Cour de justice de l’Union européenne, le 3 octobre 2019, n°C-632/18

Par un arrêt en date du 3 octobre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les critères de classification d’une entité institutionnelle contrôlée au sein du secteur des administrations publiques, en vertu du règlement (UE) n° 549/2013. En l’espèce, une juridiction nationale était saisie d’un litige relatif au statut comptable d’une unité institutionnelle placée sous le contrôle d’une administration publique. La question se posait de savoir si cette unité devait être intégrée dans le périmètre du secteur des administrations publiques ou si, en raison de ses caractéristiques, elle pouvait être qualifiée d’institution financière distincte. Face à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, le juge national a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il était donc demandé à la Cour de déterminer les conditions dans lesquelles une telle unité institutionnelle, malgré le contrôle public dont elle fait l’objet, peut être qualifiée d’« institution financière captive » au sens de l’annexe A du règlement précité. La solution apportée par la Cour de justice est double. D’une part, elle affirme que la classification dépend d’un examen nécessaire du critère de l’exposition au risque économique de l’entité. D’autre part, elle précise que la qualification d’institution captive découle d’un degré de dépendance tel que l’unité ne dispose d’aucune maîtrise complète sur la gestion de ses actifs et passifs.

I. L’exigence d’une analyse fonctionnelle fondée sur le risque économique

A. La primauté du Système européen des comptes pour la classification des unités institutionnelles

La décision commentée s’inscrit dans le cadre technique du Système européen des comptes nationaux et régionaux (SEC 2010), instauré par le règlement n° 549/2013. Ce système vise à fournir une méthodologie comptable harmonisée pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne, garantissant ainsi la comparabilité des données macroéconomiques. La délimitation précise du secteur des administrations publiques revêt une importance capitale, notamment pour le calcul du déficit et de la dette publique au regard des critères de convergence. C’est dans ce contexte que la Cour rappelle que la classification d’une entité ne saurait dépendre uniquement de son statut juridique formel ou de la nature de son actionnariat. La qualification doit reposer sur une analyse fonctionnelle et économique, telle que la prévoit le règlement lui-même.

B. La consécration du critère de l’exposition au risque économique

La Cour de justice introduit une précision substantielle en affirmant que, « afin de déterminer si une unité institutionnelle distincte, placée sous le contrôle d’une administration publique, relève du secteur des administrations publiques […], il est nécessaire d’examiner le critère de son exposition au risque économique dans l’exercice de son activité ». Cette approche dépasse une simple constatation du contrôle exercé par l’administration. Elle impose de rechercher si l’entité supporte elle-même les conséquences, positives ou négatives, de ses opérations, ou si ces risques sont en réalité assumés par l’administration publique qui la contrôle. En d’autres termes, une entité qui agirait comme un simple intermédiaire, sans réelle exposition aux aléas du marché, ne pourrait être considérée comme une véritable institution financière autonome. La Cour ancre donc la qualification dans une réalité économique tangible plutôt que dans des apparences juridiques.

II. L’appréciation concrète de l’autonomie de l’entité contrôlée

A. La qualification d’institution financière captive par le degré de dépendance

Dans la seconde partie de son raisonnement, la Cour se penche sur la notion d’« institution financière captive ». Elle fournit une grille d’analyse pour identifier une telle entité en se fondant sur le degré de maîtrise dont elle dispose réellement. La Cour estime qu’une unité peut être qualifiée de captive lorsque son indépendance est limitée par la législation nationale, au point qu’elle « ne dispose pas de la maîtrise complète de la gestion de ses actifs et des passifs ». Cette absence de maîtrise se manifeste lorsque l’administration publique « exerce un contrôle sur ses actifs et, d’autre part, assume une part du risque lié à ses passifs ». La Cour synthétise cette dépendance en précisant que la captivité est avérée si les mesures de contrôle ont pour effet que « l’unité institutionnelle concernée ne peut agir indépendamment de ladite administration publique ». La captivité résulte donc d’une situation où l’entité n’a pas la faculté de modifier substantiellement, de sa propre initiative, les conditions qui lui sont imposées.

B. Le rôle dévolu au juge national dans l’interprétation des faits

En définitive, la Cour de justice de l’Union européenne ne tranche pas elle-même le cas d’espèce, conformément à son office dans le cadre d’un renvoi préjudiciel. Elle renvoie l’appréciation finale à la juridiction nationale, tout en lui fournissant une méthode d’interprétation claire. La Cour souligne que la conclusion dépend de la manière dont les mesures de contrôle prévues par la législation nationale « peuvent être interprétées par le juge national ». Cette démarche illustre la coopération entre le juge de l’Union et le juge national. Ce dernier, ayant une connaissance parfaite du droit et des faits propres au litige, est le seul à même d’évaluer concrètement si le niveau de contrôle et le transfert de risque sont suffisants pour justifier une qualification d’institution captive. L’arrêt confère ainsi au juge interne une responsabilité déterminante dans l’application des concepts fonctionnels du droit comptable européen.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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