En l’espèce, une société mère s’était vu infliger une amende par la Commission européenne pour sa participation à une entente sur le marché des raccords en cuivre, en raison du comportement infractionnel de l’une de ses filiales qu’elle détenait intégralement. La société avait initialement saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de cette décision. Le Tribunal ayant rejeté son recours, elle a formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant notamment les conditions de l’imputation de l’infraction et soulevant pour la première fois un grief tiré de la violation de ses droits fondamentaux. La Cour était ainsi amenée à se prononcer d’une part, sur la persistance de la présomption de l’exercice d’une influence déterminante d’une société mère sur sa filiale détenue à 100 %, et d’autre part, sur la recevabilité d’un moyen nouveau fondé sur une modification du droit primaire de l’Union. Elle rejette le pourvoi en confirmant sa jurisprudence constante sur l’imputabilité au sein d’un groupe de sociétés, tout en écartant le moyen tardif comme irrecevable. La décision confirme ainsi avec fermeté les fondements de la responsabilité de la société mère pour les agissements de sa filiale (I), tout en rappelant les limites strictes du contrôle opéré par le juge du pourvoi (II).
I. La consolidation des fondements de la responsabilité de la société mère
La Cour de justice profite de cette affaire pour réaffirmer avec force la solution classique de l’imputabilité de l’infraction à la société mère en vertu de la notion d’unité économique. Elle confirme ainsi le maintien de la présomption d’influence déterminante (A) et les conséquences qui en découlent quant à la charge de la preuve (B).
A. Le maintien de la présomption d’influence déterminante
La Cour rappelle que le droit de la concurrence de l’Union s’adresse aux entreprises, dont la notion doit être entendue comme une unité économique, même si celle-ci est constituée de plusieurs personnes juridiques distinctes. Ainsi, lorsqu’une société mère et sa filiale forment une telle unité, le comportement de la seconde peut être imputé à la première sans qu’il soit besoin de démontrer une implication personnelle de celle-ci dans l’infraction.
Dans le cas spécifique d’une détention de 100 % du capital de la filiale par la société mère, la Cour confirme l’existence d’une « présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale ». Cette solution, désormais bien établie, permet aux institutions de l’Union de poursuivre efficacement les ententes en considérant le groupe de sociétés dans sa globalité économique, plutôt que de se limiter à la structure juridique formelle de ses composantes.
B. La charge de la preuve, un obstacle difficilement surmontable
Le caractère réfragable de la présomption implique que la société mère a la possibilité de la renverser. Cependant, la Cour précise que la charge de cette preuve repose entièrement sur la société concernée. C’est à elle qu’il incombe de fournir des éléments probants suffisants pour démontrer que sa filiale agissait sur le marché de manière totalement autonome.
En pratique, le renversement de cette présomption se révèle particulièrement ardu. Il ne suffit pas d’invoquer la séparation formelle des deux entités juridiques. La société mère doit apporter la preuve concrète que, malgré la détention intégrale du capital, elle s’est abstenue d’exercer son pouvoir de direction et que la filiale a déterminé sa politique commerciale de façon indépendante. Cette exigence probatoire élevée renforce considérablement l’efficacité du mécanisme d’imputation et la portée de la responsabilité de la société mère.
Au-delà de la question de fond relative à l’imputabilité, l’arrêt se distingue par son rappel rigoureux des règles encadrant l’office du juge de cassation européen.
II. Le rappel des limites strictes du contrôle du juge du pourvoi
La Cour de justice saisis d’un pourvoi, n’est pas un second degré de juridiction. Elle exerce un contrôle limité à la correcte application du droit par le Tribunal. Cette affaire illustre cette retenue à travers le rejet d’un moyen présenté tardivement (A) et le refus de réexaminer l’appréciation des faits opérée par les premiers juges (B).
A. L’irrecevabilité du moyen nouveau malgré l’évolution du droit
Devant la Cour, la société requérante a tenté de soulever pour la première fois un moyen fondé sur la violation de son droit à un procès équitable, garanti notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Pour justifier l’introduction tardive de ce grief, elle soutenait que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne constituait un fait nouveau.
La Cour écarte sèchement cet argument. Elle rappelle que les moyens nouveaux sont en principe irrecevables au stade du pourvoi, car celui-ci se limite à un contrôle de la décision du Tribunal. Elle juge que la modification du droit primaire de l’Union, bien que substantielle, ne saurait être qualifiée de « fait nouveau » au sens du règlement de procédure, qui permettrait exceptionnellement de déroger à cette règle. Cette position stricte garantit la cohérence et la prévisibilité de la procédure contentieuse.
B. Le contrôle restreint de l’appréciation des faits et des preuves
Enfin, l’arrêt rejette l’argument de la société selon lequel le Tribunal aurait dénaturé certains éléments de preuve. La Cour de justice rappelle avec constance que son contrôle ne porte pas sur l’appréciation des faits, laquelle relève de la compétence exclusive du Tribunal.
Le pourvoi n’est ouvert qu’aux questions de droit. La seule exception à ce principe est le cas de la dénaturation, qui suppose que le Tribunal ait manifestement altéré le sens clair et précis d’un élément de preuve. La Cour souligne qu’une simple divergence d’interprétation des faits ou des preuves ne suffit pas à caractériser une telle dénaturation. En l’absence d’une démonstration d’une erreur manifeste commise par le Tribunal, la Cour refuse de substituer sa propre appréciation à celle des juges du fond, réaffirmant ainsi les contours de sa compétence en tant que juge de cassation.