Cour de justice de l’Union européenne, le 30 avril 2020, n°C-810/18

Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 6 octobre 2022 vient préciser les critères de classement tarifaire pour les appareils numériques multifonctions. En l’espèce, un importateur avait déclaré des marchandises en tant que « caméscopes », relevant d’une sous-position de la nomenclature combinée soumise à des droits de douane. Postérieurement, cet opérateur a sollicité le remboursement de ces droits, arguant que les appareils auraient dû être classés en tant qu’« appareils photographiques numériques », une catégorie exempte de droits. Les autorités douanières nationales ont rejeté cette demande, estimant que la fonction principale des produits était l’enregistrement vidéo. Saisie du litige, la juridiction nationale a constaté que si plusieurs caractéristiques techniques des appareils les rapprochaient des caméscopes, leur résolution en mode vidéo était inférieure au seuil de 800 x 600 pixels, critère mentionné dans les notes explicatives de la nomenclature pour distinguer les deux catégories d’appareils. Face à cette ambiguïté, la juridiction a adressé une question préjudicielle à la Cour de justice, cherchant à savoir si un appareil pouvait être classé comme caméscope malgré une résolution vidéo inférieure à ce seuil. La question de droit soumise à la Cour consistait donc à déterminer la hiérarchie des critères de classement douanier, notamment lorsque les caractéristiques objectives d’un produit et sa fonction principale s’opposent à un critère technique spécifique figurant dans un instrument d’interprétation non contraignant. La Cour répond que de tels appareils relèvent de la sous-position des caméscopes dès lors que leur fonction principale est la capture et l’enregistrement de séquences vidéo, cette appréciation relevant de la juridiction nationale. Elle précise que les critères techniques issus des notes explicatives n’ont pas de force obligatoire et ne sauraient primer sur l’analyse des propriétés objectives du produit.

L’analyse de la Cour s’articule autour de la réaffirmation du critère de la fonction principale pour les produits multifonctions (I), tout en clarifiant la portée limitée des instruments d’interprétation de la nomenclature combinée (II).

I. La primauté de la fonction principale dans la qualification douanière d’un produit multifonction

Pour classer les appareils en cause, la Cour rappelle d’abord la méthode générale de détermination de la fonction principale (A), avant de l’appliquer de manière concrète aux faits de l’espèce (B).

A. Le rappel de la méthode de détermination de la fonction principale

La Cour de justice réitère une jurisprudence constante selon laquelle « le critère décisif pour le classement tarifaire des marchandises doit être recherché, d’une manière générale, dans leurs caractéristiques et leurs propriétés objectives ». Pour un produit composite ou multifonction, la note 3 de la section XVI de la nomenclature combinée impose de le classer suivant la fonction principale qui le caractérise. Cette fonction est celle qui est principale aux yeux du consommateur, et sa détermination doit se fonder sur un ensemble d’indices objectifs.

La Cour souligne également que la destination d’un produit peut constituer un critère pertinent, à condition qu’elle soit inhérente à celui-ci, c’est-à-dire qu’elle puisse s’apprécier en fonction de ses propriétés objectives. Ces dernières incluent non seulement les caractéristiques techniques, mais aussi la manière dont le produit est présenté et commercialisé. En conséquence, l’appréciation ne se limite pas à une seule donnée technique, mais repose sur un faisceau d’indices concordants permettant de dégager l’usage essentiel du produit.

B. L’application concrète des critères à l’espèce

Appliquant cette méthode, la Cour fournit à la juridiction de renvoi les éléments d’analyse pertinents pour vérifier la fonction principale des appareils. Elle observe d’abord que si la qualité de résolution des images fixes est relativement faible, celle des séquences vidéo correspond à une qualité de DVD standard, suggérant une prédominance de la fonction vidéo. Ensuite, les propriétés physiques des marchandises, telles que leur forme et la présence d’un viseur escamotable, les apparentent davantage à des caméscopes qu’à des appareils photographiques.

De plus, la Cour prend en considération la présentation commerciale des produits, qui étaient proposés à la vente en tant que caméras vidéo numériques et présentés par le fabricant comme destinés à un public réalisant des enregistrements pour des plateformes en ligne. Ces éléments, liés à l’intention du fabricant et à la perception du consommateur, renforcent l’idée que la capture vidéo constitue la fonction principale, la prise d’images fixes n’étant qu’une fonctionnalité secondaire. Ainsi, la Cour guide la juridiction nationale vers une analyse globale, dépassionnée des seules spécifications techniques.

II. La portée limitée des instruments d’interprétation de la nomenclature combinée

La décision trouve son principal intérêt dans la manière dont la Cour hiérarchise les sources d’interprétation, en subordonnant la valeur des notes explicatives à l’analyse des caractéristiques objectives (A) et en écartant une application par analogie des règlements de classement (B).

A. La valeur non contraignante des notes explicatives

Le cœur du litige résidait dans la contradiction entre les caractéristiques objectives des appareils et un critère de résolution d’image (800 x 600 pixels) issu des notes explicatives de la nomenclature combinée. La Cour tranche ce conflit en rappelant que « les notes explicatives de la nc, tout en contribuant de façon importante à l’interprétation de la portée des différentes positions tarifaires, n’ont pas de force obligatoire ». Elles constituent un simple outil d’aide à l’interprétation et ne peuvent prévaloir sur les règles générales de classement.

Le fait que les marchandises en cause ne satisfassent pas à ce critère de résolution est donc jugé « dépourvu d’impact sur la fonction principale des marchandises en cause, telle que déterminée par leurs caractéristiques objectives ». Par cette affirmation, la Cour prévient le risque d’un classement automatique fondé sur un seul critère technique issu d’un texte non contraignant. Elle consacre une approche pragmatique et fonctionnelle, où l’analyse globale des propriétés d’un produit l’emporte sur une application littérale et rigide de seuils indicatifs.

B. Le rejet d’une application analogique des règlements de classement

La Cour examine également l’argument tiré d’un règlement de classement antérieur qui avait statué sur des produits similaires. Tout en reconnaissant que « l’application par analogie d’un règlement de classement aux produits analogues à ceux visés par ce règlement favorise une interprétation cohérente de la nc », elle en écarte la pertinence en l’espèce. En effet, elle constate que les produits visés par ledit règlement n’étaient pas identiques à ceux en cause, notamment en ce qui concerne la qualité des images fixes et la vitesse de capture vidéo.

En refusant cette application par analogie, la Cour rappelle qu’un règlement de classement, bien que de portée générale, s’applique d’abord aux produits identiques à celui qu’il vise. Une extension à des produits simplement analogues n’est ni nécessaire ni possible lorsque, comme en l’espèce, la Cour fournit à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation nécessaires pour procéder elle-même au classement. Cette solution renforce la primauté de l’analyse au cas par cas et limite la portée normative des règlements de classement à des situations factuelles très proches.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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