Cour de justice de l’Union européenne, le 3 juin 2021, n°C-39/20

Par un arrêt en date du 3 juin 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’application dans le temps des nouvelles dispositions du code des douanes de l’Union relatives à la prescription de la dette douanière. Cette décision, rendue sur renvoi préjudiciel, illustre l’articulation entre les règles de procédure et les règles de fond lors d’une succession de régimes juridiques.

En l’espèce, une société importatrice a déclaré en 2013 des marchandises en bénéficiant d’un taux de droits de douane préférentiel nul, sur la base d’un certificat d’origine. Des contrôles ultérieurs ont révélé que ce certificat était un faux, donnant ainsi naissance à une dette douanière au taux normal. Le 1er juin 2016, après l’entrée en application du nouveau code des douanes de l’Union, les autorités douanières ont informé la société de leur intention de recouvrer les droits dus, lui accordant un délai pour présenter ses observations. La notification formelle de la dette douanière est intervenue le 18 juillet 2016, soit au-delà du délai de prescription initial de trois ans qui aurait couru à compter de la naissance de la dette en 2013.

La société a contesté ce recouvrement, soutenant que la dette était prescrite. Les juridictions néerlandaises de première instance et d’appel lui ont donné raison, estimant que la nouvelle disposition du code des douanes de l’Union prévoyant une suspension du délai de prescription pendant la procédure contradictoire n’était pas applicable à une dette née antérieurement. Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême des Pays-Bas a interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si les nouvelles règles de suspension du délai de prescription s’appliquent à une dette douanière née avant leur entrée en application, mais non encore prescrite à cette date. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, considérant que ces dispositions s’appliquent immédiatement à une telle situation. La solution retenue repose sur une application distributive des règles de droit dans le temps (I), justifiée par la nécessité d’assurer l’effectivité de la législation douanière et de ses principes (II).

I. L’APPLICATION DISTRIBUTIVE DES RÈGLES DE DROIT DANS LE TEMPS

La Cour de justice fonde son raisonnement sur la distinction classique entre les règles de procédure et les règles de fond pour déterminer la loi applicable. Elle qualifie ainsi de manière distincte l’obligation d’information préalable et la règle de suspension de la prescription qui en découle (A), pour ensuite appliquer la nouvelle loi aux effets futurs d’une situation juridique non encore consolidée (B).

A. La qualification distincte des règles de procédure et de fond

La Cour rappelle d’abord que « les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond ». L’obligation pour les autorités douanières d’informer le débiteur de leur intention de recouvrer une dette et de lui permettre de présenter ses observations, désormais formalisée à l’article 22, paragraphe 6, du code des douanes de l’Union, constitue une règle de procédure. Elle matérialise le principe fondamental du droit d’être entendu. En tant que telle, cette obligation s’est appliquée immédiatement dès le 1er mai 2016 à toute procédure de recouvrement engagée à partir de cette date, indépendamment de la date de naissance de la dette.

En revanche, la Cour considère que la disposition de l’article 103, paragraphe 3, du même code, qui prévoit la suspension du délai de prescription durant le temps laissé au débiteur pour exprimer son point de vue, est une règle de fond. En effet, elle affecte directement l’existence même de la dette douanière en prolongeant le délai au-delà duquel elle ne peut plus être notifiée. Une telle qualification suit la jurisprudence antérieure qui avait déjà jugé que les dispositions fixant le délai de prescription de la dette douanière « édictaient une règle de fond ». Cette distinction est déterminante pour la suite du raisonnement de la Cour.

B. L’application de la règle de fond aux effets futurs d’une situation non consolidée

Bien que la règle de suspension soit qualifiée de règle de fond, la Cour juge qu’elle peut s’appliquer à la situation en cause. Elle s’appuie sur le principe selon lequel une loi nouvelle, si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises sous l’empire de la loi ancienne, « s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles ». Le point crucial est de déterminer si la situation juridique de l’opérateur était définitivement acquise au 1er mai 2016.

La Cour constate qu’à cette date, la dette douanière, née en 2013, n’était pas encore prescrite. Le délai de trois ans prévu par l’ancien code n’était pas écoulé. Par conséquent, « la situation juridique […] au regard de la prescription de sa dette douanière n’était pas définitivement acquise ». La nouvelle règle de suspension pouvait donc s’appliquer aux effets futurs de cette situation, à savoir l’écoulement du reste du délai de prescription. Cette approche permet d’appliquer la nouvelle loi à des situations en cours, sans pour autant lui conférer un caractère rétroactif au sens strict.

II. LA JUSTIFICATION DE LA SOLUTION PAR LA COHÉRENCE DU SYSTÈME DOUANIER

La Cour ne se contente pas de cette analyse technique et justifie sa solution en la confrontant aux objectifs du législateur de l’Union. Elle met en avant l’indissociabilité des dispositions en cause (A) et écarte l’argument d’une atteinte aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime (B).

A. La préservation d’un équilibre entre droits de la défense et intérêts financiers

La Cour souligne que l’obligation d’information préalable et la suspension du délai de prescription forment « un tout indissociable ». L’introduction du droit d’être entendu visait à renforcer la protection des opérateurs économiques. Cependant, accorder ce droit, qui implique un délai de trente jours pour le débiteur, sans prévoir de contrepartie, risquait de compromettre le recouvrement des dettes douanières proches du terme de la prescription. Les intérêts financiers de l’Union auraient pu être lésés.

Le législateur a donc consciemment instauré la suspension pour neutraliser l’effet du temps nécessaire à l’exercice des droits de la défense. La Cour se réfère aux travaux préparatoires du code des douanes de l’Union, qui montrent que cet ajustement était « nécessaire afin de protéger les intérêts financiers des ressources propres traditionnelles ». L’application simultanée des deux dispositions est donc essentielle pour maintenir l’équilibre voulu par le législateur entre la protection du débiteur et celle des finances de l’Union. Les dissocier aurait conduit à une application incohérente de la nouvelle législation.

B. Le respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime

La Cour examine si cette application immédiate de la nouvelle règle de suspension porte atteinte aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime. Elle répond par la négative en se fondant sur deux arguments principaux. D’une part, elle rappelle que « les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union ». Un opérateur prudent ne pouvait donc escompter l’intangibilité des règles de prescription.

D’autre part, la Cour minimise la portée du changement, relevant que l’obligation de respecter le droit d’être entendu existait déjà en tant que principe général du droit de l’Union avant d’être formalisée dans le nouveau code. L’introduction explicite d’une règle de suspension n’a fait que clarifier les conséquences procédurales d’une obligation qui incombait déjà aux autorités administratives. En ce sens, la nouvelle disposition a renforcé la prévisibilité du droit plutôt qu’elle ne l’a compromise. L’application d’une règle d’allongement d’un délai de prescription à des faits non encore prescrits ne saurait, dans ces conditions, être considérée comme une violation de la sécurité juridique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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