Cour de justice de l’Union européenne, le 3 juin 2021, n°C-818/18

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 28 octobre 2020, une décision fondamentale relative à la nullité d’une marque figurative. Une société spécialisée dans la fabrication de pneumatiques avait obtenu l’enregistrement d’un signe représentant les rainures spécifiques d’une bande de roulement. Une entreprise concurrente a formé une demande de nullité en soutenant que le dessin était exclusivement dicté par des impératifs de nature technique. L’autorité administrative chargée de la propriété intellectuelle a d’abord rejeté cette demande avant de prononcer l’invalidité suite à un recours interne. Le Tribunal de l’Union européenne, par un arrêt du 26 septembre 2018, a confirmé la nullité en retenant le caractère fonctionnel du dessin litigieux. Le titulaire de la marque et l’entité administrative ont alors saisi la juridiction supérieure pour obtenir l’annulation de cette décision. Le litige porte sur l’applicabilité de l’exclusion des formes techniques à un signe ne représentant qu’une partie déterminée d’un produit industriel. La Cour de justice rejette les pourvois et valide le raisonnement rigoureux suivi par les premiers juges dans l’interprétation du règlement communautaire. L’examen de cette solution conduit à analyser l’assimilation du signe partiel à la forme globale avant d’apprécier la protection de la libre concurrence.

I. L’assimilation du signe partiel à la forme globale du produit

L’extension du motif d’exclusion aux éléments constitutifs permet d’assurer une application cohérente du droit des marques sur les marchés de produits complexes.

A. L’extension de l’exclusion fonctionnelle aux éléments constitutifs

La juridiction écarte l’argument selon lequel l’interdiction de protection des formes fonctionnelles se limiterait à la seule représentation intégrale de l’objet concerné. Elle précise que « l’application de ce motif de refus ne saurait être éludée par le seul fait de l’enregistrement d’une partie seulement du produit ». Cette solution empêche les opérateurs de contourner la législation en isolant artificiellement un élément purement utilitaire de sa structure matérielle globale. L’élément représenté doit être considéré dans son contexte habituel pour déterminer si ses caractéristiques essentielles répondent à une finalité technique précise. Le droit des marques ne saurait ainsi conférer une protection indue à des composants dont la silhouette est imposée par leur usage.

B. L’appréciation concrète des caractéristiques essentielles du signe

L’identification de la fonction technique d’un signe exige une évaluation globale des éléments graphiques au regard des réalités industrielles de l’espèce traitée. Les juges soulignent que l’examen doit porter sur les caractéristiques visuelles qui exercent une influence déterminante sur le fonctionnement réel de l’objet. Il importe d’analyser si le dessin du signe apporte un avantage fonctionnel concret dans l’utilisation quotidienne du produit par le consommateur. La Cour refuse de se limiter à une perception purement ornementale lorsque le graphisme est indissociable d’une performance mécanique ou structurelle particulière. Cette approche pragmatique garantit que la qualification juridique du signe correspond fidèlement à sa nature utilitaire constatée lors de l’examen technique.

II. La sauvegarde de l’impératif de libre concurrence technique

La sanction de l’instrumentalisation du droit des marques préserve l’équilibre nécessaire entre la protection de l’identité commerciale et la liberté d’exploitation industrielle.

A. Le refus du monopole perpétuel sur les solutions utilitaires

Le régime de nullité vise à interdire l’appropriation privative et illimitée de solutions techniques dont la protection relève normalement du droit des brevets. « L’intérêt général commande d’empêcher que le droit des marques n’aboutisse à accorder à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ». La Cour garantit ainsi que les concurrents conservent la faculté d’utiliser des formes fonctionnelles indispensables à la fabrication de produits équivalents. Cette limitation de la liberté d’enregistrement protège les acteurs économiques contre les stratégies de verrouillage technologique opérées par le biais des signes distinctifs. La solution juridique assure que les progrès fonctionnels retombent dans le domaine public une fois les titres de propriété industrielle spécifiques expirés.

B. La consolidation d’une protection rigoureuse de l’innovation

La décision consacre une jurisprudence constante qui privilégie la réalité de l’usage sur la simple forme juridique du dépôt effectué auprès de l’administration. Elle confirme que le motif d’exclusion absolue fondé sur la technique constitue un pilier fondamental du droit européen de la propriété intellectuelle. Les fabricants bénéficient désormais d’une sécurité juridique accrue face aux tentatives d’appropriation de standards industriels nécessaires par des tiers sous couvert d’originalité. Cette interprétation souveraine assure la pérennité de l’innovation en évitant que des éléments techniques essentiels ne tombent sous le contrôle exclusif d’un acteur. L’arrêt renforce durablement la fluidité des marchés en maintenant l’accessibilité des formes dictées par la seule nécessité d’obtenir un résultat technique.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture