Par un arrêt du 3 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par la Cour de cassation du Luxembourg, a précisé le champ d’application de la directive 98/59/CE relative aux licenciements collectifs. Cette décision portait sur l’obligation d’information et de consultation des représentants des travailleurs dans le cadre de la dissolution et de la liquidation judiciaire d’une entreprise pour insolvabilité. En l’espèce, un établissement de crédit avait été placé en sursis de paiement, puis, sur requête du Procureur d’État, sa dissolution et sa liquidation avaient été ordonnées par une décision de justice. Les liquidateurs nommés avaient alors notifié aux salariés la cessation de leurs contrats de travail avec effet immédiat, en application d’une disposition du droit national luxembourgeois. Plusieurs salariés, dont des représentants du personnel et une salariée enceinte, avaient contesté la validité de cette rupture devant les juridictions du travail, arguant du non-respect des procédures de licenciement collectif. Leurs demandes de réintégration ayant été rejetées en première instance puis en appel, au motif que la liquidation judiciaire justifiait la résiliation immédiate des contrats et rendait toute réintégration impossible, un pourvoi fut formé. La Cour de cassation a alors interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de la pratique nationale avec le droit de l’Union. La question de droit soulevée était double : il s’agissait de déterminer si la directive 98/59/CE s’applique aux licenciements consécutifs à une décision de justice ordonnant la liquidation d’une entreprise pour insolvabilité, même lorsque le droit national prévoit une résiliation automatique des contrats, et, dans l’affirmative, de savoir qui doit assumer les obligations de l’employeur. La Cour y répond en affirmant que la directive est bien applicable dans une telle situation et que les obligations qu’elle édicte doivent être remplies par la direction de l’entreprise ou, à défaut, par le liquidateur tant que la personnalité juridique de l’établissement subsiste.
L’arrêt étend ainsi le bénéfice des garanties procédurales aux salariés confrontés à une liquidation judiciaire (I), tout en assurant l’effectivité de ces obligations par une désignation pragmatique de leur débiteur (II).
I. L’application confirmée de la directive aux licenciements résultant d’une liquidation judiciaire
La Cour de justice étend la protection offerte par la directive 98/59/CE en affirmant son applicabilité aux cas de cessation d’activité ordonnée par la justice (A), neutralisant ainsi les dispositions nationales contraires qui prévoient une rupture immédiate des contrats de travail (B).
A. Une protection étendue à la cessation d’activité sur décision de justice
La Cour rappelle l’évolution du droit de l’Union, qui a conduit à inclure les cessations d’activité résultant d’une décision judiciaire dans le champ des licenciements collectifs. La directive initiale de 1975 excluait expressément cette hypothèse, mais cette exception a été supprimée par la directive 92/56/CEE. Cette suppression a marqué la volonté du législateur d’élargir la protection des travailleurs. La Cour souligne que la directive 98/59/CE, qui codifie les textes antérieurs, reprend cette logique extensive, son neuvième considérant précisant qu’il « convient de prévoir que la présente directive s’applique en principe également aux licenciements collectifs notamment à la suite d’une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice ». Par cette analyse téléologique et historique, l’arrêt établit que la procédure d’information et de consultation des travailleurs est une garantie fondamentale qui doit s’appliquer dans la quasi-totalité des scénarios de licenciements collectifs, indépendamment de leur origine administrative, économique ou judiciaire.
B. La primauté de la directive sur la résiliation immédiate de droit national
La Cour de justice écarte l’argument selon lequel la législation nationale, en prévoyant une résiliation immédiate des contrats de travail, ferait obstacle à l’application de la directive. Elle juge que la circonstance qu’une norme interne entraîne automatiquement la rupture des contrats ne saurait priver les travailleurs des droits qui leur sont conférés par le droit de l’Union. La solution est une manifestation claire du principe de primauté. La Cour affirme ainsi que les articles 1er à 3 de la directive « s’appliquent à la cessation des activités d’un établissement employeur à la suite d’une décision de justice ordonnant sa dissolution et sa liquidation pour insolvabilité, alors même que, dans le cas d’une telle cessation, la législation nationale prévoit la résiliation avec effet immédiat des contrats de travail des travailleurs ». L’impossibilité matérielle de procéder aux consultations, avancée par l’employeur en liquidation, est rejetée comme étant une conséquence du droit national qui ne peut justifier une dérogation à une obligation issue d’une directive. L’arrêt garantit de la sorte l’effet utile de la protection sociale européenne face aux particularismes des droits nationaux en matière de procédures collectives.
II. La détermination du débiteur des obligations d’information et de consultation
Après avoir posé le principe de l’applicabilité de la directive, la Cour se penche sur la question de son exécution pratique en identifiant la personne tenue de satisfaire aux obligations procédurales (A), renforçant par là même l’effet utile des droits des travailleurs (B).
A. L’identification de l’employeur durant la procédure de liquidation
La Cour adopte une approche fonctionnelle pour déterminer qui, dans le contexte d’une liquidation, doit être considéré comme l’employeur au sens de la directive. Elle constate que la personnalité morale de l’établissement subsiste pour les besoins de la liquidation, et ce jusqu’à sa clôture. Par conséquent, l’entité employeur continue d’exister juridiquement et reste tenue par ses obligations sociales. La responsabilité de leur mise en œuvre incombe à l’organe qui assure la gestion effective de l’entreprise. La Cour énonce que « les obligations qui incombent à l’employeur en vertu de ces articles doivent être exécutées par la direction de l’établissement en cause, lorsqu’elle reste en place, même avec des pouvoirs limités quant à la gestion de cet établissement, ou par le liquidateur de celui-ci, dans la mesure où la gestion dudit établissement est reprise entièrement par ce liquidateur ». Cette solution pragmatique assure qu’il existe toujours un interlocuteur responsable face aux représentants des travailleurs, que ce soit l’ancienne direction si elle conserve un rôle, ou le liquidateur qui la remplace dans ses fonctions de gestion.
B. Le renforcement de l’effet utile de la directive
En désignant le liquidateur comme débiteur éventuel des obligations, la Cour veille à ce que la directive ne soit pas vidée de sa substance dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité. Même si l’objectif d’éviter les licenciements peut sembler compromis, les consultations conservent toute leur pertinence pour « atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés ». La Cour va plus loin en confiant un rôle subsidiaire mais essentiel au juge national. Si le droit interne ne désigne aucune personne pour accomplir ces obligations, il incombe au juge d’interpréter sa législation « à la lumière du texte et des objectifs de la directive 98/59, de sorte que les obligations figurant aux articles 2 et 3 de celle-ci soient respectées et exécutées ». Cette injonction, fondée sur le principe de l’interprétation conforme, transforme le juge national en garant ultime de l’effectivité des droits sociaux européens, même en cas de silence ou d’ambiguïté de la loi nationale.