Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’étendue des obligations d’information pesant sur les professionnels dans les contrats de prêt à la consommation.
En l’espèce, un consommateur avait conclu un contrat de prêt prévoyant des frais de gestion ainsi qu’une commission de décaissement. Les clauses relatives à ces frais en déterminaient le montant, la méthode de calcul et la date d’exigibilité. Le consommateur a toutefois contesté la validité de ces clauses en arguant qu’elles manquaient de transparence, faute de détailler les services spécifiques fournis en contrepartie des sommes versées au professionnel.
Saisie du litige, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer afin de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agissait pour la juridiction de renvoi de déterminer si l’exigence de rédaction claire et compréhensible des clauses, posée par la directive 93/13/CEE concernant les clauses abusives, imposait au prêteur de détailler l’ensemble des prestations concrètes justifiant les frais mis à la charge de l’emprunteur. La question se posait également de savoir si l’absence d’une telle ventilation des services était de nature à créer, par elle-même, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur.
À ces interrogations, la Cour de justice a apporté une double réponse négative. Elle juge que « l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible n’impose pas que des clauses contractuelles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle […] doivent également détailler tous les services fournis en contrepartie des montants concernés ». Par ailleurs, elle estime qu’une clause relative à des frais de gestion « qui ne permet pas d’identifier sans ambiguïté les services concrets fournis en contrepartie, ne crée pas, en principe, un déséquilibre significatif » au détriment du consommateur.
La Cour opère ainsi une distinction nette entre l’exigence de transparence formelle de la clause (I) et l’appréciation substantielle de son caractère éventuellement abusif (II).
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I. Une conception formaliste de l’exigence de transparence
La Cour de justice adopte une lecture stricte de l’obligation de transparence imposée par la directive, en se concentrant sur la clarté de l’engagement financier du consommateur (A) plutôt que sur la justification économique détaillée de la prestation du professionnel (B).
A. La priorité donnée à l’intelligibilité de l’obligation financière
La Cour considère que l’obligation de rédiger une clause de manière claire et compréhensible est satisfaite dès lors que le consommateur est mis en mesure de comprendre la portée de son engagement. Pour les clauses fixant des frais, cette exigence implique que le montant, la méthode de calcul et la date d’exigibilité soient précisément indiqués. La décision souligne que la directive vise à assurer que le consommateur puisse évaluer les conséquences économiques qui découlent du contrat pour lui. La transparence est donc avant tout de nature financière et formelle.
En se bornant à ces éléments, la Cour refuse d’étendre cette obligation à une description exhaustive des prestations du professionnel. Elle juge ainsi que la lisibilité de la clause n’est pas affectée par l’absence d’un inventaire détaillé des services que les frais sont censés rémunérer. La solution repose sur l’idée que le consentement du consommateur est suffisamment éclairé par la connaissance du coût total du crédit et des charges annexes, sans qu’il soit nécessaire de lui fournir une décomposition analytique de la structure de coûts du prêteur.
B. Les limites du contrôle de la contrepartie au stade de la transparence
En refusant d’intégrer le détail des services dans le champ de l’obligation de transparence, la Cour de justice établit une frontière entre le contrôle de la clarté de la clause et celui de l’adéquation de la contrepartie. Selon la Cour, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5 de la directive 93/13/CEE n’imposent pas de vérifier que le prix ou la rémunération corresponde à des services effectivement rendus au stade de l’appréciation de la transparence. Cet examen relève d’une autre analyse.
Cette approche pragmatique évite d’imposer aux professionnels une charge qui pourrait s’avérer excessivement lourde et difficile à mettre en œuvre. Détailler chaque service correspondant à des frais de gestion, qui recouvrent souvent une multitude de tâches administratives et opérationnelles diffuses, pourrait conduire à des listes complexes et peu éclairantes pour le consommateur moyen. La Cour semble ainsi privilégier une information synthétique et centrée sur l’impact économique direct pour l’emprunteur, considérant que c’est là l’essence de la protection offerte par l’exigence de transparence.
Si l’absence de détail des prestations n’affecte pas la transparence de la clause, elle n’emporte pas non plus, par principe, son caractère abusif.
II. Le maintien de l’autonomie de l’appréciation du déséquilibre significatif
La Cour de justice veille à préserver la méthode d’appréciation du caractère abusif d’une clause, en refusant d’établir une présomption automatique (A) et en renvoyant cette analyse au juge national, qui conserve un rôle central (B).
A. Le rejet d’une présomption de caractère abusif
Dans la seconde partie de son raisonnement, la Cour se prononce sur l’article 3, paragraphe 1, de la directive et la notion de « déséquilibre significatif ». Elle juge que le simple fait qu’une clause de frais ne détaille pas les services concrets fournis en contrepartie ne suffit pas, en soi, à créer un tel déséquilibre au détriment du consommateur. Elle écarte ainsi toute automaticité entre un défaut d’information sur la composition des services et le caractère abusif de la clause.
Cette solution est conforme à la logique générale du contrôle des clauses abusives, qui repose sur une appréciation globale et concrète des circonstances de l’espèce. Selon la Cour, « une clause contractuelle […] ne crée pas, en principe, un déséquilibre significatif » du seul fait de son manque de détail sur la contre-prestation. La bonne foi, mentionnée par la directive, n’impose pas davantage une telle ventilation. L’analyse doit donc porter sur d’autres éléments pour déterminer si les droits et obligations des parties sont déséquilibrés.
B. La confirmation du rôle central du juge national
En rejetant toute présomption, la Cour renforce la mission du juge national. Il lui appartiendra d’apprécier, au cas par cas, si la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif. Pour ce faire, le juge devra tenir compte de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat. Il pourra notamment examiner si le montant des frais est disproportionné par rapport à la nature des services habituellement fournis pour ce type de contrat ou par rapport au montant total du prêt.
La décision de la Cour de justice n’équivaut donc pas à une validation inconditionnelle des clauses de frais non détaillées. Elle constitue plutôt un rappel méthodologique : l’absence de ventilation des services n’est pas un critère de transparence, ni une cause de déséquilibre en soi. Elle peut cependant être un indice, parmi d’autres, que le juge national pourra prendre en considération dans son appréciation globale du caractère équilibré ou non du contrat, conformément aux exigences de la bonne foi et à la protection du consommateur.