Par une décision du 3 juillet 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a rejeté le pourvoi formé par une société bénéficiaire d’une subvention de l’Union. En l’espèce, cette société avait participé à un projet de recherche financé dans le cadre du septième programme-cadre. À la suite d’un audit, l’Agence exécutive pour la recherche a constaté que certains frais de personnel déclarés par la société n’étaient pas éligibles au financement. L’agence a par conséquent émis une note de débit pour recouvrer les sommes jugées indues. La société a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de cette note de débit. Par un arrêt du 13 décembre 2023, le Tribunal a rejeté le recours, confirmant l’analyse de l’agence. Saisie à son tour, la Cour de justice était amenée à se prononcer sur le point de savoir si le Tribunal avait correctement interprété les conditions de la convention de subvention relatives à l’éligibilité des coûts et si son appréciation était exempte d’erreur de droit au regard des principes de bonne administration et du respect des droits de la défense. La Cour de justice valide entièrement le raisonnement du Tribunal et confirme la décision de recouvrement, en jugeant le pourvoi manifestement non fondé.
Cette décision, qui s’inscrit dans une jurisprudence établie, illustre la rigueur avec laquelle les conditions d’octroi des financements européens sont appliquées et contrôlées (I). Elle rappelle également le cadre strict dans lequel s’exerce le contrôle juridictionnel en la matière, limitant les possibilités de contestation pour les bénéficiaires (II).
I. La confirmation d’une conception stricte des conditions de subvention
La Cour de justice confirme l’interprétation rigoureuse des règles de financement retenue par le Tribunal, tant sur la méthode de calcul des coûts éligibles (A) que sur la charge de la preuve qui incombe au bénéficiaire (B).
A. Le rejet d’une détermination forfaitaire des frais de personnel
La Cour rappelle que les coûts éligibles doivent avoir été réellement exposés par le bénéficiaire, enregistrés dans sa comptabilité et déterminés conformément à ses pratiques habituelles en matière de calcul des coûts. En l’espèce, la société requérante utilisait une méthode de calcul basée non sur les salaires réels, mais sur un coût horaire moyen multiplié par un nombre d’heures déclarées pour le projet. Le Tribunal, approuvé par la Cour, a jugé que cette méthode ne permettait pas de garantir que les coûts déclarés correspondaient aux dépenses réelles. Le simple fait que la méthode de calcul soit jugée raisonnable ou qu’elle soit appliquée par la société pour ses projets internes est sans pertinence. Seule compte la conformité aux dispositions de la convention de subvention. Cet arrêt réaffirme que « les dispositions de la convention de subvention doivent être interprétées en ce sens qu’elles imposent au bénéficiaire de justifier les frais de personnel déclarés sur la base de leur coût réel ». En refusant toute forme d’estimation ou de forfaitisation non prévue par le contrat, la Cour privilégie une approche littérale des engagements contractuels, garantissant ainsi une égalité de traitement entre tous les bénéficiaires de fonds publics.
B. La charge de la preuve pesant sur le bénéficiaire
La décision souligne que la charge de prouver la réalité et l’éligibilité des coûts déclarés pèse exclusivement sur le bénéficiaire de la subvention. L’agence n’est tenue de son côté qu’à motiver sa décision de rejet en exposant les raisons pour lesquelles elle considère les justificatifs fournis comme insuffisants. Le Tribunal avait estimé que le bénéficiaire n’avait pas fourni de « pièces justificatives adéquates permettant d’établir la réalité des frais de personnel déclarés ». La Cour confirme que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les documents produits, tels que des feuilles de temps non corroborées par des fiches de paie correspondantes, ne suffisaient pas à établir le lien entre les dépenses salariales et le travail effectué pour le projet. Cette solution renforce la position de l’administration dans le contrôle des subventions. Elle contraint les entreprises à une discipline comptable et administrative irréprochable si elles souhaitent bénéficier des financements de l’Union, toute approximation se retournant contre elles en cas de litige.
II. La portée limitée du contrôle juridictionnel
En rejetant le pourvoi, la Cour de justice entérine une conception restrictive de l’office du juge dans le contentieux des subventions (A), tout en précisant la portée des garanties procédurales offertes aux administrés (B).
A. Un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation
Le pourvoi soutenait que le Tribunal avait commis une erreur en ne sanctionnant pas la violation par l’agence du principe de bonne administration. La Cour écarte ce moyen en rappelant que son contrôle, comme celui du Tribunal, se limite à l’erreur de droit et à la dénaturation des faits. Elle ne saurait substituer sa propre appréciation des faits à celle du Tribunal. Le contrôle sur les appréciations d’ordre technique et complexe de l’administration est quant à lui restreint à l’erreur manifeste. Le juge vérifie que les faits sont matériellement exacts et que l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’application des règles contractuelles à ces faits. En validant l’approche du Tribunal, qui a jugé que l’agence n’avait pas commis une telle erreur en recalculant les coûts éligibles, la Cour consolide une jurisprudence qui accorde une marge d’appréciation significative aux organes exécutifs de l’Union dans la gestion des programmes de financement. Cette retenue jurisprudentielle vise à ne pas paralyser l’action administrative par un contentieux excessif.
B. Une application circonscrite du principe de bonne administration
La société requérante invoquait également une violation de ses droits de la défense et du principe de bonne administration, garanti par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle estimait ne pas avoir été entendue équitablement durant la procédure d’audit. La Cour confirme la position du Tribunal selon laquelle les droits de la défense ont été respectés dès lors que la société a eu la possibilité de présenter ses observations écrites et orales sur le rapport d’audit provisoire. Le principe de bonne administration n’implique pas que l’agence doive suivre l’avis du bénéficiaire ou engager un dialogue jusqu’à l’obtention d’un accord. L’arrêt précise que le droit d’être entendu « ne saurait être interprété comme exigeant que toute discussion entre l’administration et un administré aboutisse à un résultat agréé par ce dernier ». La portée de cet arrêt est donc claire : si les garanties procédurales doivent être scrupuleusement respectées, elles ne permettent pas de remettre en cause le bien-fondé d’une décision administrative lorsque celle-ci est solidement motivée en fait et en droit, et fondée sur une interprétation stricte des textes contractuels.