Cour de justice de l’Union européenne, le 3 juin 2021, n°C-194/20

Par un arrêt rendu le 3 juin 2021, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’application de l’accord d’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie. Cette décision interprète l’article 9 de la décision n° 1/80 concernant le droit d’accès à l’éducation des enfants de travailleurs turcs. Plusieurs ressortissants d’une même famille ont sollicité la prorogation de leurs titres de séjour sur le territoire d’un État membre après l’expiration de leurs droits initiaux. L’autorité administrative a opposé un refus à ces demandes en raison de l’insuffisance de la durée d’activité salariée des parents concernés. Saisi du litige, le tribunal administratif de Düsseldorf a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne par voie de question préjudicielle. Les requérants soutenaient que le droit d’être admis aux cours d’enseignement impliquait un droit de séjour autonome pour les enfants et leurs parents. La question posée visait à savoir si l’article 9 pouvait être invoqué par des enfants dont les parents ne satisfont pas aux conditions d’emploi régulier. La Cour de justice a jugé que cette disposition ne peut être invoquée par des enfants dont les parents ne remplissent pas les critères des articles 6 et 7. L’analyse de cette solution révèle une interprétation stricte des conditions d’accès aux avantages sociaux prévus par le régime conventionnel.

I. La subordination du droit à l’éducation au statut professionnel des parents

A. Le caractère cumulatif des conditions posées par l’article 9

La Cour rappelle que l’acquisition des droits prévus par la décision n° 1/80 est soumise à deux critères devant être impérativement réunis. Le texte exige d’une part que les enfants résident régulièrement avec leurs parents et d’autre part que ces derniers soient ou aient été employés régulièrement. L’accès aux cours d’enseignement général ou de formation professionnelle repose donc sur l’insertion préalable des parents dans le marché du travail de l’État membre. Cette seconde condition doit être « entendue en ce sens qu’elle exige que l’un des parents exerce ou a exercé une activité salariée » conformément au droit. La juridiction souligne que cette exigence d’emploi régulier renvoie directement aux définitions protectrices énoncées aux articles 6 et 7 de la même décision.

B. L’absence de droit de séjour autonome découlant de l’accès à l’enseignement

L’interprétation retenue exclut toute création d’un titre de séjour qui serait fondé uniquement sur la scolarisation d’un enfant de ressortissant turc. La Cour précise que les enfants dont les parents ne satisfont pas aux conditions d’emploi « ne sont pas en mesure de se prévaloir du droit d’accès ». Il n’existe pas de droit au séjour autonome qui pourrait être déduit de l’article 9 sans le support d’une activité professionnelle stable. La situation des requérants illustre cette rigueur puisque les activités salariées exercées sur de très courtes périodes ne permettent pas de consolider un droit. L’effet utile de la disposition ne permet pas d’étendre la protection à des personnes ne disposant pas d’un lien suffisant avec le marché régulier du travail.

II. La préservation de l’équilibre du régime conventionnel

A. L’exigence de stabilité sur le marché de l’emploi

La solution repose sur la finalité sociale de l’accord d’association qui vise à améliorer progressivement le régime des travailleurs et de leurs familles. L’appartenance au marché régulier de l’emploi « suppose une situation stable et non précaire sur le marché du travail » de l’État d’accueil concerné. Cette stabilité implique nécessairement un droit de séjour non contesté permettant l’exercice effectif d’une activité salariée pendant une durée minimale d’un an. En l’espèce, les parents n’avaient pas acquis de droits propres au titre du renouvellement de leur permis de travail faute de durée d’emploi suffisante. La Cour maintient ainsi une hiérarchie claire entre le droit principal au travail et les droits dérivés accordés aux membres de la famille nucléaire.

B. La portée limitée de l’égalité de traitement en matière scolaire

Le principe d’égalité de traitement entre les enfants turcs et ceux des ressortissants nationaux ne s’applique que si le droit au séjour est établi. L’obligation d’admettre les élèves sur la base des mêmes qualifications ne dispense pas du respect des règles relatives à l’entrée et au séjour. La décision confirme que « l’article 9, première phrase, de la décision n° 1/80 doit être interprété en ce sens qu’il ne peut pas être invoqué » par défaut. Cette interprétation garantit que les avantages sociaux restent liés à l’objectif d’intégration par le travail qui fonde l’esprit de l’accord d’Ankara. La protection conventionnelle ne saurait ainsi pallier l’absence de titres de séjour nationaux lorsque les conditions de fond liées à l’activité professionnelle font défaut.

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Hassan KOHEN
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