Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les contours de la libre circulation des capitaux, garantie par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en matière de fiscalité des dividendes perçus par les fonds d’investissement non-résidents.
En l’espèce, un fonds d’investissement établi dans un État membre a perçu des dividendes de sociétés situées dans un autre État membre. Ce dernier État, dit de la source, a appliqué une retenue à la source sur ces dividendes. Le fonds d’investissement non-résident a sollicité le remboursement de cet impôt, se prévalant d’un traitement analogue à celui des fonds résidents qui, sous certaines conditions, peuvent en obtenir la restitution. L’administration fiscale de l’État de la source a refusé ce remboursement, au motif que le fonds étranger ne satisfaisait pas aux exigences prévues par sa législation nationale, notamment quant à la preuve de la qualité de ses actionnaires et à l’obligation de distribuer annuellement ses bénéfices. Saisie du litige, la juridiction nationale a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle réglementation avec le principe de libre circulation des capitaux.
La question de droit posée à la Cour était de savoir si l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’oppose à la législation d’un État membre qui subordonne la restitution de l’impôt sur les dividendes à un fonds d’investissement non-résident à des conditions probatoires et substantielles conçues pour les fonds résidents.
À cette question, la Cour de justice répond en deux temps. D’une part, elle juge que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’un État membre exige d’un fonds non-résident la preuve que ses actionnaires remplissent les conditions requises pour un avantage fiscal, à condition que cette exigence ne défavorise pas en fait les fonds non-résidents et qu’elle soit également imposée aux fonds résidents. D’autre part, elle estime que l’article 63 TFUE s’oppose à ce qu’un État membre refuse la restitution de l’impôt à un fonds non-résident au seul motif qu’il ne respecte pas une condition de distribution de ses bénéfices, dès lors que la législation de son État d’établissement atteint un objectif équivalent par des mécanismes différents, plaçant ainsi ce fonds dans une situation comparable à celle d’un fonds résident.
La solution retenue par la Cour distingue nettement la légitimité des exigences probatoires, pourvu qu’elles soient non-discriminatoires, de l’illicéité des conditions de fond appliquées de manière formaliste. Ainsi, la Cour admet la validité des contraintes procédurales sous le prisme d’une stricte égalité de traitement (I), tout en censurant les obstacles substantiels qui méconnaissent le principe de proportionnalité (II).
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I. La validation des exigences probatoires sous le contrôle d’une égalité de traitement effective
La Cour de justice admet qu’un État membre puisse encadrer l’octroi d’un avantage fiscal par des conditions de preuve (A), mais elle soumet immédiatement cette faculté à un contrôle rigoureux de non-discrimination, tant en droit qu’en fait (B).
A. La légitimité de la charge probatoire imposée aux fonds non-résidents
L’arrêt reconnaît le droit pour un État membre de s’assurer que les conditions d’octroi d’un avantage fiscal sont bien remplies par le bénéficiaire final. La Cour juge ainsi que l’article 63 TFUE ne fait pas obstacle à ce qu’une administration fiscale exige d’un fonds d’investissement non-résident qu’il apporte la preuve que ses participants satisfont aux critères définis par la réglementation nationale. En effet, la Cour estime qu’il est légitime pour un État de vouloir prévenir les abus et de s’assurer que la restitution d’un impôt ne bénéficie qu’aux personnes qui y sont éligibles. La transparence des structures d’investissement est une condition nécessaire à la correcte application des conventions fiscales et des législations internes.
Cette position n’est pas nouvelle et s’inscrit dans une jurisprudence constante qui cherche à équilibrer les libertés de circulation et la nécessité pour les États membres de préserver l’efficacité de leurs contrôles fiscaux. La Cour admet que l’asymétrie d’information entre l’administration fiscale d’un État et un contribuable non-résident peut justifier que la charge de la preuve pèse sur ce dernier. Toutefois, cette prérogative de l’État n’est pas sans limites et doit être exercée dans le respect des principes fondamentaux du droit de l’Union.
B. La double exigence d’une absence de discrimination de droit et de fait
La Cour encadre strictement la faculté laissée aux États membres en posant une double condition. Elle précise que l’article 63 TFUE s’oppose à une telle réglementation si « ces conditions ne défavorisent pas, de fait, les fonds d’investissement non-résidents et que les autorités fiscales exigent que la preuve du respect desdites conditions soit apportée également par des fonds d’investissement résidents ». La Cour opère ainsi un contrôle de proportionnalité et de non-discrimination très concret.
Premièrement, l’exigence de preuve ne doit pas constituer une charge administrative telle qu’elle rendrait en pratique l’accès à la restitution de l’impôt plus difficile pour les fonds non-résidents que pour les fonds résidents. Il s’agit d’une application classique de l’interdiction des discriminations indirectes ou déguisées. Deuxièmement, la Cour insiste sur l’égalité de traitement dans l’application des contrôles : les fonds résidents doivent être soumis aux mêmes obligations déclaratives et probatoires. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de vérifier si ces deux conditions sont cumulativement remplies, illustrant le dialogue des juges dans l’application du droit de l’Union.
Si la Cour valide le principe des exigences probatoires, elle se montre en revanche bien plus critique à l’égard des conditions matérielles qui ignorent la situation objectivement comparable des fonds non-résidents.
II. La censure des conditions de fond disproportionnées
La Cour de justice rejette une application purement formelle des conditions de fond prévues par une législation nationale (A) et impose à la place une analyse de la comparabilité des situations au regard de l’objectif poursuivi par la loi (B).
A. Le rejet d’une application formaliste de la condition de distribution
Dans la seconde partie de son raisonnement, la Cour examine la compatibilité avec l’article 63 TFUE du refus de restitution fondé sur le non-respect par le fonds non-résident d’une condition de fond, à savoir la distribution intégrale de ses résultats dans un délai de huit mois. La Cour considère qu’une telle approche est contraire à la libre circulation des capitaux. En effet, elle estime qu’un État membre ne peut refuser un avantage fiscal à un non-résident au seul motif qu’il ne satisfait pas à une condition spécifique de sa législation, sans examiner si ce dernier se trouve, eu égard à l’objectif de cette loi, dans une situation comparable à celle d’un résident qui en bénéficie.
Refuser le remboursement sur la seule base de cette différence de modalité de distribution reviendrait à ignorer la réalité économique et juridique du fonds non-résident. Une telle pratique instaure une restriction à la circulation des capitaux, car elle dissuade les fonds établis dans d’autres États membres d’investir dans l’État de la source, leurs revenus y étant traités moins favorablement que ceux des fonds résidents sans justification objective. La Cour rappelle ainsi que les différences de législation ne suffisent pas, à elles seules, à justifier une inégalité de traitement.
B. La reconnaissance de l’équivalence des systèmes juridiques
Le cœur de l’analyse de la Cour réside dans la notion de situation comparable et la reconnaissance d’une équivalence fonctionnelle entre les législations. La Cour juge que l’article 63 TFUE s’oppose au refus de restitution « lorsque, dans son État membre d’établissement, le résultat de ses placements qui n’a pas été distribué est réputé être distribué ou est inclus dans l’impôt que cet État membre prélève chez les actionnaires ». Autrement dit, si le système fiscal de l’État d’origine du fonds aboutit au même résultat que celui recherché par l’État de la source, à savoir l’imposition des bénéfices au niveau de l’investisseur final, alors la différence de technique juridique ne peut justifier une différence de traitement fiscal.
Cette approche pragmatique et téléologique est essentielle à l’intégration du marché intérieur. Elle contraint les administrations fiscales nationales à ne pas s’arrêter à la lettre de leur propre loi, mais à analyser les effets concrets de la législation étrangère. En confiant au juge national le soin de vérifier cette comparabilité des situations, la Cour renforce l’effectivité du droit de l’Union. La portée de cet arrêt est donc considérable : il confirme que l’appréciation d’une restriction à la libre circulation des capitaux doit se fonder sur une analyse substantielle et non formelle, favorisant une plus grande neutralité fiscale au sein de l’Union européenne.