Cour de justice de l’Union européenne, le 3 juin 2021, n°C-635/18

L’arrêt commenté, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, porte sur la constatation d’un manquement d’un État membre à ses obligations découlant de la directive 2008/50/CE concernant la qualité de l’air ambiant. Saisie par la Commission européenne, la Cour était appelée à se prononcer sur le dépassement systématique et persistant, entre 2010 et 2016, des valeurs limites annuelles et horaires pour le dioxyde d’azote (NO2) dans de nombreuses zones et agglomérations de cet État. Les faits à l’origine du litige révèlent que, malgré une procédure précontentieuse initiée en 2014, l’État membre concerné n’a pas réussi à se conformer aux exigences de la directive.

La procédure a débuté par une lettre de mise en demeure en 2015, suivie d’un avis motivé en 2017, reprochant à l’État membre, d’une part, la violation de l’article 13 de la directive en raison du dépassement continu des seuils de pollution et, d’autre part, la violation de l’article 23 pour ne pas avoir établi de plans de qualité de l’air garantissant que la période de dépassement soit la plus courte possible. L’État membre a contesté ces griefs, arguant notamment que les dépassements étaient dus à des défaillances de la législation de l’Union relative aux émissions des véhicules diesel et que la Commission étendait illicitement l’objet du litige. La Commission a maintenu son recours, estimant que le dépassement factuel des valeurs suffisait à caractériser le manquement et que les plans nationaux étaient manifestement insuffisants.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le seul constat objectif d’un dépassement systématique et persistant des valeurs limites de pollution suffit à caractériser un manquement d’un État membre à ses obligations. Il s’agissait également pour la Cour de préciser la portée de l’obligation, pour un État, d’établir des plans de qualité de l’air prévoyant des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit « la plus courte possible ».

À ces questions, la Cour de justice répond par l’affirmative en constatant le double manquement de l’État membre. D’une part, elle juge que « le fait de dépasser les valeurs limites fixées pour les polluants dans l’air ambiant suffit en lui-même pour pouvoir constater un manquement ». D’autre part, elle estime que l’État membre n’a pas adopté les mesures appropriées pour garantir que la période de dépassement soit la plus courte possible, sanctionnant des plans de qualité de l’air lacunaires et inefficaces.

Il convient donc d’analyser la confirmation par la Cour du caractère objectif du manquement résultant du seul dépassement des valeurs limites (I), avant d’examiner l’appréciation rigoureuse de l’obligation de mettre en œuvre des mesures correctrices efficaces (II).

I. La consécration d’un manquement objectif au regard du dépassement des valeurs limites

La Cour de justice adopte une position stricte en considérant que le dépassement des seuils de pollution constitue, en soi, un manquement. Elle établit ce dernier sur la base des seules données factuelles (A) et écarte fermement les justifications avancées par l’État membre qui tentait de se dédouaner en invoquant des causes externes (B).

A. Le caractère systématique et persistant du manquement établi par les seules données factuelles

La Cour réaffirme avec force que l’obligation de respecter les valeurs limites fixées par la directive 2008/50 est une obligation de résultat. Le manquement est caractérisé dès lors que les données, transmises par l’État membre lui-même, démontrent un dépassement des seuils autorisés. En l’espèce, la Cour relève que « de l’année 2010 à l’année 2016 incluse, la valeur limite annuelle fixée pour le no2 a été régulièrement dépassée dans l’ensemble des zones litigieuses ». Pour la Cour, la persistance et le caractère systématique de la violation ne font aucun doute et ne nécessitent pas de preuves supplémentaires de la part de la Commission.

Cette approche objectivée du manquement est essentielle pour garantir l’effet utile de la législation environnementale de l’Union. En jugeant que « le fait de dépasser les valeurs limites fixées pour les polluants dans l’air ambiant suffit en lui-même pour pouvoir constater un manquement », la Cour refuse de prendre en considération les difficultés pratiques ou structurelles rencontrées par l’État membre au stade de la constatation de la violation. La protection de la santé humaine et de l’environnement, finalité première de la directive, impose une application rigoureuse des normes établies, sans qu’il soit possible de s’y soustraire par des arguments contextuels. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui privilégie la réalisation des objectifs environnementaux sur les contraintes nationales.

B. Le rejet des justifications de l’État membre fondées sur des causes externes

Face au manquement, l’État membre a tenté de se défendre en soutenant que les dépassements étaient principalement imputables aux lacunes du droit de l’Union lui-même, notamment l’écart entre les émissions de NO2 des véhicules diesel mesurées en laboratoire et celles en conditions de conduite réelles. Il invoquait ainsi une forme de négligence de la part de la Commission dans l’élaboration d’une réglementation efficace sur les émissions des véhicules. La Cour rejette cet argument de manière catégorique.

Elle rappelle que « la réglementation de l’Union applicable à la réception par type des véhicules à moteur ne saurait exonérer les États membres de leur obligation de respecter les valeurs limites fixées par la directive 2008/50 ». Ce faisant, la Cour opère une distinction claire entre les différentes branches du droit de l’Union et les obligations qui en découlent pour les États membres. L’existence d’éventuelles failles dans un corpus réglementaire ne saurait servir de prétexte pour ne pas respecter les obligations claires et inconditionnelles issues d’un autre texte. De plus, la Cour souligne que les émissions des véhicules ne sont pas la seule source de pollution au NO2, ce qui renforce l’idée que l’État membre disposait d’autres leviers d’action. Cette position garantit l’intégrité et la cohérence du système juridique de l’Union, en empêchant qu’un État puisse se prévaloir d’une défaillance, réelle ou supposée, pour justifier son propre manquement.

Une fois le manquement matériellement constaté et les justifications de l’État écartées, la Cour s’attache à examiner la seconde branche du recours, relative à l’obligation d’adopter des mesures correctrices.

II. L’appréciation stricte de l’insuffisance des plans relatifs à la qualité de l’air

La Cour ne se contente pas de sanctionner le dépassement des valeurs limites ; elle procède également à un contrôle approfondi du contenu des plans relatifs à la qualité de l’air. Elle rappelle ainsi l’obligation pour les États d’adopter des mesures visant à écourter au maximum la période de dépassement (A), avant de sanctionner des plans jugés lacunaires et manifestement inefficaces (B).

A. L’obligation de prévoir des mesures garantissant une période de dépassement la plus courte possible

L’article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50 impose aux États membres, en cas de dépassement des valeurs limites, d’établir des plans relatifs à la qualité de l’air. La Cour souligne que ces plans doivent contenir des mesures appropriées pour que la période de dépassement « soit la plus courte possible ». La Cour reconnaît que les États membres disposent d’une marge d’appréciation dans le choix des mesures à adopter, celles-ci résultant d’un équilibre « entre l’objectif de réduction du risque de pollution et les différents intérêts publics et privés en présence ».

Cependant, cette marge de manœuvre n’est pas absolue. La finalité de l’obligation, qui est de restaurer une situation de conformité dans les plus brefs délais, encadre strictement le pouvoir d’appréciation national. La Cour précise que, « si les États membres disposent d’une certaine marge de manœuvre pour la détermination des mesures à adopter, celles-ci doivent, en tout état de cause, faire en sorte que la période de dépassement des valeurs limites fixées pour le polluant concerné soit la plus courte possible ». Par cette formule, la Cour signifie que le simple fait d’adopter un plan ne suffit pas à satisfaire aux exigences de la directive. Le contrôle juridictionnel ne se limite pas à une vérification formelle de l’existence d’un plan, mais porte sur son adéquation matérielle à l’objectif poursuivi.

B. La sanction d’une inaction caractérisée par des plans lacunaires et non contraignants

Procédant à une analyse au cas par cas des plans établis pour les zones litigieuses, la Cour met en évidence leurs multiples défaillances. Elle constate d’abord une carence formelle, relevant que plusieurs plans ne contiennent pas les informations requises par l’annexe XV de la directive, notamment « l’estimation de l’amélioration de la qualité de l’air escomptée », une information jugée d’une importance primordiale.

Sur le fond, la Cour critique le manque de substance et de caractère contraignant des mesures envisagées. Elle observe que de nombreux plans se bornent à des actions vagues, telles que la « promotion de certains moyens de transport », des « campagnes de sensibilisation » ou des mesures non encore adoptées. De surcroît, les calendriers de mise en œuvre sont jugés excessivement longs, l’État membre n’envisageant pas un retour à la conformité avant 2020, voire 2030 pour certaines zones. Face à l’ampleur et à la persistance des dépassements constatés depuis 2010, de telles projections sont jugées incompatibles avec l’exigence d’une période de dépassement « la plus courte possible ». En conséquence, la Cour conclut que l’État membre « n’a manifestement pas adopté en temps utile des mesures appropriées ».

Cette analyse détaillée confère une portée considérable à l’arrêt. Elle constitue un avertissement clair aux États membres : l’obligation de planification en matière de qualité de l’air n’est pas une simple formalité bureaucratique. Elle exige l’adoption de mesures concrètes, quantifiables, assorties d’un calendrier réaliste mais ambitieux, capables de s’attaquer efficacement aux sources de pollution identifiées. La Cour se positionne ainsi en gardienne non seulement de la lettre, mais aussi de l’esprit de la législation environnementale, assurant que les objectifs de protection de la santé publique ne restent pas de vaines déclarations d’intention.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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