Par une décision rendue sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé sa jurisprudence relative à la libre circulation des marchandises. En l’espèce, une législation nationale imposait aux entreprises important des livres en langue allemande de ne pas les vendre à un prix inférieur à celui fixé ou recommandé par l’éditeur dans l’État de publication. Un opérateur économique, estimant cette obligation contraire au droit communautaire, a vraisemblablement contesté son application devant une juridiction nationale. Saisie du litige, cette dernière a sursis à statuer afin d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle réglementation avec les dispositions du traité instituant la Communauté européenne. La question posée aux juges européens était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si un système national de prix imposé pour les livres importés constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, prohibée par l’article 28 du traité. Ensuite, et en cas de réponse affirmative, il convenait de rechercher si une telle mesure pouvait néanmoins être justifiée, notamment au titre de la protection de la culture.
À cette interrogation, la Cour de justice a répondu avec clarté. Elle énonce qu’« une réglementation nationale qui interdit aux importateurs de livres en langue allemande de fixer un prix inférieur au prix de vente au public fixé ou conseillé par l’éditeur dans l’État d’édition constitue une «mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative aux importations» au sens de l’article 28 ce ». Elle ajoute qu’une telle réglementation « ne peut être justifiée ni en vertu des articles 30 ce et 151 ce ni par des exigences impératives d’intérêt général ». La solution s’inscrit dans le cadre classique de l’analyse des entraves aux échanges intracommunautaires, réaffirmant une conception extensive de la notion de restriction (I). Elle témoigne également de la difficulté à concilier les impératifs du marché unique avec la poursuite d’objectifs culturels nationaux (II).
I. La qualification confirmée d’entrave à la libre circulation
La Cour applique avec rigueur sa jurisprudence établie pour caractériser la mesure litigieuse de restriction aux échanges (A), avant d’en examiner les justifications possibles (B).
A. Une application orthodoxe de la notion de mesure d’effet équivalent
La réglementation nationale en cause a pour effet de priver les importateurs d’un avantage concurrentiel essentiel. En les contraignant à respecter un prix de vente fixé dans un autre État membre, elle les empêche de répercuter sur leurs propres prix de détail d’éventuelles conditions d’achat plus favorables. Cette neutralisation de la concurrence par les prix rend l’importation de livres moins attractive et cloisonne de fait les marchés nationaux. Le dispositif constitue donc bien une mesure capable d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire.
Une telle analyse correspond à une application fidèle des principes dégagés de longue date par la jurisprudence de la Cour. La mesure ne saurait être assimilée à une simple modalité de vente au sens de l’arrêt *Keck et Mithouard*, car elle ne concerne pas les circonstances de la commercialisation du produit, mais bien une de ses caractéristiques intrinsèques : son prix. En affectant directement les conditions de fixation du prix des seuls produits importés, la loi nationale crée une entrave manifeste à l’accès au marché, ce que la Cour constate en qualifiant la mesure de restriction au sens de l’article 28 du traité.
B. L’examen rigoureux des justifications avancées
Une fois la restriction caractérisée, la Cour devait déterminer si celle-ci pouvait être justifiée. La protection des livres en tant qu’objets culturels est un objectif légitime, susceptible de constituer une exigence impérative d’intérêt général. Le traité lui-même, en son article 151, impose à la Communauté de tenir compte des aspects culturels dans son action. Cependant, toute dérogation au principe fondamental de la libre circulation des marchandises doit être interprétée strictement et répondre à un test de proportionnalité.
En l’espèce, la Cour refuse toute justification. Elle juge que l’État membre n’a pas démontré en quoi un système de prix unique imposé aux importateurs serait nécessaire et proportionné pour atteindre l’objectif de protection culturelle. D’autres mécanismes, tels que des aides directes aux éditeurs ou aux librairies, pourraient être envisagés pour préserver la diversité de l’offre éditoriale et le réseau de distribution. En écartant l’ensemble des fondements possibles, la Cour rappelle que l’invocation d’un objectif, aussi légitime soit-il, ne suffit pas à valider une mesure protectionniste si son caractère indispensable n’est pas rigoureusement établi.
II. La primauté du marché unique face à l’exception culturelle
La décision illustre la prévalence des libertés économiques sur les politiques culturelles nationales jugées disproportionnées (A), envoyant ainsi un signal clair quant à la portée limitée des dérogations (B).
A. Une interprétation stricte de la marge de manœuvre des États membres
En refusant de justifier la mesure par l’article 151 du traité, la Cour confirme que cette disposition ne crée pas une exemption générale au profit de la culture. Elle constitue plutôt une clause transversale qui oblige les institutions de l’Union et les États membres, lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, à intégrer la dimension culturelle. Elle ne permet cependant pas à un État de déroger unilatéralement à une liberté fondamentale telle que la libre circulation des marchandises, sauf à respecter les conditions strictes posées par la jurisprudence.
Le raisonnement de la Cour est exigeant. Il suppose que le lien de causalité entre la mesure restrictive et l’objectif culturel poursuivi soit direct et prouvé. Or, il n’est pas certain qu’un régime de prix libres conduirait nécessairement à un appauvrissement de la création littéraire ou à la disparition des librairies de proximité. En l’absence d’une telle démonstration, l’argument culturel ne peut prospérer face aux exigences du marché unique, qui repose sur une concurrence saine et non faussée.
B. La portée de la solution pour les politiques nationales
Au-delà du cas spécifique du marché du livre, cet arrêt a une portée significative. Il rappelle à l’ensemble des États membres que leurs politiques publiques, y compris dans des domaines relevant de leur compétence comme la culture, doivent être conçues dans le respect des règles du marché intérieur. La protection d’intérêts nationaux, même légitimes, ne peut se traduire par des mesures qui entravent la fluidité des échanges entre les États membres de manière disproportionnée.
La Cour ne nie pas la possibilité pour les pouvoirs publics de soutenir la culture. Elle oriente plutôt leur action vers des instruments qui sont moins restrictifs pour le commerce intracommunautaire. En privilégiant des mécanismes d’aides ou de subventions transparents plutôt que des réglementations de prix opaques, la solution favorise une conciliation équilibrée. Elle préserve ainsi l’essentiel de l’intégration économique, tout en laissant aux États la faculté de poursuivre des objectifs d’intérêt général par des voies compatibles avec le droit de l’Union.