Par un arrêt du 3 juin 2010, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant sur renvoi préjudiciel du Varhoven administrativen sad bulgare, a précisé les contours de l’interdiction des impositions intérieures discriminatoires en matière de taxation des véhicules d’occasion. En l’espèce, un particulier avait importé en Bulgarie un véhicule automobile d’occasion acquis en France. L’administration douanière nationale lui a appliqué un droit d’accise calculé selon un régime spécifique aux véhicules d’occasion, fondé exclusivement sur la puissance du moteur. Le redevable a contesté ce montant, arguant qu’il était supérieur à celui qui aurait été appliqué à un véhicule neuf de mêmes caractéristiques, ce qui constituait selon lui une discrimination prohibée par le droit de l’Union. Le litige a été porté en première instance devant l’Administrativen sad – Plovdiv, qui a donné raison au requérant en annulant partiellement la taxation. Saisie d’un pourvoi par l’administration fiscale, la juridiction suprême a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité de la législation nationale avec l’article 110 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La question centrale posée était de savoir si un État membre peut instaurer un régime fiscal qui, en raison de ses modalités de calcul distinctes pour les véhicules neufs et pour les véhicules d’occasion, aboutit à taxer plus lourdement un véhicule d’occasion importé qu’un véhicule d’occasion similaire déjà présent sur le marché national. La Cour de justice a répondu par la négative, jugeant qu’un tel régime différencié est contraire au principe de non-discrimination fiscale, dès lors qu’il ne garantit pas la neutralité de l’imposition entre les produits importés et les produits nationaux similaires.
La Cour réaffirme ainsi avec fermeté le principe de neutralité fiscale applicable aux véhicules d’occasion importés (I), tout en précisant la portée de cette exigence pour les régimes d’imposition nationaux (II).
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I. La réaffirmation du principe de neutralité fiscale pour les véhicules d’occasion
La décision de la Cour repose sur une interprétation large de la notion de produits similaires, condition nécessaire à l’application de l’article 110 du Traité (A), ce qui la conduit logiquement à sanctionner un mode de calcul aboutissant à une discrimination à l’encontre des véhicules importés (B).
A. L’assimilation des véhicules d’occasion importés aux véhicules déjà sur le marché
Pour que l’interdiction des impositions discriminatoires de l’article 110, premier alinéa, du TFUE puisse s’appliquer, il est nécessaire d’établir une similarité entre le produit importé et un produit national. L’État membre en cause faisait valoir l’absence de production automobile nationale, ce qui aurait pu, dans une lecture restrictive, faire obstacle à la comparaison. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une jurisprudence constante. Elle juge que « les véhicules d’occasion importés […] doivent être considérés comme des produits similaires aux véhicules d’occasion déjà immatriculés sur le territoire de cet État et qui ont été importés sur le territoire dudit État en tant que véhicules neufs indépendamment de leur origine ».
Cette solution consacre une approche économique et fonctionnelle de la notion de produit national. Un bien devient un produit du marché intérieur de l’État membre concerné dès lors qu’il y a été mis en circulation, quelle que soit son origine première. La comparaison pertinente ne s’effectue donc pas avec un produit hypothétique qui serait fabriqué localement, mais avec les produits concurrents effectivement disponibles pour le consommateur sur ce marché. Ainsi, un véhicule d’occasion importé se trouve en concurrence directe avec les véhicules de même type, de même âge et de même usure qui sont déjà en vente sur le territoire national, justifiant pleinement l’application du principe de non-discrimination fiscale.
B. La sanction d’un mode de calcul créant une surimposition du produit importé
Une fois la similarité des produits établie, la Cour examine les modalités de la taxe en cause. La législation nationale prévoyait un calcul de l’accise fondé uniquement sur la puissance du moteur pour les véhicules d’occasion, alors que le régime applicable aux véhicules neufs était différent et globalement plus favorable. La Cour constate que cette dualité de régimes aboutit mécaniquement à une situation discriminatoire. En effet, les véhicules d’occasion déjà présents sur le marché bulgare avaient été, au moment de leur première immatriculation, taxés en tant que véhicules neufs selon des modalités plus avantageuses. Par conséquent, un particulier important un véhicule d’occasion se voyait appliquer une taxe plus élevée que la charge fiscale résiduelle incorporée dans la valeur d’un véhicule similaire déjà présent sur le marché.
La Cour rappelle qu’un système de taxation n’est compatible avec l’article 110 du TFUE que s’il est aménagé de manière à « exclure, en toute hypothèse, que les produits importés soient taxés plus lourdement que les produits nationaux ». Le régime bulgare est jugé défaillant car il « ne permet pas un calcul neutre de l’accise pour des véhicules d’occasion importés ». En ignorant des critères essentiels tels que l’année de production ou le kilométrage pour déterminer le montant de la taxe, au-delà de la simple qualification de véhicule d’occasion, le système ne prend pas en compte la dépréciation réelle du véhicule. Il en résulte qu’il est « relativement plus cher d’importer un véhicule d’occasion d’un autre État membre que d’acheter un véhicule de même type […] sur le territoire bulgare, ce qui risque d’influencer le choix des consommateurs ».
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II. La portée de l’exigence de neutralité pour les régimes d’imposition nationaux
Au-delà de la censure du régime spécifique, l’arrêt précise les obligations pesant sur les États membres, en soulignant l’indifférence de la qualification de l’impôt au regard des règles fondamentales du Traité (A) et en tirant les conséquences pratiques de l’obligation de neutralité (B).
A. L’indifférence de la qualification d’accise au regard de l’article 110 du TFUE
La juridiction de renvoi interrogeait également la Cour sur l’applicabilité de la directive 92/12/CEE relative au régime général des produits soumis à accise. La Cour relève d’abord que les véhicules automobiles n’entrent pas dans le champ d’application harmonisé de cette directive, qui vise principalement les huiles minérales, les alcools et les tabacs. Les États membres restent libres de soumettre d’autres produits à des accises, à la condition que ces impositions « ne donnent pas lieu dans les échanges entre États membres à des formalités liées au passage d’une frontière ».
La Cour analyse la déclaration à déposer lors de l’introduction du véhicule et estime qu’une telle formalité n’est pas nécessairement liée au passage de la frontière au sens de la directive, mais plutôt au fait générateur de l’impôt. Cependant, cette analyse est secondaire. L’enseignement principal est que la qualification d’un prélèvement en tant que droit d’accise national ne le soustrait nullement au respect des dispositions fondamentales du Traité, et notamment de l’article 110. Le principe de non-discrimination fiscale s’impose à toute imposition intérieure, quelle que soit sa dénomination ou sa technique, dès lors qu’elle frappe des produits provenant d’autres États membres.
B. Les implications concrètes de l’obligation de neutralité et ses effets dans le temps
L’arrêt a une portée pratique considérable en ce qu’il impose aux États membres une obligation de résultat : la taxe sur un véhicule d’occasion importé ne doit jamais excéder le montant de la taxe résiduelle incorporée dans la valeur d’un véhicule d’occasion similaire déjà immatriculé sur le territoire national. Pour ce faire, les systèmes nationaux doivent nécessairement prendre en compte la dépréciation réelle du véhicule. La Cour valide implicitement les barèmes fondés sur des critères objectifs tels que « l’ancienneté, le kilométrage, l’état général, le mode de propulsion, la marque ou le modèle du véhicule », car seuls de tels critères permettent de garantir la neutralité de l’imposition.
Significativement, la Cour rejette la demande du gouvernement bulgare de limiter les effets de son arrêt dans le temps. Elle rappelle que les conséquences financières pour un État membre ne sauraient à elles seules justifier une telle limitation. L’absence de preuve d’un risque de troubles économiques graves et l’état bien établi de la jurisprudence sur la taxation des véhicules d’occasion ne permettaient pas de conclure à la bonne foi de l’État membre ni à l’existence d’une incertitude juridique objective. Ce refus de moduler la portée temporelle de sa décision renforce l’effectivité de l’article 110 du TFUE et souligne l’impératif pour les États membres de mettre leurs législations en conformité avec les principes du marché intérieur.