Cour de justice de l’Union européenne, le 3 mai 2018, n°C-376/16

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt de sa quatrième chambre du 20 décembre 2017, précise le contrôle des procédures de passation des marchés publics. Une agence de l’Union avait rejeté l’offre d’un groupement de sociétés pour un marché de développement informatique au profit de trois autres soumissionnaires. Le Tribunal de l’Union européenne, dans son arrêt du 27 avril 2016, avait annulé les décisions de l’agence et ordonné la réparation du préjudice subi. L’agence a formé un pourvoi contre cette décision devant la juridiction supérieure de l’Union afin d’obtenir son annulation intégrale sur plusieurs moyens de droit. Le litige porte sur l’étendue de l’obligation de motivation incombant au pouvoir adjudicateur et sur les conditions de mise en œuvre de la responsabilité non contractuelle. La Cour confirme l’annulation du rejet de l’offre pour insuffisance de motivation, mais refuse toute indemnisation au titre de la perte d’une chance.

I. La sanction des irrégularités entachant la procédure de sélection

A. Le renforcement de l’exigence de motivation technique

La juridiction rappelle que le pouvoir adjudicateur doit communiquer les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire. Cette obligation de transparence permet aux candidats évincés de vérifier la régularité de l’évaluation opérée par les services de l’administration européenne. La Cour estime qu’il n’était pas possible « d’établir une corrélation entre les commentaires spécifiques négatifs et les déductions de points, qui avaient eu un impact sur le score total ». Une simple grille de notation globale s’avère insuffisante lorsque le rapport d’évaluation contient des jugements négatifs précis sans ventilation par sous-critères. Le juge souligne que le soumissionnaire doit pouvoir comprendre le poids respectif des éléments ayant conduit à la détermination de sa note chiffrée définitive.

B. Le respect impératif du périmètre des prétentions des parties

Le juge de l’Union européenne ne peut pas statuer au-delà des demandes formulées par les requérants au cours de l’instance devant la juridiction. La Cour censure ici le Tribunal pour avoir examiné un motif d’exclusion auquel les sociétés évincées avaient expressément renoncé lors de l’audience. Elle rappelle le principe selon lequel « le litige est en principe déterminé et circonscrit par les parties et que le juge de l’Union ne peut statuer ultra petita ». Cette limitation protège la sécurité juridique des institutions en évitant que le juge ne supplante la volonté des plaideurs par sa propre initiative. L’annulation de la décision de rejet demeure néanmoins acquise car les erreurs manifestes d’appréciation concernant la valeur technique de l’offre n’ont pas été contestées.

II. L’encadrement strict du droit à réparation du soumissionnaire évincé

A. La preuve nécessaire de la probabilité du succès de l’offre

L’engagement de la responsabilité de l’Union suppose la réunion de trois conditions cumulatives relatives à l’illégalité, au dommage et au lien de causalité. Le juge souligne que le préjudice invoqué doit être réel et certain pour ouvrir un droit à une compensation financière effective. La Cour précise qu’il « incombe à la partie mettant en cause la responsabilité non contractuelle de l’Union d’apporter des preuves concluantes tant de l’existence que de l’étendue du préjudice ». Dans cette affaire, les sociétés n’avaient pas démontré que l’application correcte des critères de sélection leur aurait permis d’obtenir un meilleur classement final. La simple allégation d’une chance perdue ne saurait suffire à établir le lien de cause à effet requis par le droit de l’Union.

B. Le rejet de l’indemnisation pour absence de lien de causalité direct

Le Tribunal de l’Union européenne avait initialement admis que l’illégalité du comportement de l’agence justifiait la réparation de la perte d’une chance de succès. La Cour infirme cette analyse en constatant l’absence de preuves relatives à la position qu’aurait occupée le candidat sans les fautes commises. Elle considère que la demande indemnitaire doit être rejetée dès lors que les requérantes se sont limitées à invoquer l’existence d’un lien sans précision complémentaire. L’arrêt rappelle que le préjudice « doit découler de façon suffisamment directe du comportement illégal des institutions » pour être valablement indemnisé par le juge. Cette solution protège les deniers publics contre des demandes de dommages et intérêts dont le fondement resterait trop incertain ou purement hypothétique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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