Cour de justice de l’Union européenne, le 30 janvier 2020, n°C-513/18

Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation des dispositions d’une directive relative à la taxation des produits énergétiques. En l’espèce, une entreprise privée de location d’autobus avec chauffeur s’est vu refuser par l’administration fiscale nationale le bénéfice d’un taux d’accise réduit sur le gazole. L’administration estimait que cette activité n’entrait pas dans les catégories de transport éligibles définies par la législation nationale. Saisie du litige, la juridiction italienne a interrogé la Cour sur la compatibilité de cette exclusion avec le droit de l’Union. La question posée était de savoir si un État membre, ayant choisi d’appliquer un taux réduit pour le gazole à usage commercial, pouvait en limiter le bénéfice au seul transport régulier de passagers, excluant ainsi le transport occasionnel. La Cour a répondu qu’une telle distinction est permise, à condition qu’elle ne contrevienne pas au principe d’égalité de traitement. La décision clarifie ainsi le champ d’application de la notion de « gazole à usage commercial » tout en consacrant la marge d’appréciation des États membres (I), une latitude qui demeure néanmoins encadrée par le respect des principes fondamentaux du droit de l’Union (II).

I. La consécration de la marge d’appréciation des États membres dans la différenciation fiscale

La Cour de justice adopte une approche en deux temps pour définir la portée de la faculté de différenciation accordée aux États membres. Elle commence par une interprétation large du champ d’application matériel de la directive, incluant l’activité en cause (A), avant de valider la possibilité pour la législation nationale de n’accorder l’avantage fiscal qu’à une partie des activités visées (B).

A. L’interprétation extensive du champ d’application matériel de la directive

La Cour établit d’abord que la notion de « gazole à usage commercial » se définit par la finalité de son utilisation et non par le statut de l’opérateur. Elle affirme que le législateur de l’Union a entendu viser des activités spécifiques, indépendamment de leur caractère public ou privé. Ainsi, le transport de passagers par des véhicules de certaines catégories entre dans le champ d’application de la directive. La Cour énonce clairement que « relève de son champ d’application une entreprise privée exerçant l’activité de transport de passagers au moyen de services de location d’autobus avec chauffeur, à la condition que les véhicules loués par cette entreprise soient de catégorie M2 ou M3 ». Cette clarification confirme que l’activité de l’entreprise requérante est bien concernée par le texte européen, sans pour autant lui garantir automatiquement l’avantage fiscal au niveau national.

B. La validation d’une application sélective de l’avantage fiscal

Après avoir délimité le périmètre de la directive, la Cour examine si un État membre peut restreindre l’application du taux réduit. Elle répond par l’affirmative en se fondant sur plusieurs arguments. D’un point de vue littéral, l’emploi de la conjonction « ou » entre les termes « régulier » et « occasionnel » suggère une alternative plutôt qu’une obligation cumulative. Sur le plan systémique, la directive ne vise qu’une harmonisation minimale des taux d’accise, laissant aux États une marge d’appréciation pour définir leurs politiques fiscales. Enfin, au regard des objectifs de la directive, cette flexibilité permet aux États de poursuivre des politiques nationales spécifiques, notamment en matière de transport public et d’environnement. La Cour conclut donc que la directive « ne s’oppose pas à une législation nationale qui prévoit un taux d’accise réduit pour le gazole à usage commercial utilisé comme carburant pour le transport régulier de passagers, sans pour autant prévoir un tel taux pour celui utilisé dans le cadre de l’activité de transport occasionnel de passagers ».

II. L’encadrement de la latitude étatique par les principes du droit de l’Union

Si la Cour reconnaît une importante marge de manœuvre aux États membres, elle rappelle que cette liberté n’est pas absolue. Elle la subordonne au respect du principe d’égalité de traitement, dont elle confie la vérification au juge national (A), tout en lui fournissant des critères d’appréciation clairs concernant la comparabilité des services en cause (B).

A. La soumission de la législation nationale au principe d’égalité de traitement

La Cour rappelle avec constance que l’exercice des compétences laissées aux États membres par le droit de l’Union doit s’effectuer dans le respect de ses principes généraux. Elle souligne que « les États membres doivent respecter les principes généraux du droit qui font partie de l’ordre juridique de l’Union, au nombre desquels figure, notamment, le principe d’égalité de traitement ». Ce principe fondamental exige que des situations comparables ne soient pas traitées différemment, à moins qu’une telle différence de traitement ne soit objectivement justifiée. Le rôle de la juridiction de renvoi sera donc de déterminer si les services de transport régulier et occasionnel de passagers se trouvent dans une situation comparable du point de vue du consommateur et de la concurrence. La solution du litige dépendra ainsi de cette analyse concrète menée par le juge national.

B. L’appréciation de la comparabilité des services en cause

Afin de guider la juridiction nationale, la Cour fournit une analyse indicative de la situation des deux types de services. Elle met en évidence leurs différences fondamentales de nature et de finalité. En effet, « les services de transport régulier de passagers assurent, par définition, le transport de voyageurs selon une fréquence et sur un trajet déterminés, les voyageurs pouvant être pris en charge et déposés à des arrêts préalablement fixés, tandis que les services de transport occasionnel de passagers répondent à des besoins ponctuels ». De plus, les opérateurs de services réguliers sont souvent investis de missions de service public. Ces éléments suggèrent que les deux prestations ne répondent pas aux mêmes besoins et ne sont donc pas substituables pour le consommateur moyen. La Cour laisse entendre qu’une différence de traitement fiscal semble justifiée, mais elle renvoie prudemment l’appréciation finale de cette question à la juridiction nationale, seule compétente pour examiner les spécificités du marché concerné.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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