Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa neuvième chambre, a précisé les critères de classement tarifaire d’un produit alimentaire destiné aux animaux. En l’espèce, une société avait sollicité le classement d’un concentré protéique de soja, obtenu après plusieurs étapes de transformation. Ce produit, issu de la farine d’extraction de soja, subissait un traitement supplémentaire visant à en retirer les graisses, les hydrates de carbone et certaines substances nocives, le rendant ainsi propre à la consommation par de très jeunes animaux, contrairement à la farine dont il était issu.
La procédure a débuté par une décision de l’autorité douanière néerlandaise classant le produit dans la sous-position 2309 90 31 de la nomenclature combinée (NC). Saisi par la société importatrice, le Rechtbank te Haarlem a annulé cette décision le 3 avril 2012, estimant que le produit relevait de la position 2304 00 00. L’autorité douanière a interjeté appel devant le Gerechtshof Amsterdam, qui a confirmé le jugement de première instance. Un pourvoi en cassation a alors été formé par l’administration devant le Hoge Raad der Nederlanden. Cette juridiction, considérant que le produit semblait constituer une transformation substantielle le distinguant d’un simple résidu, mais hésitant sur l’application de la position 2309 en raison de ses notes explicatives, a saisi la Cour de justice de l’Union européenne.
La question de droit soumise à la Cour consistait à déterminer si un concentré protéique de soja, obtenu par un traitement spécifique de la farine résiduelle de l’extraction de l’huile de soja pour en modifier la composition et la destination, devait être classé comme un « tourteau et autre résidu solide » de la position 2304, comme une « matière végétale » de la position résiduelle 2308, ou comme une « préparation des types utilisés pour l’alimentation des animaux » de la position 2309.
La Cour de justice a conclu que ce produit relevait de la position 2309 de la nomenclature combinée. Cette solution repose sur une interprétation stricte des libellés et des notes de la nomenclature, écartant une qualification basée sur la matière d’origine au profit d’une analyse centrée sur le degré de transformation et la finalité du produit.
Il convient d’examiner comment la Cour a écarté la qualification de simple résidu par une application rigoureuse des critères de classement (I), avant de justifier le classement en tant que préparation alimentaire en se fondant sur la transformation substantielle de la matière première (II).
I. L’ÉVICTION D’UNE QUALIFICATION TARIFAIRE AU PROFIT D’UNE ANALYSE FONCTIONNELLE
Pour déterminer le classement adéquat, la Cour a d’abord invalidé l’application de la position 2304, qui semblait pertinente en raison de l’origine du produit, en s’appuyant sur les règles d’interprétation de la nomenclature combinée. Elle a ainsi privilégié une approche fondée sur les caractéristiques objectives du produit fini plutôt que sur sa seule provenance.
A. Le rejet de la position des résidus de l’extraction de l’huile de soja
La Cour écarte la position 2304 en constatant que le produit en cause ne correspond pas à la définition d’un résidu direct. Elle relève que le concentré protéique n’est pas le résultat immédiat de l’extraction de l’huile, mais « un dérivé de ce résidu, obtenu à la suite d’un processus distinct et ultérieur, spécialement mis en œuvre afin de produire ce concentré protéique ». Cette distinction est fondamentale, car le processus additionnel ne vise pas à parfaire l’extraction de l’huile mais à élaborer un nouveau produit aux propriétés différentes.
Le raisonnement de la Cour est renforcé par la note explicative relative à la position 2304 du Système Harmonisé, qui exclut explicitement « les concentrats de protéines obtenus par élimination de certains constituants de farines de soja déshuilées ». Le produit litigieux correspondant précisément à cette description, son exclusion de la position 2304 devient inévitable. En considérant la farine d’extraction comme un produit « déshuilé » malgré la présence résiduelle d’huile, la Cour adopte une interprétation pragmatique et confirme que toute transformation ultérieure significative fait sortir le produit du champ des simples résidus.
B. L’application des critères objectifs de classement
La Cour rappelle ensuite les principes directeurs du classement tarifaire. Le critère décisif réside dans « les caractéristiques et propriétés objectives » des marchandises, déterminées par le libellé des positions et les notes de sections ou de chapitres. Si les notes explicatives du Système Harmonisé constituent des instruments précieux pour une application uniforme, elles ne sauraient cependant prévaloir sur le texte même de la nomenclature.
La Cour souligne également que la destination d’un produit peut être un critère de classement pertinent, à la condition que cette destination « soit inhérente audit produit » et puisse s’apprécier au vu de ses propriétés objectives. Cette précision est essentielle car elle prépare le terrain à l’analyse de la position 2309, où la finalité zootechnique du concentré protéique jouera un rôle central. En procédant ainsi, la Cour établit une hiérarchie claire : l’analyse textuelle prime, mais les caractéristiques fonctionnelles et la finalité inhérente au produit sont des éléments déterminants pour trancher entre plusieurs positions potentiellement applicables.
II. LA CONSÉCRATION D’UNE QUALIFICATION FONDÉE SUR LA TRANSFORMATION SUBSTANTIELLE DU PRODUIT
Après avoir écarté la position 2304, la Cour justifie le choix de la position 2309 en démontrant que le concentré protéique de soja correspond à la définition d’une « préparation ». Cette qualification repose sur l’existence d’une transformation qui altère la nature même de la matière d’origine pour lui conférer une nouvelle fonction.
A. La qualification de « préparation » au sens de la position 2309
La Cour se réfère à sa jurisprudence antérieure pour définir la notion de « préparation » comme impliquant soit la transformation d’un produit, soit un mélange de produits. En l’espèce, le concentré protéique de soja a bien subi une « transformation définitive » qui le rend propre exclusivement à l’alimentation animale. Le processus industriel ne se limite pas à un simple nettoyage ou tri, mais modifie la composition chimique du produit en réduisant sa teneur en certains composants pour en augmenter la valeur protéique.
Cette analyse est corroborée par la note 1 du chapitre 23 de la nomenclature combinée, qui inclut dans la position 2309 les produits qui « ont perdu les caractéristiques essentielles de la matière d’origine ». La Cour estime que tel est le cas ici, car le traitement vise à fabriquer un produit spécifique et non à isoler des déchets ou sous-produits. Le concentré protéique est l’objectif même du processus, ce qui le distingue d’un simple résidu de traitement.
B. La confirmation par l’altération des caractéristiques essentielles
L’argument décisif réside dans la finalité du traitement. Le processus de transformation poursuit un « objectif zootechnique déterminé », c’est-à-dire la création d’un aliment ingérable par de très jeunes veaux, ce que la farine d’extraction de soja n’est pas. Cette modification fonctionnelle, directement liée à l’altération de sa composition, démontre que le produit a perdu les caractéristiques de la matière d’origine pour en acquérir de nouvelles.
Enfin, la Cour écarte les doutes soulevés par la juridiction de renvoi concernant les notes explicatives de la position 2309. Elle précise que le produit n’est pas une simple matière relevant en tant que telle d’une position déterminée, puisqu’il est précisément le résultat d’une transformation l’ayant fait sortir de la position 2304. De même, le caractère résiduel de la position 2308 s’oppose à son application, dès lors que la position 2309 décrit plus spécifiquement le produit en cause. La Cour affirme ainsi la primauté d’une position spécifique sur une position générale ou résiduelle, conformément à la règle générale d’interprétation 3 a) de la nomenclature.