La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 3 mars 2022, un arrêt fondamental concernant la rémunération des médecins engagés dans une formation de spécialisation. Plusieurs praticiens ont accompli des cursus au sein d’un État membre, certains ayant débuté leurs études avant 1982 alors que d’autres s’inscrivaient ultérieurement. Le litige concerne l’octroi de la rémunération appropriée prévue par les normes communautaires et la réparation du dommage résultant d’une carence dans la transposition législative.
Le Tribunale di Roma a rejeté les prétentions des demandeurs par une décision rendue durant l’année 2012 après une première phase d’examen. La Corte d’appello di Roma a confirmé cette solution le 27 septembre 2016 pour les médecins ayant entamé leur spécialisation avant l’année universitaire 1983. La juridiction suprême nationale a ensuite décidé de surseoir à statuer afin de soumettre à la Cour de justice deux interrogations essentielles à titre préjudiciel.
Les requérants affirment que le droit à un traitement financier s’applique dès lors que le cursus se poursuit au-delà de la date butoir de transposition. L’État membre objecte que les praticiens inscrits avant l’entrée en vigueur de la directive 82/76 ne peuvent légitimement prétendre à ce bénéfice pécuniaire spécifique. La question est de savoir si l’exigence de rémunération s’impose pour des formations commencées avant janvier 1982 mais poursuivies après le 1er janvier 1983.
La Cour juge que ces formations ouvrent droit à rémunération pour la période courant du 1er janvier 1983 jusqu’à l’achèvement complet du cycle d’études. L’examen portera sur l’application de la rémunération aux situations en cours de réalisation (I) avant d’analyser l’opposabilité de l’obligation et la responsabilité de la puissance publique (II).
I. L’application immédiate de la rémunération aux formations en cours
A. Le rattachement des effets futurs d’une situation ancienne au droit nouveau
La Cour rappelle qu’une règle nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne mais non définitivement acquises. Elle précise à cet égard que « une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure » sans pour autant être rétroactive. L’inscription initiale dans un cycle de spécialisation constitue certes une situation établie avant 1982 mais dont les conséquences juridiques se déploient dans le temps.
Le droit de l’Union régit ainsi les incidences à venir de cet acte administratif dès lors qu’aucun régime transitoire dérogatoire n’a été expressément prévu. Les juges considèrent que la situation des médecins inscrits avant 1982 « constitue une situation née avant l’entrée en vigueur de la directive 82/76 » soumise au droit nouveau. L’unité du cadre juridique européen impose donc l’alignement des conditions de formation pour tous les praticiens dont le cursus se prolonge durant la période considérée.
B. La cristallisation de l’obligation de paiement au terme du délai de transposition
L’exigence de rémunération appropriée devient impérative pour les autorités nationales seulement à l’expiration du délai accordé pour l’intégration de la norme en droit interne. Les juges soulignent que « ce n’est qu’à l’expiration du délai de transposition de la directive 82/76 » que les effets d’une inscription antérieure entrent dans le champ communautaire. La date du 1er janvier 1983 marque ainsi le point de départ de l’obligation financière pesant sur l’État membre défaillant dans sa mission législative.
Cette borne temporelle garantit la sécurité juridique tout en assurant l’efficacité des objectifs sociaux poursuivis par le législateur de l’Union dans ce secteur professionnel. La décision confirme que « la rémunération doit être payée pour la période allant du 1er janvier 1983 jusqu’à la fin de la formation suivie » par les praticiens. Les médecins concernés ne peuvent toutefois prétendre à une régularisation de leur situation pour la période de formation accomplie avant cette date charnière de janvier 1983.
II. L’effectivité du droit à rémunération et le régime de la responsabilité étatique
A. Le caractère inconditionnel de l’exigence d’un traitement financier approprié
L’obligation d’assurer une rétribution aux médecins spécialistes présente un degré de précision suffisant pour permettre son invocation directe par les particuliers devant les tribunaux. La Cour réaffirme que cette disposition est « en tant que telle, inconditionnelle et suffisamment précise » pour fonder une prétention juridique claire à l’encontre de l’administration. Le bénéfice de cette mesure suppose uniquement que la spécialité médicale soit commune à plusieurs États membres conformément aux listes établies par les textes applicables.
L’absence de mesures nationales d’exécution ne saurait priver les citoyens des droits que l’ordre juridique communautaire entend leur conférer de manière explicite et impérative. La juridiction précise que « toute formation à plein temps ou à temps partiel » doit faire l’objet d’un versement monétaire adéquat selon les modalités prévues en annexe. Cette interprétation renforce la protection des médecins en limitant la marge de manœuvre des gouvernements nationaux dans la mise en œuvre de ces garanties financières.
B. Le droit à réparation né de la violation caractérisée du droit de l’Union
Le défaut de transposition correcte d’une directive dans les délais impartis constitue un manquement susceptible d’engager la responsabilité pécuniaire de l’État envers les personnes lésées. La jurisprudence impose alors de « réparer les dommages qu’il a causés aux particuliers en raison de l’absence de transposition » effective des normes supérieures de l’Union. Trois conditions cumulatives doivent être réunies : l’identification d’un droit précis, une violation caractérisée et l’existence d’un lien de causalité avec le préjudice invoqué.
Il appartient désormais à la juridiction nationale de vérifier si ces critères sont satisfaits afin d’ordonner le versement des indemnités nécessaires à la compensation des pertes. Cette action indemnitaire assure une protection juridictionnelle complète aux médecins ayant accompli leur mission de soins sans recevoir la contrepartie financière légitime durant leur spécialisation. L’arrêt consacre ainsi la primauté du droit au traitement approprié sur les négligences administratives nationales persistantes malgré l’écoulement des délais raisonnables de mise en conformité.