Par un arrêt en date du 3 mars 2022, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la légalité d’une sanction pécuniaire infligée par le Service européen pour l’action extérieure à l’un de ses agents. La Cour était saisie d’un pourvoi contre une ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 29 janvier 2020, laquelle avait rejeté le recours en annulation formé par l’agent concerné.
En l’espèce, le Service européen pour l’action extérieure avait pris, le 27 novembre 2017, une décision emportant une retenue sur le salaire de son agent à hauteur de soixante-douze jours calendaires. L’agent avait alors introduit une réclamation le 3 janvier 2018, qui fut rejetée par une nouvelle décision de l’autorité administrative en date du 2 mai 2018. Saisi par l’agent, le Tribunal de l’Union européenne avait confirmé la légalité de la sanction. Se posait dès lors devant la Cour de justice la question de savoir si le contrôle opéré par le juge de première instance était exempt d’erreur de droit et si la sanction administrative contestée respectait les exigences de la légalité.
À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative en annulant l’ensemble des décisions antérieures. Elle casse d’abord l’ordonnance du Tribunal, puis annule les décisions du Service européen pour l’action extérieure. La Cour ordonne en conséquence le remboursement des sommes indûment prélevées, avec intérêts, et met l’ensemble des dépens à la charge de l’institution. Cette solution, qui se déploie en deux temps, consiste à la fois en une censure de l’analyse juridique du premier juge et en une annulation de la sanction administrative elle-même.
Il convient donc d’examiner la manière dont la Cour de justice invalide une sanction qu’elle juge illégale (I), avant d’analyser la portée de cette décision en termes de renforcement de la protection juridictionnelle des agents de l’Union (II).
I. L’invalidation d’une sanction administrative jugée illégale
La décision de la Cour de justice opère une double annulation. Elle censure d’abord l’appréciation portée par le juge de première instance qui avait validé la sanction (A), pour ensuite procéder elle-même à l’annulation de la décision administrative initiale (B).
A. La censure de l’appréciation du juge de première instance
En premier lieu, la Cour de justice prononce l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne en date du 29 janvier 2020. Par cette première mesure, énoncée comme le point liminaire de son dispositif, la Cour juge que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son office. En tant que juge du pourvoi, son contrôle se limite en principe aux questions de droit, et la cassation de la décision attaquée signifie que le raisonnement juridique suivi par les premiers juges était vicié.
La formule, sobre et directe, « L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 29 janvier 2020 […] est annulée », établit sans équivoque la défaillance du contrôle juridictionnel opéré en première instance. Le Tribunal n’a pas correctement appliqué les règles de droit pertinentes ou a insuffisamment motivé sa décision de rejet du recours de l’agent. En agissant ainsi, la Cour de justice rappelle que le juge de l’Union doit exercer un contrôle entier sur la légalité des actes administratifs, particulièrement lorsque ceux-ci portent grief à un fonctionnaire.
B. L’annulation de la sanction administrative contestée
En second lieu, statuant sur le fond du litige après avoir cassé la décision du Tribunal, la Cour procède elle-même à l’annulation des actes administratifs litigieux. Elle annule ainsi « la décision du Service européen pour l’action extérieure (seae) du 27 novembre 2017 emportant une retenue sur salaire à concurrence de 72 jours calendaires et la décision du seae du 2 mai 2018 rejetant la réclamation ». Cette intervention directe anéantit rétroactivement la sanction disciplinaire et la décision confirmative qui avait suivi.
La Cour ne se contente pas de constater l’illégalité, elle en tire les conséquences pécuniaires immédiates en condamnant le Service européen pour l’action extérieure « à rembourser à la requérante les montants indûment déduits de sa rémunération, à concurrence de 71,5 jours ». La précision de ce montant, légèrement inférieur à la sanction initiale, témoigne d’un examen méticuleux des faits et du calcul de la sanction. Elle suggère que seule une fraction minime de la sanction aurait pu être justifiée, ou qu’une erreur de calcul a été corrigée, ce qui souligne la rigueur de l’analyse menée par la Cour.
Cette annulation contentieuse et ses conséquences financières directes illustrent un contrôle juridictionnel approfondi, qui s’étend au-delà de la simple légalité externe de l’acte pour en vérifier la justification matérielle. Cette approche renforce significativement la position des agents de l’Union face à l’administration.
II. Le renforcement de la protection juridictionnelle des agents de l’Union
Au-delà de la solution d’espèce, cet arrêt a une valeur et une portée notables. Il réaffirme avec force le principe d’un contrôle juridictionnel effectif sur les actes de l’administration (A) et consolide par là même les garanties offertes aux fonctionnaires européens (B).
A. La réaffirmation du contrôle juridictionnel sur les actes de l’administration
La décision commentée constitue un rappel important du principe de légalité auquel sont soumises les institutions de l’Union, y compris dans l’exercice de leur pouvoir disciplinaire. En annulant les décisions du Service européen pour l’action extérieure, la Cour de justice démontre qu’aucune administration n’est au-dessus du droit et que ses actes doivent pouvoir être soumis à un contrôle juridictionnel complet. Le pouvoir disciplinaire ne saurait être discrétionnaire.
La condamnation du Service européen pour l’action extérieure à supporter l’intégralité des dépens, tant ceux de la première instance que ceux du pourvoi, vient renforcer ce message. Cette sanction processuelle souligne la faute commise par l’administration dans l’édiction d’un acte illégal et dans sa persistance à le défendre en justice. De plus, l’obligation de verser des intérêts moratoires, fixés à un « taux de 5 % par an », vise non seulement à réparer intégralement le préjudice subi par l’agent, mais aussi à inciter l’administration à agir avec plus de diligence et de rigueur à l’avenir.
B. La portée de la solution pour la garantie des droits des fonctionnaires
La portée de cet arrêt réside dans le signal clair qu’il envoie quant à la protection des droits des agents de l’Union. La solution retenue assure aux fonctionnaires qu’ils disposent d’une voie de recours efficace pour contester les décisions qui leur font grief. La censure du Tribunal, suivie de l’annulation de la sanction, montre que la Cour de justice est prête à exercer un contrôle rigoureux pour garantir le respect de leurs droits statutaires.
En entrant dans le détail du décompte des jours de salaire à rembourser, la Cour manifeste sa volonté de ne pas se limiter à une annulation de principe. Elle veille à ce que la réparation du préjudice soit concrète, effective et précise. Cette approche pragmatique confère une grande force à sa décision et offre une sécurité juridique accrue aux agents, qui peuvent avoir confiance dans le fait que le juge européen examinera leur situation avec la plus grande attention. Cet arrêt s’inscrit ainsi dans une jurisprudence protectrice des droits fondamentaux au sein de la fonction publique européenne.