L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 30 juin 2011, dans une affaire opposant les héritiers d’un contribuable à une administration fiscale nationale, apporte des clarifications essentielles sur les modalités d’application de la libre circulation des capitaux en matière d’imposition des dividendes de source étrangère. Un résident allemand, assujetti à l’impôt sur le revenu dans son État de résidence, avait perçu entre 1995 et 1997 des dividendes de sociétés établies au Danemark et aux Pays-Bas. Après son décès, ses héritiers ont sollicité auprès de l’administration fiscale allemande l’octroi d’un avoir fiscal sur ces dividendes, équivalent à celui accordé pour les dividendes de source nationale, afin d’éliminer la double imposition économique. Cette demande fut initialement rejetée au motif que le mécanisme d’imputation n’était prévu que pour l’impôt sur les sociétés acquitté par des sociétés résidentes. Saisie d’un recours, la juridiction financière de Cologne a adressé une première demande de décision préjudicielle à la Cour de justice, laquelle a jugé, dans un arrêt antérieur, qu’une telle différence de traitement était contraire aux articles 56 CE et 58 CE. Suite à cette décision, la juridiction de renvoi s’est trouvée confrontée à de nouvelles difficultés pratiques : comment calculer le montant de l’avoir fiscal lorsque le taux d’imposition étranger n’est pas aisé à déterminer et quelles preuves l’assujetti doit-il fournir, sachant que la législation nationale exigeait une attestation spécifique au système fiscal allemand, impossible à obtenir pour des sociétés étrangères. De surcroît, une modification législative nationale était intervenue rétroactivement pour empêcher la prise en compte de telles attestations produites tardivement. Face à ces incertitudes, la juridiction a posé de nouvelles questions préjudicielles. Il s’agissait de savoir si la libre circulation des capitaux s’opposait à ce qu’un État membre, à défaut de preuve jugée suffisante, calcule l’avoir fiscal selon son propre taux national, exige des justificatifs conformes à son seul modèle interne, et modifie rétroactivement les règles de procédure pour faire échec à des demandes de restitution. La Cour de justice a répondu que le calcul de l’avoir fiscal doit se fonder sur le taux d’imposition de l’État d’établissement de la société distributrice, que les exigences de preuve ne doivent pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à déduction, et que le principe d’effectivité interdit une modification législative rétroactive privant les justiciables de leur droit sans un délai transitoire.
L’arrêt précise ainsi les conséquences matérielles du principe de non-discrimination en matière fiscale, en définissant les modalités de calcul de l’avoir fiscal et les exigences probatoires (I), tout en garantissant l’efficacité des droits tirés du droit de l’Union par une protection procédurale renforcée (II).
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**I. La concrétisation des exigences matérielles du crédit d’impôt pour les dividendes étrangers**
La Cour de justice établit deux règles fondamentales : elle impose une méthode de calcul du crédit d’impôt fondée sur la réalité de l’imposition étrangère (A) et assouplit les conditions de preuve requises du contribuable (B).
**A. La méthode de calcul de l’avoir fiscal fondée sur le taux d’imposition étranger**
La Cour réaffirme que lorsqu’un État membre a mis en place un système pour prévenir la double imposition des dividendes nationaux, il doit accorder un traitement équivalent aux dividendes provenant d’autres États membres. Elle en tire une conséquence pratique s’agissant du calcul de l’avantage fiscal. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la possibilité d’appliquer forfaitairement le taux d’imputation national, soit 3/7 des dividendes perçus, lorsque la preuve du taux étranger n’était pas rapportée. La Cour rejette cette approche et énonce que « le calcul de l’avoir fiscal doit être effectué en fonction du taux d’imposition des bénéfices distribués au titre de l’impôt des sociétés applicable à la société distributrice selon le droit de son État membre d’établissement ». Cette solution s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence antérieure, qui veut que le système national soit transposé « dans toute la mesure du possible, aux cas de figure transfrontaliers ». Une imputation forfaitaire basée sur le taux national ne refléterait pas l’imposition réellement supportée en amont et pourrait maintenir une différence de traitement discriminatoire.
Toutefois, la Cour pose une limite importante à cette obligation. Le montant de l’avoir fiscal accordé « ne saurait avoir pour effet d’imposer aux États membres d’aller au-delà d’une annulation de l’impôt national sur le revenu à acquitter par l’actionnaire ». En d’autres termes, le crédit d’impôt ne peut excéder l’impôt dû dans l’État de résidence de l’actionnaire, excluant ainsi tout remboursement d’un impôt acquitté dans un autre État membre. Cette précision préserve l’autonomie fiscale des États membres, en empêchant que le système fiscal de l’un ne crée une charge pour le budget de l’autre. La solution garantit donc un équilibre entre l’effectivité de la libre circulation des capitaux et la souveraineté fiscale des États.
**B. L’assouplissement des exigences probatoires imposées au contribuable**
La législation allemande subordonnait l’octroi de l’avoir fiscal à la production d’une attestation très détaillée, conforme à un modèle national impossible à obtenir de la part de sociétés non-résidentes. La Cour de justice juge qu’une telle exigence constitue une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux. Tout en reconnaissant la légitimité de l’objectif de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux, elle applique le principe de proportionnalité. Une réglementation qui « empêcherait de manière absolue » les contribuables de fournir des preuves répondant à d’autres critères irait au-delà de ce qui est nécessaire. Par conséquent, l’administration fiscale ne peut refuser l’avantage fiscal si le contribuable fournit d’autres pièces justificatives pertinentes.
La Cour précise cependant la portée de cette obligation. Les autorités fiscales sont en droit d’exiger que le contribuable leur fournisse des preuves « leur permettant de vérifier, de façon claire et précise, si les conditions d’obtention d’un avoir fiscal prévu par la législation nationale sont réunies ». La charge de la preuve incombe donc toujours au contribuable. L’administration n’est pas tenue de recourir au mécanisme d’assistance mutuelle prévu par la directive 77/799/CEE pour pallier une éventuelle carence du contribuable à fournir les informations nécessaires. La solution consiste donc à interdire un formalisme excessif et à admettre une équivalence des preuves, sans pour autant décharger le contribuable de son obligation de justifier sa demande ni imposer à l’administration une obligation de recherche active d’informations à l’étranger.
**II. La sanctuarisation de l’effectivité du droit à restitution par des garanties procédurales**
Au-delà des aspects substantiels, la Cour de justice renforce la protection des justiciables en encadrant le pouvoir des États membres de modifier leurs règles de procédure (A), confirmant ainsi la primauté de l’exercice effectif des droits conférés par le droit de l’Union sur l’autonomie procédurale nationale (B).
**A. La censure de la modification législative rétroactive sans régime transitoire**
La juridiction de renvoi était confrontée à une modification législative de 2004 qui, avec effet rétroactif, excluait que la production tardive d’une attestation fiscale puisse constituer un « événement à effet rétroactif » permettant de réviser un avis d’imposition devenu définitif. Cette mesure rendait en pratique impossible l’obtention de l’avoir fiscal pour les périodes antérieures. La Cour de justice rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les modalités procédurales nationales ne doivent pas rendre « impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ». Appliquant ce principe d’effectivité, elle juge qu’une telle modification, qui prive les justiciables de la possibilité d’introduire des demandes qu’ils étaient en droit de présenter sous l’empire de l’ancienne législation, est contraire au droit de l’Union si elle n’est pas assortie d’un régime transitoire.
La Cour énonce que le principe d’effectivité « requiert que la nouvelle législation comporte un régime transitoire permettant aux justiciables de disposer d’un délai suffisant, après l’adoption de celle-ci, pour pouvoir introduire les demandes de remboursement ». Elle confie à la juridiction nationale le soin de déterminer ce qu’est un « délai raisonnable » pour permettre aux contribuables de faire valoir leurs droits. Cette approche pragmatique garantit la sécurité juridique et protège les attentes légitimes des justiciables face à des changements législatifs qui ont pour effet de fermer des voies de droit. La sanction n’est pas l’inapplication pure et simple de la nouvelle loi, mais l’obligation pour le juge national d’en aménager les effets dans le temps.
**B. La portée de la décision sur l’autonomie procédurale des États membres**
Cet arrêt illustre de manière claire la tension entre l’autonomie procédurale des États membres et la nécessité d’assurer l’effet utile du droit de l’Union. En exigeant non seulement que les exigences de preuve soient proportionnées, mais aussi que les règles temporelles de procédure ne privent pas le justiciable de son droit, la Cour consolide une protection quasi-constitutionnelle des droits tirés des traités. La décision confirme que si les États membres sont libres de fixer des délais de recours raisonnables, ils ne peuvent les modifier rétroactivement de manière à anéantir un droit à restitution. La portée de cette solution dépasse le seul cas de l’imposition des dividendes. Elle constitue un principe directeur applicable à toute situation où une modification des règles de procédure nationales menace l’exercice d’un droit fondé sur le droit de l’Union.
L’arrêt renforce ainsi la position du justiciable face à l’administration fiscale. En soumettant les règles de preuve et de procédure à un contrôle de proportionnalité et d’effectivité, la Cour de justice veille à ce que les libertés fondamentales, en l’espèce la libre circulation des capitaux, ne restent pas lettre morte. Elle oblige les États membres, lorsqu’ils choisissent d’atténuer la double imposition, à le faire de manière cohérente et non discriminatoire, en adaptant leurs propres systèmes administratifs et procéduraux aux réalités d’un marché intérieur intégré.