Cour de justice de l’Union européenne, le 3 octobre 2013, n°C-317/12

Par un arrêt du 3 octobre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de l’exception à l’obligation d’utiliser un tachygraphe pour les transports de marchandises. Cette décision, rendue sur question préjudicielle, apporte un éclairage essentiel sur la notion de « transport de marchandises à des fins non commerciales », telle que prévue par le règlement (CE) n° 561/2006. En l’espèce, un particulier exerçant une activité de consultant en sécurité routière pratiquait, durant ses loisirs, le sport automobile en tant que pilote de rallye amateur. Cette activité était financée en partie par des parrainages d’entreprises. Alors qu’il se rendait à une foire pour y exposer sa voiture de course, il conduisait son propre camion attelé d’une remorque, dont la masse totale ne dépassait pas 7,5 tonnes. Le véhicule n’étant pas équipé d’un tachygraphe, des poursuites pénales ont été engagées contre lui en Suède. Après une relaxe en première instance par le tribunal local de Nyköping le 13 octobre 2011, au motif que le transport revêtait un caractère non commercial, le ministère public a interjeté appel. La cour d’appel de Svea, confrontée à l’interprétation de la législation de l’Union, a sursis à statuer afin de demander à la Cour de justice si la notion de « transport de marchandises à des fins non commerciales » incluait un transport effectué par un particulier dans le cadre d’une activité de loisirs partiellement financée par des tiers. La question posée revenait donc à déterminer si la présence de subventions suffisait à conférer un caractère commercial à un transport de marchandises réalisé dans le cadre d’une activité de loisirs personnelle. À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative, jugeant que « la notion de ‘transport de marchandises à des fins non commerciales’ […] doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut le transport de marchandises effectué par un particulier à son propre compte et uniquement dans le cadre d’une activité de loisirs, lorsque cette dernière est partiellement financée par des subventions de tiers et qu’un tel transport ne donne lieu à aucune rémunération ». La solution dégagée par la Cour repose sur une interprétation finaliste de l’exception (I), aboutissant à une clarification pragmatique dont la portée est néanmoins précisément délimitée (II).

I. L’interprétation finaliste de la notion de transport non commercial

La Cour de justice fonde sa décision sur une double analyse, combinant l’acception sémantique de la notion de « non-commercial » avec les objectifs poursuivis par la réglementation. Elle retient ainsi une définition de l’exception qui s’appuie tant sur le sens littéral des termes (A) que sur la finalité du règlement (B).

A. Une définition fondée sur le sens courant des termes

En l’absence de définition légale au sein du règlement, la Cour rappelle sa méthode d’interprétation constante qui consiste à établir la portée des termes « en considération du contexte général dans lequel ils sont utilisés et conformément à leur sens habituel en langage courant ». Elle en déduit logiquement que la notion de transport à des fins non commerciales se définit par opposition à une activité professionnelle ou lucrative. Un tel transport se caractérise par l’absence de lien avec une démarche visant à générer des revenus. La Cour précise qu’« il est question d’un tel transport lorsqu’il n’y a pas de lien avec une activité professionnelle ou commerciale, à savoir lorsque ce transport n’est pas effectué en vue d’en retirer des revenus ». Appliquée au cas d’espèce, cette approche permet de distinguer le transport effectué pour une activité récréative personnelle de celui qui s’inscrirait dans le cadre d’une prestation de service ou d’une activité économique. Le fait que le conducteur agisse en dehors de son cadre professionnel et pour les besoins de son loisir constitue donc le critère premier de l’analyse, rattachant l’opération à la sphère privée.

B. Une lecture confortée par les objectifs du règlement

L’interprétation littérale est ensuite renforcée par une analyse téléologique du règlement n° 561/2006. La Cour souligne que ce texte vise principalement à « améliorer les conditions sociales pour les travailleurs auxquels il s’applique, ainsi qu’à améliorer la sécurité routière en général ». Les objectifs d’harmonisation des conditions de concurrence, d’amélioration des conditions de travail et de promotion de meilleures méthodes dans le secteur du transport routier confirment que le champ d’application matériel du règlement concerne avant tout les conducteurs professionnels. Les expressions telles que « conditions de travail », « conditions sociales pour les travailleurs » ou encore la définition du conducteur agissant « dans le cadre de son service » attestent de cette orientation. Il en ressort que les dispositions du règlement n’ont pas vocation à s’appliquer à une personne qui, comme en l’espèce, n’exerce pas la profession de chauffeur mais effectue un transport pour son propre compte dans le cadre d’une activité de loisir. Exclure un tel transport du champ de l’exception reviendrait à soumettre un conducteur privé à des contraintes pensées pour le monde professionnel, ce qui serait contraire à l’esprit du texte.

II. La consécration d’une solution pragmatique à la portée délimitée

En validant l’application de l’exception au cas d’espèce, la Cour adopte une vision réaliste des activités de loisirs, tout en veillant à ne pas créer une brèche susceptible de nuire à l’efficacité du règlement. La solution consacre ainsi la neutralité du financement partiel de l’activité (A) mais s’inscrit dans un cadre strict qui préserve les finalités de la réglementation (B).

A. L’indifférence du financement partiel par des tiers

Le cœur de la question préjudicielle portait sur l’incidence des parrainages sur la qualification du transport. La Cour y répond de manière catégorique en affirmant que le financement partiel de l’activité de loisirs par des subventions est sans effet sur le caractère non commercial du transport. Pour la Cour, « le fait qu’aucune rémunération n’est versée pour le transport lui-même et l’importance des subventions reçues […] sont dépourvus d’incidence pour l’appréciation de la notion de ‘transport de marchandises à des fins non commerciales’ ». Cette dissociation est fondamentale : la Cour distingue la rémunération d’une prestation de transport, qui conférerait un caractère commercial à l’opération, du soutien financier apporté à une activité de loisirs dans son ensemble. En l’espèce, les parrainages ne rémunèrent pas le transport en tant que tel mais soutiennent la pratique sportive du pilote amateur. Adopter la solution inverse aurait conduit à une situation où la quasi-totalité des activités sportives ou culturelles amateures financées par des sponsors tomberaient dans le champ du transport commercial, une conséquence manifestement excessive et éloignée de la réalité de ces pratiques.

B. Une exception circonscrite préservant l’effet utile du règlement

Si la solution est pragmatique, la Cour prend soin d’en limiter la portée pour éviter de compromettre les objectifs du règlement. Elle juge que l’exclusion de ce type de transport n’affecte ni la concurrence dans le secteur, puisqu’il s’agit d’un conducteur privé et non d’un professionnel, ni les conditions de travail des transporteurs routiers. Concernant la sécurité routière, la Cour minimise l’impact de sa décision en relevant que de tels transports « semblent être relativement peu nombreux » et ne devraient donc pas avoir d’« effets négatifs significatifs ». Cet argument, bien que relevant d’une appréciation factuelle, démontre la volonté de la Cour de contenir l’exception aux seuls cas qui ne remettent pas en cause les fondements de la législation. La décision clarifie ainsi la frontière entre la sphère professionnelle, soumise à des règles strictes de contrôle, et la sphère privée des loisirs, où une plus grande flexibilité est admise. En définitive, cette jurisprudence, bien que rendue dans un cas spécifique, établit un principe clair pour l’appréciation des transports liés aux activités récréatives, renforçant la sécurité juridique pour les particuliers tout en préservant l’intégrité du régime social européen dans le domaine des transports.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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