Par un arrêt du 30 avril 2025, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par la Cour administrative suprême de la République tchèque, s’est prononcée sur l’interprétation de l’article 116, paragraphe 7, du code des douanes de l’Union.
En l’espèce, une société importatrice de produits électroniques a obtenu des autorités douanières nationales le remboursement de droits de douane initialement acquittés. Ce remboursement faisait suite à une demande de l’opérateur, qui invoquait un renseignement tarifaire contraignant délivré à un tiers pour des marchandises identiques, classant celles-ci dans une position tarifaire bénéficiant d’un taux de droits nul. Cependant, un contrôle a posteriori, mené par une autre autorité douanière, a conclu que le classement tarifaire initial, soumis à un taux de 8,7 %, était en réalité le classement correct. En conséquence, l’autorité ayant accordé le remboursement a décidé de rétablir la dette douanière initiale sur le fondement de l’article 116, paragraphe 7, du code des douanes de l’Union, considérant que le remboursement avait été accordé à tort. L’opérateur économique a contesté cette décision devant les juridictions nationales, soutenant que la version en langue tchèque de la disposition, qui emploie le terme « omylem », n’autorisait le rétablissement de la dette qu’en cas d’erreur non intentionnelle de l’administration, et non à la suite d’une appréciation juridique délibérée qui se serait révélée erronée par la suite. La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour sur le point de savoir si l’expression « accordé à tort » vise uniquement un acte non intentionnel des autorités douanières ou si elle couvre également une appréciation erronée du classement tarifaire.
À cette question, la Cour de justice répond que l’article 116, paragraphe 7, du code des douanes de l’Union « ne vise pas uniquement les situations où les droits de douane ont fait l’objet d’un remboursement à la suite d’une erreur non intentionnelle des autorités douanières, mais vise également les situations dans lesquelles ces autorités ont délibérément procédé à un classement tarifaire qui s’est, par la suite, révélé erroné ».
I. L’interprétation extensive de la notion de remboursement accordé « à tort »
La Cour justifie sa solution en écartant une lecture littérale et restrictive de certaines versions linguistiques pour privilégier une approche systémique et finaliste du code des douanes. Elle dépasse ainsi les divergences linguistiques par une interprétation téléologique (A) qui consacre la primauté de l’exactitude matérielle de la dette douanière (B).
**A. Le dépassement des divergences linguistiques par une interprétation téléologique**
La Cour constate d’emblée la disparité des versions linguistiques de l’article 116, paragraphe 7. Alors que les versions tchèque, slovaque ou polonaise utilisent des termes évoquant une erreur non intentionnelle ou une méprise, de nombreuses autres versions, comme les versions française (« à tort »), anglaise (« in error ») ou allemande (« zu Unrecht »), emploient des expressions d’une portée plus large. Conformément à une jurisprudence établie, la Cour rappelle qu’aucune version linguistique ne saurait prévaloir et que l’interprétation doit être recherchée au regard de l’économie générale et de la finalité de la réglementation. Cette méthode lui permet de ne pas s’arrêter à la signification potentiellement restrictive de certains termes et de rechercher le sens profond de la disposition.
L’analyse téléologique conduit la Cour à considérer que la disposition litigieuse a pour but d’assurer une application correcte des droits de douane, un objectif fondamental du code. En s’inscrivant dans le chapitre relatif au recouvrement, au paiement et au remboursement des droits, l’article 116, paragraphe 7, participe à un mécanisme visant à garantir que les ressources propres de l’Union soient perçues conformément au droit. Le rétablissement d’une dette indûment remboursée apparaît ainsi comme le corollaire nécessaire de l’extinction de la dette, cette dernière devant faire l’objet d’une interprétation stricte pour protéger les intérêts financiers de l’Union. Par conséquent, la faculté de rétablir la dette doit, quant à elle, être interprétée de manière large pour servir cet objectif.
**B. La primauté de l’exactitude matérielle de la dette douanière**
L’interprétation retenue par la Cour repose sur la logique de rectification inhérente au droit douanier. L’objectif est de faire coïncider la situation juridique avec la situation réelle des marchandises, en corrigeant les erreurs, qu’elles soient matérielles ou qu’elles résultent d’une mauvaise interprétation du droit applicable. La Cour établit un parallèle avec d’autres dispositions du code, notamment l’article 28 qui permet de révoquer une décision favorable lorsqu’une des conditions de son adoption n’est plus respectée. Elle rappelle également sa jurisprudence antérieure, rendue sous l’empire de l’ancien code des douanes communautaire, qui permettait aux autorités de régulariser la situation en cas de calcul des droits sur la base d’éléments inexacts.
Le fait que l’autorité douanière ait procédé « délibérément » au remboursement sur la base d’une appréciation juridique n’exclut pas le caractère erroné de cette décision. La Cour assimile l’appréciation juridique qui se révèle incorrecte à une erreur justifiant une correction. Qu’il s’agisse d’une simple méprise, d’une erreur d’appréciation ou d’une évolution des conceptions en matière de classement, le résultat est le même : la dette douanière initialement due n’a pas été correctement perçue. Permettre aux autorités de rétablir cette dette sert donc l’impératif d’exactitude matérielle, qui prime sur l’origine, intentionnelle ou non, de l’erreur ayant conduit au remboursement.
II. La portée de la solution au regard de la sécurité juridique de l’opérateur économique
En consacrant une conception large du pouvoir de rectification des autorités douanières, la Cour procède à une mise en balance avec les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Sa décision conduit à une limitation du principe de sécurité juridique encadrée par le délai de prescription (A) et à une conception restrictive de la protection de la confiance légitime de l’opérateur (B).
**A. La limitation du principe de sécurité juridique par le délai de prescription**
L’opérateur économique soutenait qu’une interprétation large de l’expression « à tort » porterait atteinte à la sécurité juridique. La Cour écarte cet argument en soulignant que le pouvoir de rétablissement de la dette douanière est lui-même borné dans le temps. L’article 116, paragraphe 7, précise en effet que le rétablissement n’est possible que dans la mesure où la dette « n’y a pas prescription en vertu de l’article 103 ». Cet article fixe un délai de prescription de trois ans à compter de la naissance de la dette douanière.
Pour la Cour, ce délai de prescription constitue la garantie fondamentale de la sécurité juridique tant pour l’opérateur que pour l’administration. Pendant cette période, l’opérateur économique doit s’attendre à ce qu’une décision de remboursement, même fondée sur une analyse juridique délibérée, puisse être remise en cause si elle s’avère matériellement incorrecte. Le délai de prescription de trois ans est jugé raisonnable et suffisant pour concilier l’impératif de perception correcte des droits de douane et le besoin de stabilité des situations juridiques. Passé ce délai, la situation de l’opérateur est consolidée, et la dette ne peut plus être rétablie, quand bien même le remboursement se révélerait erroné.
**B. Une conception restrictive de la protection de la confiance légitime**
La Cour examine également la portée de sa solution à l’aune du principe de protection de la confiance légitime. Elle considère que ce principe ne fait pas obstacle au rétablissement de la dette dans les circonstances de l’espèce. En se référant à sa jurisprudence antérieure, la Cour rappelle qu’un opérateur économique diligent doit accepter le risque que les autorités douanières reviennent sur une décision relative à la dette douanière avant l’expiration du délai de prescription, notamment à la lumière de nouveaux éléments ou d’une nouvelle analyse juridique.
Cette position révèle une conception exigeante du rôle de l’opérateur économique. Même face à une décision administrative qui lui est favorable et qui résulte d’une démarche délibérée de l’autorité compétente, l’opérateur ne peut se prévaloir d’une confiance légitime absolue tant que le délai de prescription n’est pas expiré. La précarité de la décision de remboursement est inhérente au système de contrôle douanier. La solution retenue place ainsi la charge du risque d’erreur d’appréciation de l’administration sur l’opérateur économique pendant une période de trois ans, la protection de l’ordre juridique de l’Union et de ses ressources financières primant sur la stabilité immédiate de la situation de l’opérateur.