice. Les juges soulignent que ce texte « n’impose, en tout état de cause, aucune exigence relative à une mise en liquidation » préalable. Le caractère définitif des pertes est établi si l’entité a cessé ses activités et cédé ses actifs productifs de revenus. La disposition litigieuse ne va donc pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.
II. Le rejet des griefs portant sur l’application temporelle du dégrèvement
A. La sécurité juridique assurée par l’interprétation prétorienne nationale
La validité des critères d’évaluation des pertes permet d’aborder la question de l’application de ce dispositif dans le temps. Un grief portait sur l’exclusion des pertes subies avant le premier avril 2006 du bénéfice du dégrèvement de groupe transfrontalier. L’État membre défendeur affirmait que le régime antérieur était appliqué conformément aux traités grâce à une interprétation jurisprudentielle nationale. Cette position s’appuyait sur une décision rendue par la juridiction suprême du territoire concerné en mai 2013.
B. L’absence de preuve d’une pratique administrative restrictive
La juridiction relève que l’institution requérante n’a pas démontré l’existence de cas concrets de refus de dégrèvement pour cette période. Elle « n’a pas établi l’existence de situations dans lesquelles le dégrèvement » n’a pas été accordé par l’administration fiscale. Faute de preuve d’une pratique contraire au droit de l’Union, le grief relatif à l’application dans le temps est écarté. La Cour confirme ainsi la régularité du système national tel qu’il est interprété par les juges internes.