Cour de justice de l’Union européenne, le 3 septembre 2020, n°C-742/18

Par l’arrêt soumis à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur le pourvoi formé par un État membre contre un arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 septembre 2018. L’affaire trouve son origine dans une décision par laquelle une institution européenne a infligé à cet État membre des corrections financières relatives à plusieurs exercices budgétaires. Ces corrections sanctionnaient des défaillances alléguées dans les systèmes de gestion et de contrôle des dépenses financées par le budget de l’Union, notamment dans le secteur vitivinicole.

L’État membre concerné a introduit un recours en annulation contre cette décision devant le Tribunal de l’Union européenne. Par son arrêt du 13 septembre 2018, le Tribunal a rejeté l’intégralité du recours, validant ainsi les corrections financières imposées. Il a notamment considéré que les griefs de l’institution européenne concernant des « carences dans l’analyse des risques » et des « contrôles sur place insuffisants » étaient fondés. L’État membre a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis plusieurs erreurs de droit dans son appréciation des faits et l’application des normes pertinentes.

Le problème de droit posé à la Cour de justice consistait donc à déterminer si le Tribunal avait correctement exercé son contrôle juridictionnel sur la décision de l’institution européenne. Plus spécifiquement, la Cour devait vérifier si le Tribunal avait, sans commettre d’erreur de droit, pu conclure que l’institution avait suffisamment démontré l’existence de défaillances systémiques justifiant l’application de corrections financières, qu’elles soient ponctuelles ou forfaitaires.

En réponse, la Cour de justice de l’Union européenne procède à une annulation partielle de l’arrêt du Tribunal. Elle juge que celui-ci a effectivement commis une erreur de droit en rejetant certains moyens soulevés par l’État membre. La Cour annule ainsi l’arrêt « dans la mesure où, par cet arrêt, le Tribunal a rejeté le moyen du recours qui concerne la correction ponctuelle […] en tant qu’il porte sur le motif relatif à des carences dans l’analyse des risques, et le moyen du recours qui concerne une correction forfaitaire […], en tant qu’il porte sur le motif relatif à des contrôles sur place insuffisants ». Pour le surplus, le pourvoi est rejeté, et l’affaire est renvoyée devant le Tribunal. Il conviendra d’analyser la censure exercée par la Cour sur l’appréciation des défaillances du système de contrôle (I), avant d’étudier les conséquences de cette annulation partielle sur la suite de la procédure (II).

I. La censure d’une validation insuffisamment contrôlée des défaillances du système national

La Cour de justice sanctionne le raisonnement du Tribunal sur deux points techniques précis, rappelant ainsi l’intensité du contrôle que le juge de l’Union doit exercer sur les décisions d’apurement des comptes (A) et réaffirmant l’exigence d’une démonstration probante du risque financier encouru par le budget de l’Union (B).

A. L’erreur de droit dans l’appréciation des carences de l’analyse des risques

Le premier motif d’annulation porte sur une correction ponctuelle justifiée par des « carences dans l’analyse des risques ». En principe, les États membres sont tenus de mettre en place des systèmes de gestion et de contrôle efficaces pour prévenir, détecter et corriger les irrégularités dans l’utilisation des fonds de l’Union. L’analyse des risques constitue un élément central de ce dispositif préventif. En validant la position de l’institution, le Tribunal avait estimé que les manquements identifiés dans cette analyse suffisaient à justifier la correction financière.

Cependant, en annulant ce point de l’arrêt, la Cour de justice rappelle implicitement que toute défaillance, même avérée, ne justifie pas automatiquement une sanction financière. Le juge de première instance ne peut se contenter de constater l’existence d’une carence formelle. Il doit vérifier si l’institution a établi un lien de causalité suffisamment direct entre cette carence et un risque avéré de perte pour le budget de l’Union. L’erreur de droit du Tribunal a donc consisté à ne pas exercer un contrôle suffisant sur cette démonstration, se contentant vraisemblablement d’entériner l’évaluation de l’institution sans en vérifier le bien-fondé matériel.

B. La sanction de l’insuffisance des contrôles sur place dans le secteur vitivinicole

Le second motif d’annulation, qui concerne une correction forfaitaire de plus grande ampleur, repose sur un raisonnement similaire. Le Tribunal avait accepté la conclusion de l’institution selon laquelle des « contrôles sur place insuffisants en ce qui concerne les investissements financés dans le secteur vitivinicole » constituaient une défaillance systémique justifiant une correction forfaitaire. Ce type de correction est appliqué lorsque des défaillances graves et généralisées ne permettent pas de quantifier précisément le préjudice financier, mais créent un risque élevé d’irrégularités.

L’annulation de cette partie de l’arrêt par la Cour de justice souligne que le simple constat d’un nombre de contrôles jugé insuffisant ne suffit pas à fonder une correction forfaitaire. Le Tribunal aurait dû s’assurer que l’institution avait non seulement prouvé l’insuffisance des contrôles au regard des exigences réglementaires, mais aussi démontré en quoi cette insuffisance constituait une défaillance grave et généralisée du système de contrôle dans son ensemble, exposant le budget de l’Union à un risque financier significatif. En s’abstenant de ce contrôle approfondi, le Tribunal a méconnu l’étendue de sa compétence et commis une seconde erreur de droit.

La double censure exercée par la Cour de justice ne met pas un terme définitif au litige. Elle redéfinit le cadre juridique que le Tribunal devra appliquer, ce qui entraîne des conséquences procédurales importantes.

II. Les conséquences de l’annulation partielle et du renvoi au Tribunal

L’arrêt de la Cour de justice ne tranche pas le fond de l’affaire mais se limite à une fonction cassatoire, en annulant la décision du juge de première instance pour erreur de droit (A) et en lui renvoyant l’affaire pour qu’il statue à nouveau conformément aux principes dégagés (B).

A. La portée de l’annulation partielle

La décision de la Cour illustre la fonction du pourvoi, qui vise non pas à rejuger les faits, mais à assurer une application uniforme du droit de l’Union. En statuant que « le pourvoi est rejeté pour le surplus », la Cour confirme que les autres moyens soulevés par l’État membre n’étaient pas fondés. L’arrêt du Tribunal subsiste donc en tant qu’il a validé d’autres aspects de la décision de l’institution. Seules les parties de l’arrêt explicitement visées par l’annulation sont anéanties.

Cette annulation ciblée démontre la précision de l’analyse menée par la Cour de justice. Elle ne remet pas en cause l’ensemble du pouvoir d’appréciation de l’institution en matière d’apurement des comptes, mais impose un standard de preuve et de motivation plus élevé pour justifier les corrections financières. La valeur de cet arrêt réside dans le rappel que la charge de la preuve d’une défaillance et du risque financier qui en résulte incombe entièrement à l’institution, et que le contrôle exercé par le juge doit être effectif et complet sur ce point.

B. L’office du Tribunal de renvoi

La conséquence directe de l’annulation est que « L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne ». Celui-ci se trouve à nouveau saisi des deux moyens que son premier arrêt avait écartés à tort. Le Tribunal de renvoi devra statuer une seconde fois, mais il ne dispose plus d’une liberté d’appréciation totale. Il est en effet lié par les points de droit tranchés par la Cour de justice dans son arrêt de pourvoi.

Concrètement, le Tribunal devra réexaminer les corrections financières relatives à l’analyse des risques et aux contrôles dans le secteur vitivinicole. Pour ce faire, il devra appliquer le standard de contrôle défini par la Cour, en vérifiant de manière rigoureuse si l’institution a apporté la preuve circonstanciée non seulement de l’existence des défaillances, mais aussi du risque concret qu’elles engendraient pour les finances de l’Union. Le sort final de ces corrections dépendra de ce nouvel examen, qui pourrait aboutir, cette fois, à leur annulation partielle si les preuves fournies par l’institution sont jugées insuffisantes au regard des exigences réaffirmées par la Cour de justice.

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Hassan KOHEN
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