Cour de justice de l’Union européenne, le 30 avril 2014, n°C-365/13

Par un arrêt du 30 avril 2014, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par le Conseil d’État belge, a précisé l’étendue du principe de reconnaissance automatique des qualifications professionnelles des architectes. En l’espèce, une organisation professionnelle d’architectes avait introduit un recours en annulation contre un arrêté royal qui dispensait de l’obligation de stage les ressortissants d’autres États membres titulaires de certains diplômes, certificats ou titres. Le requérant soutenait que cette dispense générale était contraire au droit national, lequel subordonnait une telle dispense à la justification de prestations jugées équivalentes au stage. La juridiction nationale, constatant une possible incompatibilité entre la législation belge et le droit de l’Union, a interrogé la Cour sur la conformité de l’exigence d’un stage professionnel avec les dispositions de la directive 2005/36/CE. La question posée était de savoir si les articles 21 et 49 de cette directive s’opposent à ce qu’un État membre d’accueil soumette le titulaire d’un titre de formation d’architecte reconnu à une obligation de stage ou à la preuve d’une expérience professionnelle équivalente, conditions également exigées de ses propres nationaux. La Cour a répondu par l’affirmative, jugeant que le système de reconnaissance automatique prévu par la directive ne permet pas à l’État membre d’accueil d’imposer de telles conditions supplémentaires. Cette décision clarifie ainsi la portée du mécanisme de reconnaissance automatique des qualifications (I), en limitant les prérogatives de contrôle des États membres d’accueil (II).

I. La consécration d’un mécanisme de reconnaissance inconditionnelle

La Cour de justice réaffirme avec clarté le caractère absolu du principe de reconnaissance automatique (A), ce qui a pour corollaire l’interdiction pour les États membres d’imposer des exigences professionnelles additionnelles (B).

A. Le caractère absolu du principe de reconnaissance automatique

La décision commentée s’appuie sur l’objectif fondamental de la directive 2005/36/CE, qui est d’assurer la libre circulation des professionnels au sein de l’Union européenne. Pour la profession d’architecte, ce but est atteint par un système de reconnaissance automatique fondé sur la coordination préalable des conditions minimales de formation. La Cour rappelle que l’article 21 de la directive impose à chaque État membre de reconnaître les titres de formation figurant à l’annexe V, en leur donnant « le même effet sur son territoire qu’aux titres de formation qu’il délivre ». Cette formulation ne laisse, selon la Cour, « aucune marge d’appréciation aux États membres ».

Le raisonnement des juges s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence établie sous l’empire de la directive antérieure, la directive 85/384/CEE, qui s’opposait déjà à ce que la reconnaissance de titres conformes soit subordonnée à des exigences complémentaires. En reprenant cette logique, la Cour confirme que la possession d’un titre listé dans les annexes de la directive suffit à établir la qualification du professionnel. Le système repose ainsi sur une confiance mutuelle entre les États membres, chacun reconnaissant que les formations dispensées par les autres satisfont aux standards communs définis par le droit de l’Union.

B. L’exclusion de toute exigence nationale supplémentaire

La conséquence directe de ce principe est l’impossibilité pour l’État membre d’accueil d’ajouter ses propres conditions à l’accès à la profession. La Cour juge que l’obligation d’accomplir un stage ou de prouver une expérience professionnelle équivalente constitue une telle condition additionnelle non autorisée par la directive. Le fait que cette exigence s’applique également aux nationaux est indifférent, car le mécanisme de reconnaissance automatique vise précisément à substituer la vérification des qualifications de l’État d’origine à toute procédure de contrôle de l’État d’accueil.

De manière significative, la Cour souligne que la directive 2005/36/CE a renforcé le caractère automatique de la reconnaissance en supprimant une disposition de la directive précédente qui permettait, dans certains cas, d’imposer des conditions de stage. Cette évolution législative conforte l’interprétation stricte retenue par les juges. Un professionnel titulaire d’un titre de formation listé doit donc pouvoir exercer sa profession dans un autre État membre « sans que ce dernier ne puisse lui imposer d’obtenir ou de prouver qu’il a obtenu des qualifications professionnelles supplémentaires ». Toute autre solution viderait de sa substance le principe même de reconnaissance automatique.

Cette interprétation stricte du principe de reconnaissance automatique emporte des conséquences importantes sur les compétences régulatrices des États membres et le rôle de leurs ordres professionnels.

II. La portée de la décision sur les prérogatives des États membres

L’arrêt, en réaffirmant la primauté du droit de l’Union, cantonne le rôle des autorités nationales à une simple vérification formelle (A) et réaffirme que la garantie des compétences repose sur le principe de confiance mutuelle plutôt que sur un contrôle national (B).

A. La correcte transposition des annexes comme unique garantie

Si la Cour interdit aux États membres d’imposer des conditions supplémentaires, elle précise implicitement où se situe la véritable garantie de la qualification des professionnels. Elle indique que le bon fonctionnement du système suppose que les États membres aient correctement transposé non seulement les articles de la directive, mais aussi ses annexes V et VI, qui listent les titres de formation reconnus. C’est dans ces annexes que réside la clé du système. Elles ne sont pas de simples listes administratives, mais le fruit d’une coordination au niveau de l’Union, qui certifie que les titres qui y figurent satisfont aux exigences de formation minimales.

Le raisonnement de la Cour suggère donc que si un État membre estime qu’un titre de formation d’un autre État membre ne garantit pas un niveau de compétence suffisant, son recours ne consiste pas à imposer unilatéralement un stage. La voie appropriée serait de contester l’inscription de ce titre dans les annexes ou de s’assurer de la correcte transposition de ces dernières en droit interne. La responsabilité de la qualité de la formation est ainsi mutualisée et gérée au niveau de l’Union, et non laissée à l’appréciation individuelle de chaque État membre d’accueil.

B. La prééminence de la confiance mutuelle sur le contrôle national

Cette décision illustre parfaitement la tension entre, d’une part, l’objectif d’intégration du marché intérieur et de libre circulation et, d’autre part, la volonté des États membres et de leurs ordres professionnels de garantir la qualité des prestations et la sécurité des consommateurs sur leur territoire. En l’espèce, l’exigence d’un stage professionnel par le droit belge visait sans doute à assurer que tout architecte exerçant en Belgique, quelle que soit son origine, possède une expérience pratique adaptée au contexte local.

Toutefois, la Cour réaffirme que le système de la directive a opéré un arbitrage en faveur de la libre circulation, fondée sur le principe de confiance mutuelle. L’État d’accueil doit faire confiance au système de formation et de qualification de l’État d’origine, dès lors que celui-ci est sanctionné par un titre reconnu par la directive. La protection de l’intérêt général est assurée en amont, par la coordination des exigences de formation, et non en aval, par un contrôle national redondant. L’arrêt confirme ainsi que dans les secteurs couverts par une reconnaissance automatique, le rôle des ordres professionnels nationaux se trouve nécessairement limité vis-à-vis des professionnels venant d’autres États membres.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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