Cour de justice de l’Union européenne, le 30 janvier 2020, n°C-725/18

Par un arrêt en date du 30 janvier 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de compatibilité d’une taxe nationale sur les opérations de bourse avec la libre prestation des services. En l’espèce, une réglementation d’un État membre a étendu le champ d’application d’une taxe sur les opérations de bourse aux ordres donnés par un résident à un intermédiaire professionnel établi à l’étranger. La particularité de ce régime résidait dans le fait que, dans une telle configuration transfrontalière, la responsabilité de la déclaration et du paiement de la taxe incombait directement au donneur d’ordre, et non à l’intermédiaire financier. Saisie d’un recours en annulation contre ces dispositions, une société établie dans cet État membre soutenait qu’une telle législation créait une différence de traitement discriminatoire et entravait les libertés garanties par le droit de l’Union.

La procédure a été initiée devant la cour constitutionnelle de l’État membre concerné, laquelle a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur la conformité de cette réglementation avec les articles 56 et 63 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. Le requérant au principal faisait valoir que le fait de devoir assumer les obligations déclaratives et la responsabilité du paiement de la taxe rendait le recours à un prestataire de services non-résident plus onéreux et complexe, ce qui constituait une restriction injustifiée à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux. Le gouvernement défendait la mesure en arguant que la situation des donneurs d’ordre n’était pas comparable et que la différence de traitement était en tout état de cause justifiée par la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt.

La question de droit soumise à la Cour portait donc sur le point de savoir si une législation nationale qui, pour les opérations de bourse réalisées par l’intermédiaire d’un prestataire non-résident, transfère la charge de la déclaration et du paiement de la taxe sur le donneur d’ordre résident, instaure une restriction à la libre prestation des services contraire à l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Cour a répondu que si une telle mesure constitue bien une restriction à la libre prestation des services, elle peut néanmoins être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que l’efficacité du recouvrement de l’impôt, à la condition qu’elle ne soit pas disproportionnée. Pour apprécier cette proportionnalité, il convient de vérifier si la réglementation nationale offre des mécanismes propres à atténuer la charge pesant sur le donneur d’ordre et l’intermédiaire étranger.

L’analyse de la Cour s’articule autour de l’identification d’une restriction caractérisée à l’une des libertés fondamentales du marché intérieur (I), dont la validité est ensuite examinée au regard des justifications possibles et du principe de proportionnalité (II).

I. L’identification d’une restriction caractérisée à la libre prestation de services

La Cour qualifie d’abord la mesure de restriction en se fondant sur une analyse de ses effets concrets sur les opérateurs économiques (A), après avoir déterminé que la libre prestation des services constituait la liberté principalement affectée (B).

A. Une différence de traitement créant un effet dissuasif

La législation nationale instaure un régime différencié selon le lieu d’établissement de l’intermédiaire professionnel. Si le donneur d’ordre résident a recours à un intermédiaire local, ce dernier est le redevable de la taxe et accomplit les formalités nécessaires. En revanche, s’il choisit un intermédiaire établi dans un autre État membre, ces obligations lui sont personnellement transférées. Cette distinction, bien que ne modifiant pas le montant de l’impôt dû, engendre une charge administrative et une responsabilité juridique supplémentaires pour le client. La Cour considère que cette situation est de nature à le décourager de faire appel à des prestataires étrangers.

Elle juge ainsi que la réglementation « établit, partant, une différence de traitement entre destinataires de services d’intermédiation financière résidant en Belgique de nature à les dissuader de recourir aux services de prestataires non-résidents, tout en rendant plus difficile, pour ces derniers, de proposer leurs services dans cet État membre ». En rendant le recours à un service transfrontalier moins attrayant que le recours à un service national équivalent, la mesure constitue une restriction à la libre prestation des services, prohibée en principe par l’article 56 du traité.

B. La prévalence de la libre prestation de services sur la libre circulation des capitaux

Avant d’analyser le fond de la restriction, la Cour examine quelle liberté fondamentale est principalement en jeu. La mesure, qui porte sur des opérations de bourse, pourrait relever à la fois de la libre prestation des services et de la libre circulation des capitaux. Conformément à sa jurisprudence constante, lorsqu’une mesure affecte plusieurs libertés, l’examen doit être mené au regard de l’une d’elles seulement « s’il s’avère que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée ».

En l’espèce, la Cour estime que l’aspect de la libre prestation des services prévaut. L’élément déclencheur de la taxe et des obligations afférentes est l’intervention d’un intermédiaire professionnel, c’est-à-dire un prestataire de services. La restriction découle directement des modalités applicables au choix du prestataire. L’effet sur les mouvements de capitaux n’est qu’une conséquence indirecte de l’entrave à la prestation de services. L’examen doit donc se concentrer sur l’article 56 du traité, ce qui ancre l’analyse dans le cadre des services financiers plutôt que dans celui des investissements eux-mêmes.

II. Une justification de la restriction subordonnée au respect de la proportionnalité

Après avoir établi l’existence d’une restriction, la Cour en examine la possible justification au regard d’objectifs légitimes (A), tout en soumettant sa validité à un contrôle de proportionnalité strict reposant sur l’existence de mécanismes d’atténuation (B).

A. L’admission de raisons impérieuses d’intérêt général

Le gouvernement de l’État membre concerné avançait que la législation visait à garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt et des contrôles fiscaux, ainsi qu’à lutter contre l’évasion fiscale. La Cour reconnaît de longue date que ces objectifs constituent « des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à l’exercice de la libre prestation des services ». En l’absence d’harmonisation fiscale européenne en la matière, les États membres conservent la compétence pour organiser leur système de perception des impôts.

La Cour admet que le fait de désigner le donneur d’ordre résident comme redevable, lorsque l’intermédiaire étranger ne peut être contraint de collecter la taxe, est une mesure apte à assurer que les opérations ne se soustraient pas à l’impôt. Le mécanisme est donc propre à garantir la réalisation des objectifs poursuivis. La Cour valide ainsi la légitimité de la démarche du législateur national, qui cherche à prévenir une concurrence déloyale et à assurer l’intégrité de son système fiscal.

B. Un contrôle de proportionnalité fondé sur l’existence de mesures d’atténuation

La justification d’une mesure restrictive ne suffit pas ; celle-ci doit également être proportionnée, c’est-à-dire ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif. C’est sur ce point que l’arrêt apporte sa principale contribution. La Cour ne se contente pas d’un examen abstrait mais vérifie si la réglementation prévoit des modalités concrètes pour limiter la charge pesant sur les opérateurs.

La Cour relève que le droit national offre plusieurs options. Le donneur d’ordre peut s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve que la taxe a déjà été acquittée, par exemple en produisant un bordereau et une preuve de paiement. De plus, les intermédiaires non-résidents ont la faculté, sans y être obligés, de désigner un représentant responsable dans l’État de résidence du client pour accomplir les formalités en leur nom. Ce « choix d’options », selon les termes de la Cour, permet aux parties de sélectionner la solution la moins contraignante.

En conclusion, la Cour juge que la restriction peut être compatible avec le droit de l’Union, « pour autant que cette réglementation offre à un tel donneur d’ordre et auxdits intermédiaires professionnels des facilités, tant en ce qui concerne les obligations déclaratives liées à cette taxe que son paiement, qui limitent cette restriction à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes poursuivis ». L’arrêt renvoie ainsi la balle à la juridiction nationale, qui devra vérifier si ces facilités sont, en pratique, suffisamment effectives pour ne pas rendre l’exercice de la liberté de prestation de services excessivement difficile.

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Hassan KOHEN
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