La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 30 avril 2025, une décision fondamentale relative à la protection des consommateurs contre les clauses abusives. Ce litige concerne l’annulation d’un contrat de crédit-bail libellé en devise étrangère comportant une clause mettant l’intégralité du risque de change à la charge du preneur. Un établissement de crédit a conclu ce contrat en juin 2007 pour l’acquisition d’un véhicule automobile. Le contrat prévoyait des mensualités fixes en monnaie nationale tandis que le capital demeurait indexé sur le franc suisse. À la suite de retards de paiement, le bailleur a résilié la convention en mai 2013 et a sollicité le paiement du solde de la dette. Le juge de première instance a constaté le caractère abusif de la clause de change mais a maintenu la validité du contrat. La cour d’appel a confirmé cette solution en estimant que le rétablissement de la situation antérieure était impossible pour ce type de prestations. Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême de Hongrie a interrogé la Cour de justice par une décision du 26 septembre 2023. Le problème juridique réside dans la faculté pour le juge de déclarer valide un contrat dont la clause principale est nulle. La Cour de justice répond que l’article 6 de la directive 93/13 s’oppose au maintien d’un tel contrat par une modification de ses termes essentiels.
I. L’impossibilité de maintenir un contrat privé de sa clause essentielle
A. L’exclusion de la révision judiciaire des clauses abusives
Les juges nationaux doivent écarter l’application des clauses abusives pour qu’elles ne produisent aucun effet contraignant à l’égard du consommateur concerné. Cette obligation de non-application stricte interdit au juge de réviser le contenu des stipulations litigieuses afin de sauver l’acte juridique de la nullité. En l’espèce, la clause relative au risque de change définissait l’objet principal de la convention conclue entre l’établissement de crédit et les particuliers. La Cour rappelle que « le contrat concerné doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression de ses clauses abusives ». Modifier la répartition de la charge financière du risque de change entre les parties constitue une révision interdite du contenu contractuel. Une telle intervention porterait atteinte à l’objectif de protection en permettant aux professionnels de maintenir des clauses illicites sans risque de sanction réelle.
B. Le rejet du maintien artificiel par le droit national
La législation nationale ne saurait imposer le maintien d’un contrat de crédit si la suppression d’une clause abusive rend sa persistance juridiquement impossible. L’approche objective doit primer lors de l’examen de la possibilité pour une convention de subsister sans ses éléments déclarés nuls. La Cour souligne que le juge ne peut pas « remédier à l’invalidité d’un contrat, résultant du caractère abusif d’une clause y figurant, en déclarant ce contrat valide ». Le mécanisme de conversion prévu par le droit interne hongrois ne permet pas de contourner cette exigence fondamentale de la directive 93/13. L’équilibre contractuel ne peut être rétabli par une fiction juridique qui maintient des effets contraignants malgré l’absence de cause licite. Cette solution garantit que le droit national ne modifie pas l’étendue de la protection garantie aux citoyens européens par le droit de l’Union.
II. L’exigence d’un rétablissement intégral de la situation du consommateur
A. La primauté de l’effet restitutoire complet
La constatation judiciaire du caractère abusif d’une clause doit entraîner le rétablissement en droit et en fait de la situation antérieure au contrat. Cet effet restitutoire impose le remboursement de l’intégralité des sommes versées par le consommateur sur le fondement des stipulations annulées par le juge. La Cour précise que les consommateurs ont droit au « remboursement des mensualités versées et des frais payés au titre de l’exécution de ce contrat ». Cette restitution ne peut se limiter aux seuls montants perçus par le prêteur en vertu de la clause spécifique relative au risque de change. L’invalidation globale du contrat de crédit-bail oblige les parties à échanger les prestations reçues pour effacer totalement les conséquences de l’engagement initial. Une simple indemnisation partielle serait insuffisante pour satisfaire aux exigences d’effectivité de la protection prévues par la directive européenne.
B. La préservation de la finalité dissuasive de la protection
Le droit de l’Union impose aux États membres de prévoir des moyens adéquats pour faire cesser l’utilisation des clauses abusives par les professionnels. L’octroi d’une rémunération au professionnel pour l’utilisation du bien malgré l’annulation du contrat « contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels ». L’établissement de crédit ne peut donc réclamer une compensation allant au-delà de la restitution du capital ou de la valeur du véhicule concerné. Cette rigueur juridique est nécessaire pour empêcher les professionnels d’intégrer des clauses illicites dans leurs conditions générales sans craindre de perte financière. La Cour réaffirme que la protection du consommateur constitue un intérêt public majeur justifiant l’application de mesures correctrices radicales et efficaces. Le juge national est tenu d’interpréter son droit interne de manière à assurer la pleine efficacité de cette jurisprudence protectrice des droits fondamentaux.