Par un arrêt en date du 3 juillet 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la question de la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée grevant des frais de gestion liés à des investissements financés par des dons. En l’espèce, un établissement d’enseignement à but non lucratif exerçait à la fois une activité principale d’enseignement exonérée de taxe et des activités économiques soumises à la taxe. Pour financer l’ensemble de ses activités, cet établissement avait recours aux revenus générés par le placement de dons et de dotations au sein d’un fonds d’investissement géré par un tiers. L’établissement a sollicité auprès de l’administration fiscale la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée sur les commissions de gestion de ce fonds. L’administration fiscale a rejeté cette demande au motif que les frais en cause étaient exclusivement imputables à une activité d’investissement non soumise à la taxe et ne constituaient donc pas un élément du prix des opérations taxées en aval. Saisi du litige, le First-tier Tribunal puis l’Upper Tribunal ont donné raison à l’établissement, considérant que ces frais constituaient des frais généraux de son activité économique. L’administration fiscale a alors formé un recours devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), laquelle a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si un assujetti qui exerce des activités économiques taxées et exonérées peut déduire, au titre de ses frais généraux, la taxe en amont afférente aux coûts de gestion d’un portefeuille d’investissements, lorsque cette activité de placement est elle-même hors du champ de la taxe et que les revenus qui en sont issus financent l’ensemble de l’activité de l’assujetti. La Cour a répondu par la négative, jugeant qu’un tel droit à déduction n’est pas ouvert car l’activité de placement constitue le prolongement d’une activité non économique et que les frais y afférents ne présentent pas de lien direct et immédiat avec l’ensemble de l’activité économique de l’assujetti.
La solution retenue par la Cour de justice repose sur une application rigoureuse des conditions d’ouverture du droit à déduction, ce qui la conduit à opérer une distinction nette entre les activités économiques et non économiques de l’assujetti (I). Cette approche aboutit à une interprétation stricte de la notion de frais généraux, confirmant que seuls les coûts inhérents au fonctionnement de l’activité économique peuvent être considérés comme tels (II).
I. L’exclusion du droit à déduction fondée sur la nature non économique de l’activité de placement
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse en deux temps. Elle qualifie d’abord l’activité d’investissement de non économique (A), avant de constater l’absence de lien suffisant entre les frais de gestion et les opérations taxées en aval (B).
A. La qualification de l’activité de gestion de fonds comme une opération hors champ d’application de la taxe
La Cour rappelle que seules les activités de nature économique entrent dans le champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée. Elle constate que la collecte de dons et de dotations par l’établissement d’enseignement n’en constitue pas une, car ces versements ne sont la contrepartie d’aucune livraison de biens ou prestation de services. Ils relèvent donc d’une sphère non économique. Par voie de conséquence, la Cour juge que l’activité consistant à placer ces dons et dotations doit recevoir le même traitement. Elle estime en effet que « cette activité de placement financier non seulement constitue, pour l’université, à l’instar d’un investisseur privé, un moyen permettant de générer des revenus à partir des dons et des dotations ainsi recueillis, mais également une activité directement rattachable à la perception de ceux-ci, et, partant, ne constitue que le prolongement direct de cette activité non économique ». De ce fait, l’activité d’investissement elle-même est placée hors du champ de la taxe. Les frais de gestion y afférents sont donc, par principe, attachés à une opération n’ouvrant pas droit à déduction.
B. L’absence de lien direct et immédiat avec les opérations taxées
La Cour examine ensuite si, malgré leur lien avec une activité non économique, les frais de gestion pourraient néanmoins être déductibles au titre des frais généraux de l’activité économique de l’assujetti. Elle rappelle qu’un droit à déduction est admis en l’absence de lien avec une opération particulière en aval « lorsque les coûts des biens ou des services en cause font partie des frais généraux de ce dernier et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des biens ou des services qu’il fournit ». Or, en l’espèce, les revenus du fonds d’investissement ne sont pas utilisés pour financer une opération taxée spécifique, mais pour couvrir les coûts de l’ensemble des activités de l’établissement. La Cour souligne que ces ressources permettent de « diminuer les prix des biens et des services fournis par cette dernière ». Elle en déduit que les frais de gestion ne sauraient être considérés comme « des éléments constitutifs de ces prix ». Partant, ils ne font pas partie des frais généraux de l’activité économique. La Cour conclut à l’inexistence d’un lien direct et immédiat tant avec une opération particulière qu’avec l’ensemble de l’activité économique, ce qui justifie le rejet de la déduction.
Cette position, fondée sur une analyse précise de la chaîne des opérations, conduit la Cour à réaffirmer une conception stricte de la notion de frais généraux, ce qui en précise la portée.
II. La confirmation d’une conception stricte de la notion de frais généraux
La décision commentée s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante visant à définir les contours des frais généraux (A). Elle permet ainsi de clarifier la frontière entre les dépenses engagées pour les besoins de l’activité économique et celles qui, bien que profitant à l’entreprise, demeurent externes à son cycle d’exploitation (B).
A. La réaffirmation des critères d’incorporation au coût de l’activité économique
La Cour de justice rappelle avec constance que le droit à déduction, même pour les frais généraux, suppose que la dépense soit un élément constitutif du prix des opérations taxées en aval. L’originalité de l’arrêt réside dans l’application de ce critère à une situation où des revenus non taxés viennent subventionner l’activité globale de l’assujetti. En jugeant que les frais de gestion ne sont pas incorporés dans le prix des prestations taxées de l’établissement, mais servent en réalité à générer des fonds qui permettent d’en réduire le coût global, la Cour opère une distinction subtile mais déterminante. Elle refuse d’assimiler une dépense qui permet de générer une recette externe à une dépense qui est une composante du coût de l’activité économique elle-même. Les frais généraux sont ceux qui, par leur nature, sont nécessaires à la réalisation de l’ensemble de l’activité économique et se répercutent, même indirectement, dans le prix des biens et services fournis.
B. La portée de la solution au regard des opérations de financement
Cet arrêt vient préciser la jurisprudence antérieure, notamment celle issue de l’arrêt *Kretztechnik* (C-465/03), dans lequel la Cour avait admis la déduction de la taxe sur des frais liés à une émission d’actions, au motif que cette opération visait à augmenter le capital de l’entreprise au profit de l’ensemble de son activité économique. Dans la présente affaire, la situation est différente : il ne s’agit pas de lever des capitaux pour les injecter dans l’activité économique, mais de gérer un patrimoine distinct dont les fruits viennent ensuite soutenir cette activité. La Cour semble ainsi tracer une ligne de partage : les frais liés à l’acquisition de capitaux destinés au fonctionnement de l’entreprise peuvent être considérés comme des frais généraux, tandis que les frais liés à la gestion d’actifs financiers générant des revenus, même si ces revenus sont utilisés pour les besoins de l’entreprise, ne le peuvent pas. La dépense est ici attachée à la production d’un flux de revenus autonome, et non au fonctionnement intrinsèque de l’activité économique de l’assujetti.