Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’étendue de l’action en responsabilité fondée sur les informations contenues dans un prospectus d’offre au public de valeurs mobilières. En l’espèce, une juridiction nationale était saisie d’un litige initié par un investisseur qualifié à l’encontre d’un émetteur, à la suite d’une souscription à une offre d’actions. L’investisseur reprochait au prospectus de contenir des informations erronées ou lacunaires lui ayant causé un préjudice. Saisie à titre préjudiciel, la Cour devait déterminer si la protection attachée au prospectus bénéficiait uniquement aux investisseurs de détail ou si elle s’étendait également aux investisseurs qualifiés. Il lui était également demandé si, dans le cadre d’une telle action, le juge national pouvait tenir compte des connaissances personnelles de l’investisseur qualifié, acquises indépendamment du prospectus. La Cour de justice répond que l’action en responsabilité est ouverte tant aux investisseurs de détail qu’aux investisseurs qualifiés. Elle ajoute que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale prenne en considération la connaissance effective ou présumée de la situation de l’émetteur par l’investisseur qualifié, à condition de ne pas rendre l’exercice de son droit d’action excessivement difficile.
La solution de la Cour affirme ainsi un principe d’universalité de la protection offerte par le prospectus (I), tout en permettant une appréciation différenciée de la situation de l’investisseur qualifié (II).
I. L’extension de l’action en responsabilité du fait du prospectus aux investisseurs qualifiés
La Cour de justice consacre une interprétation extensive de la directive, en confirmant un droit d’action indifférencié fondé sur le prospectus (A), ce qui renforce le rôle de ce dernier comme document central de l’information financière (B).
A. La confirmation d’un droit d’action indifférencié
La Cour interprète l’article 6 de la directive 2003/71/CE en faveur d’une protection large. En affirmant que « l’action en responsabilité du fait des informations fournies dans le prospectus peut être exercée non seulement par les investisseurs de détail, mais également par les investisseurs qualifiés », elle refuse d’établir une distinction fondée sur la qualité de l’investisseur quant à l’ouverture même du droit à réparation. Cette approche maximaliste garantit que toute personne, physique ou morale, ayant souscrit à une offre sur la base d’un prospectus, puisse rechercher la responsabilité de l’émetteur en cas d’information défaillante. Le raisonnement sous-jacent repose sur la finalité du prospectus, qui est d’assurer la transparence et la confiance sur les marchés de capitaux, un objectif qui concerne l’ensemble des participants, sans distinction de leur niveau de professionnalisme. En conséquence, la qualité d’investisseur qualifié ne saurait priver ce dernier d’un droit fondamental attaché à l’instrument d’information validé par l’autorité compétente.
B. La portée du prospectus comme fondement de la décision d’investissement
En unifiant le droit d’action, la Cour renforce la place centrale du prospectus dans le processus décisionnel de l’investisseur. La solution implique que le prospectus constitue le socle commun et fiable d’informations sur lequel tout investisseur, quel que soit son degré d’expertise, doit pouvoir se fonder. Une exclusion des investisseurs qualifiés du champ de la protection aurait créé une insécurité juridique et affaibli la crédibilité de ce document, en suggérant qu’il ne serait pleinement opposable qu’à l’égard des acteurs les moins avertis. En traitant le prospectus comme une base de responsabilité universelle, la Cour garantit son intégrité et sa fonction d’harmonisation au sein du marché unique des capitaux. Cette position assure que les émetteurs sont tenus à un même niveau d’exigence et de responsabilité vis-à-vis de l’ensemble des destinataires de leur offre.
II. La prise en compte de la spécificité de l’investisseur qualifié
Après avoir posé le principe de l’ouverture de l’action, la Cour nuance sa portée en admettant que la qualité de l’investisseur puisse être prise en compte dans l’appréciation de sa demande (A), tout en encadrant cette possibilité par des garanties procédurales strictes (B).
A. L’admission d’une appréciation concrète de la connaissance de l’investisseur
La seconde partie de la décision introduit une flexibilité notable, en autorisant le juge national à moduler son analyse. La Cour juge que le droit de l’Union n’interdit pas des dispositions nationales qui « permettent, voire imposent, au juge de prendre en considération le fait que cet investisseur avait ou devait avoir connaissance de la situation économique de l’émetteur ». Cette solution pragmatique reconnaît que l’investisseur qualifié, en raison de ses relations d’affaires ou de son expertise, peut détenir des informations extrinsèques au prospectus. Le juge peut donc évaluer si cet investisseur s’est réellement fié aux seules informations du prospectus ou si, en réalité, sa connaissance personnelle de la situation de l’émetteur aurait dû l’alerter ou influencer sa décision d’investissement. Il ne s’agit pas de priver l’investisseur qualifié de son droit d’agir, mais d’apprécier le lien de causalité entre l’information prétendument erronée du prospectus et le préjudice subi.
B. Les garanties procédurales comme rempart à une neutralisation du droit d’action
La Cour encadre cependant strictement cette faculté d’appréciation laissée au juge national. L’analyse de la connaissance personnelle de l’investisseur qualifié ne doit pas conduire à vider son droit de sa substance. La Cour rappelle ainsi les principes cardinaux d’équivalence et d’effectivité. Les règles nationales applicables ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des actions similaires en droit interne, ni « avoir pour effet, en pratique, de rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice de cette action ». Ce garde-fou est essentiel : il interdit aux juridictions nationales de faire peser sur l’investisseur qualifié une présomption irréfragable de connaissance qui anéantirait son droit à réparation. En définitive, si la spécificité de l’investisseur qualifié peut être prise en compte, elle ne doit pas aboutir à une exclusion de fait de la protection que la directive a vocation à lui accorder.