Cour de justice de l’Union européenne, le 3 mars 2022, n°C-171/20

En présence d’une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, une personne fit l’objet d’une procédure de rectification fiscale aboutissant à une majoration d’impôt. Par la suite, une procédure pénale fut engagée contre elle pour les mêmes faits, la conduisant à une condamnation pour délit de fraude fiscale. La personne condamnée forma un pourvoi en cassation, estimant que sa condamnation pénale méconnaissait le principe *ne bis in idem*. Elle soutenait que la sanction administrative fiscale, déjà définitive, revêtait un caractère répressif et faisait donc obstacle à une nouvelle poursuite de nature pénale fondée sur une même omission déclarative. La Cour de cassation a alors décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agissait de déterminer si le principe selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement deux fois pour une même infraction, garanti par le droit de l’Union, s’oppose à une réglementation nationale permettant le cumul d’une sanction administrative et d’une sanction pénale pour des faits identiques de dissimulation de taxe. Par son arrêt du 5 mai 2022, la Cour de justice a précisé les conditions strictes auxquelles un tel cumul de poursuites et de sanctions doit satisfaire pour être jugé compatible avec les exigences du droit de l’Union.

Le droit de l’Union n’interdit pas par principe aux États membres de mettre en œuvre des réponses répressives duales, administrative et pénale, pour lutter contre la fraude fiscale. Cette faculté est cependant subordonnée au respect de conditions matérielles et procédurales rigoureuses, dont le contrôle récurrent par la Cour de justice en dessine progressivement les contours, assurant ainsi une protection effective des droits fondamentaux au sein de l’ordre juridique européen.

I. La consécration d’un cumul conditionné des sanctions administratives et pénales

La Cour admet la possibilité pour un État membre de cumuler des sanctions de nature pénale pour une même infraction fiscale (A), mais encadre cette faculté par la poursuite d’objectifs d’intérêt général distincts et complémentaires (B).

A. L’extension de la notion d’infraction à caractère pénal

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la notion de « sanction de nature pénale » doit être interprétée de manière autonome au regard du droit de l’Union. Pour déterminer si une sanction administrative fiscale relève de la matière pénale, trois critères doivent être examinés : « la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature même de l’infraction ainsi que la nature et le degré de sévérité de la sanction ». En l’espèce, bien que qualifiée d’administrative en droit interne, la majoration d’impôt présentait un caractère répressif. Elle ne visait pas seulement à réparer un préjudice financier, mais bien à punir un comportement frauduleux et à prévenir sa réitération. La nature de l’infraction, portant atteinte à un intérêt social fondamental, et la sévérité de la sanction, calculée sur un pourcentage élevé des droits éludés, confirmaient son caractère pénal au sens du droit de l’Union. En qualifiant ainsi la sanction fiscale, la Cour la fait entrer dans le champ de protection du principe *ne bis in idem*, rendant un cumul avec une sanction pénale stricto sensu potentiellement problématique.

B. La justification du cumul par des finalités complémentaires

Pour justifier une dérogation au principe *ne bis in idem*, la Cour exige que le cumul des procédures poursuive des objectifs d’intérêt général complémentaires. Une réglementation nationale peut prévoir une double sanction si elle vise « des finalités complémentaires présentant un lien entre elles ». En matière fiscale, la sanction administrative a pour but principal d’assurer la correcte perception de l’impôt et de dissuader les contribuables de commettre des irrégularités. La sanction pénale, quant à elle, vise à réprimer les atteintes les plus graves à l’ordre public financier et à protéger la société dans son ensemble. La Cour reconnaît que ces deux finalités, bien que distinctes, sont complémentaires dans la lutte contre la délinquance économique et financière. Elle admet donc qu’un État membre puisse considérer que la seule sanction administrative est insuffisante pour traiter les cas de fraude les plus graves, justifiant ainsi le recours additionnel à la voie pénale pour atteindre un objectif de répression renforcée.

II. L’exigence d’une articulation coordonnée et proportionnée des procédures

La simple existence de finalités complémentaires ne suffit pas à valider un cumul répressif ; celui-ci doit également être organisé par des règles claires et prévisibles (A) et garantir que la charge globale pour le justiciable demeure strictement nécessaire (B).

A. La nécessité de règles de coordination claires et prévisibles

La Cour de justice insiste sur l’obligation pour les États membres de prévoir des normes permettant d’assurer une coordination entre les différentes autorités compétentes. Une législation autorisant un cumul de poursuites doit comporter « des règles claires et précises permettant au justiciable de prévoir quels actes ou omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un tel cumul ». En outre, les procédures administrative et pénale doivent être menées de manière suffisamment coordonnée dans le temps afin d’éviter que le justiciable ne subisse les inconvénients d’une répétition des poursuites sur une trop longue période. Cette exigence de prévisibilité et de coordination vise à limiter l’incertitude juridique et à garantir le droit à un procès équitable. Le justiciable ne doit pas être soumis à des procédures parallèles désarticulées, mais à un ensemble répressif cohérent et prévisible dans son déroulement.

B. Le contrôle de la proportionnalité de la charge répressive globale

Enfin, la Cour impose une condition de proportionnalité stricte. Si un cumul est autorisé, les autorités nationales doivent s’assurer que « l’ensemble des sanctions infligées ne dépasse pas la gravité de l’infraction constatée ». Cela implique l’existence de mécanismes permettant au juge pénal, lorsqu’il fixe sa sanction, de tenir compte de la sanction administrative déjà infligée. La charge punitive globale résultant du cumul ne doit pas être excessive par rapport à ce qu’une procédure unique aurait permis. La Cour précise que la législation doit prévoir des règles garantissant que la sévérité de l’ensemble des peines soit limitée à ce qui est « strictement nécessaire ». C’est sur ce point que la solution se montre la plus exigeante, en demandant non seulement une prise en compte de la première sanction, mais également une véritable coordination assurant que le résultat final respecte le principe de proportionnalité des peines.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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