Cour de justice de l’Union européenne, le 3 mars 2011, n°C-50/09

Par un arrêt du 3 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en première chambre, est venue préciser les contours des obligations incombant aux États membres dans le cadre de la transposition de la directive 85/337/CEE concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement. En l’espèce, la Commission européenne a introduit un recours en manquement contre un État membre, considérant que sa législation nationale ne transposait pas correctement plusieurs dispositions de ladite directive. Le litige portait sur trois griefs principaux. D’une part, la Commission reprochait à l’État membre de ne pas avoir transposé l’article 3 de la directive, qui définit le contenu même de l’évaluation environnementale. D’autre part, elle soutenait que le système national, qui répartissait les compétences décisionnelles entre plusieurs autorités sans garantir une évaluation globale et coordonnée, ne respectait pas les articles 2 à 4 de la directive. Enfin, elle critiquait l’exclusion des travaux de démolition du champ d’application de la législation de transposition. L’État membre défendeur contestait ces griefs, arguant notamment d’une transposition suffisante par le contexte juridique général et la jurisprudence nationale, de la validité d’un système d’autorisation à plusieurs niveaux et du fait que les travaux de démolition n’entraient pas dans la définition d’un « projet » au sens de la directive. La question de droit posée à la Cour consistait donc à déterminer si un État membre manque à ses obligations en omettant de transposer formellement l’obligation substantielle d’évaluation, en instituant une procédure d’autorisation fragmentée sans coordination obligatoire, et en excluant par principe les travaux de démolition du mécanisme d’évaluation environnementale. La Cour de justice a accueilli l’ensemble des griefs de la Commission. Elle a jugé que l’article 3 constituait une disposition fondamentale imposant une obligation d’évaluation distincte qui ne saurait être satisfaite par la simple transposition des dispositions procédurales. Elle a également considéré qu’un système impliquant plusieurs autorités n’est conforme à la directive qu’à la condition qu’il garantisse une évaluation complète et préalable à l’octroi de l’autorisation. Enfin, elle a affirmé que les travaux de démolition peuvent constituer un « projet » soumis à évaluation.

Cet arrêt vient ainsi clarifier la portée substantielle de l’obligation d’évaluation environnementale (I), avant de consacrer l’exigence d’une évaluation complète et intégrée en cas de pluralité d’autorités compétentes (II).

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I. La clarification de la portée substantielle de l’obligation d’évaluation environnementale

La Cour de justice saisit l’occasion de ce recours en manquement pour réaffirmer le caractère fondamental de l’obligation d’évaluation qui pèse sur l’autorité compétente (A) et pour consacrer une interprétation large de la notion de « projet » en y incluant les travaux de démolition (B).

A. L’affirmation du caractère fondamental de l’obligation d’évaluation pesant sur l’autorité compétente

La Cour opère une distinction nette entre l’obligation d’évaluation prévue à l’article 3 de la directive 85/337 et les autres dispositions de nature essentiellement procédurale. Elle juge que la simple transposition des articles 4 à 11, qui encadrent la collecte d’informations et la consultation du public, ne suffit pas à satisfaire aux exigences de l’article 3. Celui-ci ne se contente pas d’imposer la prise en considération des informations fournies par le maître d’ouvrage, mais met à la charge de l’autorité compétente une obligation substantielle de réaliser elle-même l’évaluation. Selon la Cour, « cette évaluation, qui doit être réalisée en amont du processus décisionnel, implique un examen au fond des informations collectées ainsi qu’une réflexion sur l’opportunité de les compléter, le cas échéant, par des données supplémentaires ». L’autorité environnementale doit donc se livrer à un véritable « travail aussi bien d’investigation que d’analyse » pour apprécier pleinement les effets du projet.

En qualifiant l’article 3 de « disposition fondamentale », la Cour souligne que l’évaluation n’est pas un simple exercice formel de compilation d’informations. Elle constitue le cœur du dispositif de la directive, exigeant une démarche active et critique de l’autorité publique pour garantir une protection élevée de l’environnement. Cette interprétation refuse qu’un contexte juridique général ou une jurisprudence nationale incertaine puisse pallier l’absence d’une transposition claire et précise, réaffirmant l’impératif de sécurité juridique pour les droits que la directive confère aux particuliers. Le sens de cette décision est donc de renforcer le rôle de l’autorité publique, qui ne peut se contenter d’être un simple réceptacle des études fournies par le promoteur du projet.

B. L’inclusion extensive des travaux de démolition dans la notion de « projet »

L’arrêt étend par ailleurs le champ d’application de la directive en précisant que les travaux de démolition peuvent constituer un « projet » au sens de son article 1er, paragraphe 2. La Cour rejette l’argument de l’État membre selon lequel l’absence de mention explicite de ces travaux dans les annexes de la directive les exclurait de son champ. Elle estime que de tels travaux peuvent être qualifiés d’« autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage ». Cette interprétation textuelle est renforcée par une approche téléologique. La Cour relève en effet que si les travaux de démolition étaient exclus, « les références au ‘patrimoine culturel’ à l’article 3 de celle-ci, […] et ‘au patrimoine architectural et archéologique’ à l’annexe IV, point 3, de cette dernière seraient dépourvues d’objet ».

Cette solution est d’une portée considérable. Elle garantit que la destruction d’ouvrages, susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment sur le patrimoine culturel et architectural ou sur le paysage, soit soumise à une évaluation préalable. La Cour confirme ainsi que la notion de « projet » doit être interprétée largement afin d’assurer l’effet utile de la directive. La valeur de cette clarification réside dans sa capacité à prévenir des situations où des opérations de démolition d’envergure échapperaient à tout contrôle environnemental au prétexte qu’elles ne constitueraient pas des « travaux de construction ». Elle soumet ainsi des opérations potentiellement destructrices pour le patrimoine aux mêmes garanties procédurales que les projets de construction.

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II. La garantie d’une évaluation complète et préalable en cas de pluralité d’autorités

Après avoir précisé le contenu et le champ de l’obligation d’évaluation, la Cour se penche sur ses modalités de mise en œuvre, en posant l’exigence d’une évaluation intégrale et préalable à l’autorisation (A), ce qui la conduit à censurer un système national d’autorisation fragmenté et non coordonné (B).

A. L’exigence d’une évaluation intégrale et préalable à l’octroi de l’autorisation

La Cour rappelle que, si les États membres sont libres de désigner une ou plusieurs autorités compétentes pour l’application de la directive, cette liberté ne peut s’exercer qu’en respectant les objectifs de celle-ci. Le principe cardinal, énoncé à l’article 2, paragraphe 1, est que l’évaluation des incidences sur l’environnement doit avoir lieu « avant l’octroi de l’autorisation ». La Cour en déduit que « l’examen des effets directs et indirects d’un projet sur les facteurs visés à l’article 3 de la même directive et sur l’interaction entre ces facteurs soit intégralement effectué avant ledit octroi ». La pluralité d’autorités n’est donc admise qu’à la condition que leurs compétences respectives et les règles gouvernant leur intervention garantissent une évaluation complète et en temps utile.

Cette position réaffirme que l’autorisation finale ne peut être accordée que sur la base d’un examen global et achevé de toutes les incidences environnementales du projet. Il ne saurait être question qu’une partie de la décision soit prise sans que l’ensemble des impacts, y compris l’interaction entre les différents facteurs (homme, faune, sol, eau, air, etc.), ait été évalué. Le caractère préalable de l’évaluation est ainsi la garantie de son efficacité, en permettant d’influencer la conception même du projet ou de justifier un refus d’autorisation avant que des décisions irréversibles ne soient prises. L’analyse de la Cour met en lumière la nécessité d’une vision d’ensemble, particulièrement cruciale lorsque les compétences sont réparties.

B. Le rejet d’un système d’autorisation fragmenté sans coordination obligatoire

La Cour examine ensuite le système national litigieux, où une autorité est compétente pour l’aménagement du territoire et une autre pour les aspects liés à la pollution. Elle constate une lacune structurelle dans la mesure où rien n’empêche juridiquement la seconde autorité de statuer sur sa partie de l’autorisation avant que la première, seule habilitée à exiger une évaluation des incidences sur l’environnement, n’ait été saisie. La simple possibilité pour les autorités de se consulter, sans que cela constitue une obligation, est jugée insuffisante. La Cour conclut qu’il « ne peut donc être exclu que l’Agence, en tant qu’autorité chargée de se prononcer sur l’autorisation d’un projet au regard des aspects liés à la pollution, statue sans qu’ait été réalisée une évaluation des incidences sur l’environnement conforme aux articles 2 à 4 de la directive 85/337 ».

En censurant ce manque de coordination, la Cour souligne l’importance de l’évaluation de l’interaction entre les facteurs environnementaux, prévue à l’article 3. Une répartition étanche des compétences risque précisément de faire obstacle à une telle évaluation intégrée. La décision implique que, en cas de pluralité d’autorités, le droit national doit prévoir des mécanismes de coordination contraignants pour assurer qu’une seule et même évaluation, complète et cohérente, soit réalisée et prise en compte par toutes les autorités avant que l’autorisation finale de réaliser le projet ne soit délivrée. La simple opportunité pratique ou la possibilité discrétionnaire de coopérer n’offrent pas la sécurité juridique requise par le droit de l’Union.

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