Cour de justice de l’Union européenne, le 3 juillet 2025, n°C-628/24

Par une ordonnance en date du 3 juillet 2025, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conditions de recevabilité d’un recours en annulation intenté par une collectivité territoriale. En l’espèce, une communauté d’agglomération avait formé un recours visant à l’annulation d’une décision de la Commission européenne devant le Tribunal de l’Union européenne. Par une ordonnance du 11 juillet 2024, le Tribunal avait rejeté ce recours, vraisemblablement pour irrecevabilité, sans examiner le fond de l’affaire. La communauté d’agglomération a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant l’appréciation des juges de première instance sur les conditions d’accès à leur juridiction. Le débat se cristallisait ainsi autour de l’interprétation des règles procédurales encadrant le droit d’agir des personnes morales de droit public, autres que les États membres, contre les actes des institutions de l’Union. Se posait donc la question de savoir si une interprétation restrictive des conditions de recevabilité d’un recours en annulation par le Tribunal pouvait constituer une erreur de droit justifiant l’annulation de sa décision. À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative en considérant que « L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 11 juillet 2024 […] est annulée ». En conséquence, la Cour décide que « L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne ». La décision de la Cour, en annulant l’ordonnance d’irrecevabilité, réaffirme une vision extensive des conditions d’accès à son prétoire (I), conférant ainsi une portée significative à sa solution en matière de protection juridictionnelle (II).

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I. La censure d’une conception restrictive de la recevabilité du recours en annulation

La Cour de justice, par cette décision, rappelle que les conditions de recevabilité doivent être interprétées à la lumière du droit à un recours effectif, ce qui la conduit à affirmer le droit d’agir d’une entité infra-étatique (A) et à prononcer la sanction d’une erreur de droit procédurale commise par le Tribunal (B).

A. L’affirmation du droit au recours d’une entité infra-étatique

En annulant l’ordonnance du Tribunal, la Cour de justice souligne implicitement que les collectivités territoriales, bien que ne bénéficiant pas du statut de requérant privilégié des États membres, disposent d’un droit d’accès au juge de l’Union qui ne saurait être indûment entravé. Le recours en annulation prévu à l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne constitue une voie de droit essentielle au contrôle de la légalité des actes des institutions. Si les conditions de recevabilité pour les requérants non privilégiés sont plus strictes, exigeant que l’acte les affecte directement et individuellement, leur appréciation ne doit pas aboutir à un déni de justice. La solution retenue suggère que le Tribunal a adopté une lecture trop formaliste de ces conditions, méconnaissant ainsi la situation particulière de la requérante. Une telle approche aurait pour effet de laisser certaines décisions de la Commission sans contrôle juridictionnel possible, ce qui serait contraire à l’idée même d’une Union de droit. La Cour semble donc privilégier une interprétation garantissant que les entités directement concernées par un acte de l’Union puissent en contester la validité.

B. La sanction d’une erreur de droit procédurale

La cassation de l’ordonnance du Tribunal repose sur la constatation d’une erreur de droit. En jugeant que l’ordonnance attaquée « est annulée », la Cour exerce sa fonction de régulateur de la jurisprudence au sein de l’ordre juridique de l’Union. Le pourvoi est en effet limité aux questions de droit, et la Cour ne réexamine pas les faits. L’erreur sanctionnée ici est de nature purement procédurale : elle porte sur l’application des règles qui gouvernent la recevabilité de l’action. En censurant le raisonnement du Tribunal, la Cour de justice ne se prononce aucunement sur le fond du litige qui oppose la communauté d’agglomération à la Commission. Elle se borne à juger que le Tribunal a commis une erreur en fermant prématurément la porte de son prétoire. Cette cassation procédurale a pour conséquence directe de renvoyer l’affaire au stade où l’erreur a été commise, obligeant ainsi les premiers juges à reconsidérer la recevabilité, et vraisemblablement à l’admettre, avant de pouvoir enfin statuer sur le fond des prétentions des parties.

La sanction de cette approche procédurale restrictive par la Cour de justice n’est pas sans conséquence ; elle redessine les contours de l’accès au juge.

II. La portée d’une solution garantissant l’accès au juge de l’Union

En annulant la décision d’irrecevabilité, la Cour de justice renforce le principe de protection juridictionnelle effective (A) et définit clairement l’office futur du juge de renvoi, dont une analyse au fond est désormais attendue (B).

A. Le renforcement de la protection juridictionnelle effective

La portée de cette ordonnance dépasse le cas d’espèce. Elle constitue un rappel important du principe de protection juridictionnelle effective, consacré notamment par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce principe exige que tout individu ou entité dont les droits garantis par le droit de l’Union sont violés dispose d’un recours effectif devant une juridiction. En censurant une décision qui limitait l’accès à la justice, la Cour réaffirme que les règles de procédure, bien que nécessaires, ne doivent pas être un obstacle insurmontable à l’exercice de ce droit fondamental. La solution est un signal fort envoyé aux juridictions de l’Union, les invitant à une application des conditions de recevabilité qui soit non seulement conforme à la lettre des traités, mais aussi à leur esprit. Elle bénéficie à l’ensemble des justiciables potentiels, et plus particulièrement aux entités infra-étatiques dont le rôle dans la mise en œuvre du droit de l’Union est croissant.

B. L’office du juge du renvoi : une analyse au fond attendue

La décision de la Cour précise que « L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne ». Cette disposition est la conséquence logique de l’annulation. Le Tribunal est de nouveau saisi de l’affaire et devra la juger en se conformant aux points de droit tranchés par la Cour. Son office est désormais clair : il ne peut plus déclarer le recours irrecevable pour les motifs précédemment censurés. Il lui appartiendra donc d’examiner les moyens de fond soulevés par la communauté d’agglomération à l’encontre de la décision de la Commission. La solution de la Cour, si elle est une victoire procédurale pour la requérante, ne préjuge en rien de l’issue finale du litige. Le Tribunal conserve toute sa liberté d’appréciation quant au bien-fondé des arguments juridiques qui seront débattus devant lui. La Cour de justice, en se gardant de statuer elle-même sur le fond, respecte la répartition des compétences entre les deux juridictions de l’Union et garantit aux parties le double degré de juridiction sur les questions de fait et de droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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