Cour de justice de l’Union européenne, le 3 septembre 2020, n°C-503/19

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 3 septembre 2020, précise les conditions d’accès au statut de résident de longue durée. Cette décision porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/109/CE du Conseil relative à la situation des ressortissants étrangers. Deux ressortissants de pays tiers, résidant légalement sur le territoire national depuis plus de cinq ans, ont sollicité la reconnaissance de la qualité de résident permanent. L’administration compétente a rejeté ces demandes au seul motif de l’existence d’antécédents pénaux figurant dans les dossiers des intéressés à la date de l’examen. Le tribunal administratif de Barcelone, saisi de ces recours, a interrogé la juridiction européenne sur la validité d’un refus fondé uniquement sur des condamnations passées. La question de droit consiste à déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale autorisant l’exclusion automatique du statut sur ce seul fondement. La Cour répond par l’affirmative en exigeant un examen concret de la situation du demandeur ainsi qu’une pesée proportionnée des intérêts en présence.

I. L’exigence d’un examen individuel de la situation du demandeur

A. Le rejet d’un automatisme fondé sur l’existence de condamnations

L’article 6 de la directive précitée dispose que les États membres peuvent refuser le statut de résident pour des motifs d’ordre public ou de sécurité publique. La Cour souligne que cette faculté de refus ne constitue pas une obligation mais une simple possibilité laissée à l’appréciation discrétionnaire des autorités nationales. Une réglementation ne saurait donc instaurer une barrière infranchissable dès lors qu’un ressortissant présente un antécédent pénal, quelle que soit la gravité de l’infraction. Le juge rappelle que « la prise en considération de l’ensemble de ces éléments implique une appréciation au cas par cas » de la situation du requérant. Un refus systématique priverait ainsi les individus de la garantie d’une étude précise de leur parcours personnel au sein de la société d’accueil.

L’administration nationale doit justifier sa décision par des éléments concrets démontrant que le maintien de l’étranger sur le territoire constitue une menace pour la collectivité. La seule mention d’une peine privative de liberté ou d’un délit ancien ne suffit pas à caractériser l’exclusion du bénéfice des dispositions européennes. Les juges affirment ainsi que les autorités « ne sauraient considérer, de manière automatique, qu’un ressortissant d’un pays tiers doit se voir refuser l’octroi du statut » pour ce motif. Cette approche protège le demandeur contre une application mécanique de la loi qui occulterait les circonstances spécifiques entourant la commission de l’acte délictueux initial.

B. La prise en compte impérative des liens avec le pays de résidence

Le texte européen impose de mettre en balance l’infraction commise avec l’enracinement du demandeur dans l’État où il a résidé durant les cinq dernières années. Lorsqu’il prend une décision de refus, l’État membre doit impérativement tenir « compte de la durée de résidence et de l’existence de liens avec le pays de résidence ». Cette exigence souligne l’importance des attaches sociales, familiales et professionnelles développées par l’étranger au cours de sa présence légale et continue sur le territoire. La stabilité de la situation du résident doit ainsi être confrontée à la perturbation éventuelle de l’ordre public causée par son comportement individuel.

L’absence d’un tel examen global conduirait à ignorer les efforts d’intégration réalisés par le ressortissant étranger depuis son installation dans le pays membre concerné. La juridiction européenne impose de mesurer si l’intérêt de la sécurité publique l’emporte réellement sur le droit fondamental au respect de la vie privée. Il appartient alors aux juges du fond de vérifier que l’administration a procédé à cette mise en balance entre les faits reprochés et l’enracinement local. La décision de refus doit donc refléter une analyse nuancée qui interdit d’ériger le casier judiciaire en critère d’exclusion unique et insurmontable.

II. La limitation du pouvoir d’appréciation des États membres

A. La démonstration nécessaire d’un danger réel pour l’ordre public

La jurisprudence européenne constante restreint les mesures de police administrative aux situations où l’individu représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la société. La Cour précise ici que « le comportement individuel de la personne concernée représente actuellement un danger réel » pour un intérêt fondamental de la collectivité nationale. Une condamnation passée ne permet pas de présumer la persistance d’une telle dangerosité sans une analyse des faits au moment de la demande. Le juge européen encadre strictement les motifs de sécurité publique afin d’éviter toute dérive arbitraire de la part des services de l’État.

La gravité ou la nature de l’infraction commise contre l’ordre public doit être appréciée au regard des risques effectifs pour la paix sociale et la sécurité. Un délit mineur, bien qu’inscrit au casier judiciaire, ne peut justifier l’éviction d’un résident de longue durée sans une preuve de sa dangerosité persistante. Les autorités administratives ont l’obligation de démontrer que le refus du statut est strictement nécessaire et proportionné à l’objectif de protection des populations poursuivi. Cette démonstration rigoureuse assure une protection efficace des droits des ressortissants étrangers face aux mesures restrictives de liberté prises par les gouvernements.

B. La préservation de l’effet utile de l’intégration européenne

Le statut de résident de longue durée vise à favoriser l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement au sein de l’espace commun européen. La directive cherche à rapprocher les droits de ces résidents de ceux des citoyens de l’Union afin de renforcer la cohésion économique et sociale. En interdisant les refus automatiques, la Cour garantit l’effet utile de la législation en empêchant une fragilisation excessive du droit au séjour des étrangers. Une interprétation trop large des motifs d’exclusion viderait ce statut de sa substance en maintenant les individus dans une précarité juridique permanente et injustifiée.

La reconnaissance d’un droit au séjour stable constitue le pilier d’une politique migratoire équilibrée respectant les engagements internationaux des États membres en matière de droits humains. Le juge rappelle que la réglementation nationale ne peut pas rendre l’accès au statut plus difficile que le renouvellement d’un permis de séjour temporaire. L’objectif d’intégration suppose que les obstacles administratifs soient levés dès lors que le demandeur prouve son respect des lois et son ancrage durable. La décision commentée consacre ainsi la primauté de l’examen individuel sur la rigidité des automatismes législatifs nationaux contraires aux principes supérieurs du droit européen.

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Hassan KOHEN
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