Par une décision rendue sur question préjudicielle, la Cour de justice a précisé le régime des frais imputables au consommateur qui exerce son droit de rétractation dans le cadre d’un contrat à distance. La Cour était interrogée sur la compatibilité d’une réglementation nationale autorisant le vendeur à exiger une indemnité pour l’usage d’un bien avec la directive européenne sur la protection des consommateurs en matière de contrats à distance.
En l’espèce, un consommateur avait acquis un ordinateur portable d’occasion par l’intermédiaire d’internet. Le vendeur n’ayant pas correctement informé l’acheteur de ses droits, ce dernier a pu exercer son droit de rétractation plusieurs mois après la vente, à la suite de l’apparition d’un défaut. Le consommateur a alors demandé le remboursement intégral du prix d’achat. Le vendeur s’y est opposé, réclamant en retour une indemnité compensatrice pour l’utilisation de l’ordinateur pendant cette période, dont le montant calculé dépassait même le prix de vente initial.
La juridiction nationale, saisie du litige, a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice la question préjudicielle suivante. Il s’agissait de savoir si les dispositions de la directive 97/7/CE, qui limitent les frais pouvant être imputés au consommateur en cas de rétractation aux seuls « frais directs de renvoi des marchandises », s’opposent à une réglementation nationale prévoyant la possibilité pour le vendeur de réclamer une indemnité compensatrice pour l’utilisation du bien.
À cette question, la Cour répond que la directive s’oppose en principe à ce qu’une réglementation nationale permette au vendeur de réclamer de manière générale une telle indemnité. Elle nuance toutefois cette position en précisant que ces mêmes dispositions ne s’opposent pas à l’imposition d’une indemnité si le consommateur a fait du bien un usage incompatible avec les principes de droit civil, tels que la bonne foi.
Il convient donc d’analyser la portée de ce principe d’une rétractation sans frais pour l’utilisation normale du bien (I), avant d’étudier les conditions de l’exception admise en cas d’usage abusif par le consommateur (II).
I. L’affirmation d’une rétractation exempte de frais d’utilisation
La Cour consacre une interprétation protectrice du droit de rétractation en excluant par principe qu’une indemnité pour l’usage du bien soit mise à la charge du consommateur (A), réaffirmant ainsi la finalité même de ce droit dans le cadre de la vente à distance (B).
A. L’exclusion de principe d’une indemnité compensatrice
La Cour rappelle d’abord la lettre de la directive 97/7, dont l’article 6 énonce clairement que « les seuls frais qui peuvent être imputés au consommateur en raison de l’exercice de son droit de rétractation sont les frais directs de renvoi des marchandises ». Cette formulation restrictive constitue le fondement de son raisonnement. L’imposition d’une indemnité pour l’utilisation du bien, même temporaire, introduirait des frais supplémentaires non prévus par le texte.
Une telle charge financière serait en contradiction directe avec l’objectif de la directive, qui est d’assurer que le droit de rétractation ne reste pas purement formel. La Cour souligne que le consommateur « pourrait être découragé de faire usage de ce droit si celui-ci était lié à des conséquences pécuniaires négatives ». En effet, si l’exercice de la rétractation entraînait systématiquement le paiement d’une compensation pour l’usage, même minime, du bien, le consommateur perdrait l’avantage économique de la rétractation et serait de fait dissuadé de revenir sur son consentement. La gratuité de l’exercice de ce droit, hors frais de renvoi, est donc une condition de son effectivité.
B. La finalité protectrice du droit de rétractation
La décision s’appuie de manière essentielle sur la finalité du droit de rétractation. Celui-ci vise à pallier le désavantage structurel du consommateur dans un contrat à distance, situation dans laquelle il « n’a pas la possibilité in concreto de voir le produit ou de prendre connaissance des caractéristiques du service avant la conclusion du contrat ». Le délai de rétractation est donc conçu comme une période de réflexion pendant laquelle le consommateur peut faire ce qu’il aurait fait en magasin : examiner et essayer le bien.
Par conséquent, l’utilisation du bien nécessaire à cet examen ne saurait être facturée. La Cour considère que l’efficacité du droit de rétractation serait compromise s’il était « imposé au consommateur de payer une indemnité compensatrice en raison de la simple circonstance d’avoir examiné et essayé le bien ». Imposer une telle indemnité reviendrait à faire payer au consommateur l’exercice même d’un droit qui lui est accordé précisément pour lui permettre cet essai. Le fait d’utiliser le bien pour en vérifier la conformité aux attentes est donc indissociable du droit de rétractation lui-même et ne peut donner lieu à compensation.
Toutefois, la Cour prend soin de préciser que cette protection n’est pas absolue et vise à encadrer un usage loyal du bien, et non à autoriser un usage abusif.
II. La portée tempérée du droit de rétractation face à l’abus
Si le principe est celui de la gratuité, la Cour admet qu’il puisse être dérogé à cette règle en cas d’usage abusif du bien par le consommateur (A), tout en confiant au juge national le soin d’apprécier cette situation de manière encadrée (B).
A. La reconnaissance d’une indemnisation en cas d’usage abusif
La Cour tempère la portée de son interprétation en indiquant que la directive « n’a pas pour objet de lui accorder des droits allant au-delà de ce qui est nécessaire pour lui permettre d’exercer utilement son droit de rétractation ». Ainsi, la protection du consommateur trouve sa limite là où commence l’abus. Le droit d’essayer le bien ne doit pas se transformer en un droit d’en jouir gratuitement au-delà de ce qui est nécessaire à sa simple vérification.
La Cour ouvre ainsi la porte à une indemnisation lorsque le consommateur a fait usage du bien « d’une manière incompatible avec les principes de droit civil, tels que la bonne foi ou l’enrichissement sans cause ». Cette formule de principe permet de sanctionner un comportement déloyal. Il ne s’agit plus de l’usage normal d’un consommateur qui essaie un produit, mais de celui qui l’utilise comme s’il en était définitivement propriétaire, tout en se réservant la possibilité de le restituer. L’indemnité compensatrice devient alors non pas le prix de la rétractation, mais la sanction d’un comportement fautif ou la restitution d’un enrichissement indu.
B. La mise en œuvre de l’indemnisation par le juge national
La Cour de justice ne définit pas précisément les contours de cet usage incompatible. Elle renvoie cette appréciation à la juridiction nationale, qui devra statuer en tenant compte des circonstances de l’espèce. La Cour pose néanmoins des garde-fous stricts pour que cette exception ne vide pas le droit de rétractation de sa substance. La compétence des États membres pour définir les modalités de cette indemnisation ne doit pas « porter atteinte à l’efficacité et à l’effectivité du droit de rétractation ».
Ainsi, la charge de la preuve d’une utilisation abusive ne doit pas reposer sur le consommateur. Il appartiendra au vendeur de démontrer que l’usage a dépassé le simple essai. De plus, le montant de l’indemnité ne saurait être disproportionné. L’appréciation de cet usage abusif devra tenir compte de la nature du bien et de la durée de sa détention, notamment lorsque celle-ci, comme en l’espèce, a été prolongée par une carence du vendeur dans son obligation d’information. Il incombe donc au juge national de trouver un équilibre entre la protection du consommateur et la prévention des abus, en veillant à ce que l’exception ne devienne pas le principe.