Par un arrêt du 30 juin 2016, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’articulation entre la libre circulation des capitaux et les conventions fiscales bilatérales préventives de la double imposition. La Cour a clarifié la mesure dans laquelle un État membre peut accorder un traitement fiscal différencié aux dividendes perçus par ses résidents en fonction de l’État d’origine de ces revenus, qu’il s’agisse d’un autre État membre ou d’un État tiers.
En l’espèce, des résidents belges ont perçu des dividendes d’une société établie en Pologne, sur lesquels une retenue à la source de 15 % a été opérée par l’État polonais. Lors de la déclaration de ces revenus en Belgique, l’administration fiscale a appliqué une imposition complémentaire, considérant que les conventions fiscales applicables ne permettaient pas l’imputation de l’impôt polonais.
Les contribuables ont contesté cette décision devant les juridictions nationales. Ils soutenaient que le refus d’imputation de l’impôt polonais était fondé sur une condition restrictive du droit interne belge, à savoir que les capitaux générant les dividendes devaient être affectés à une activité professionnelle en Belgique. Or, cette condition n’était pas exigée dans le cadre d’autres conventions fiscales conclues par la Belgique avec des États tiers, lesquelles prévoyaient une imputation inconditionnelle. Saisi du litige, le tribunal de première instance de Liège a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle situation avec les principes de la libre circulation des capitaux, garantis par les articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Le problème de droit soulevé était donc de savoir si les dispositions du droit de l’Union relatives à la libre circulation des capitaux s’opposent à ce qu’un État membre refuse d’étendre le bénéfice d’un avantage fiscal, prévu par une convention préventive de la double imposition conclue avec un État tiers, à des revenus provenant d’un autre État membre lorsque la convention applicable à ces derniers subordonne un tel avantage à des conditions plus strictes.
À cette question, la Cour de justice a répondu par la négative. Elle juge que les traités européens « ne s’opposent pas à ce qu’un État membre n’étende pas, dans une situation telle que celle en cause au principal, le bénéfice d’un traitement avantageux octroyé à un actionnaire résident, découlant d’une convention fiscale bilatérale préventive de la double imposition conclue entre cet État membre et un État tiers, par lequel l’impôt prélevé à la source par l’État tiers est imputé d’une manière inconditionnelle sur l’impôt dû dans ledit État membre de résidence de l’actionnaire, à un actionnaire résident qui perçoit des dividendes provenant d’un État membre avec lequel ce même État membre de résidence a conclu une convention fiscale bilatérale préventive de la double imposition qui subordonne l’octroi d’une telle imputation au respect de conditions supplémentaires prévues par le droit national. »
La Cour reconnaît ainsi qu’un traitement fiscal différencié peut constituer une restriction à la libre circulation des capitaux (I), mais elle justifie cette restriction en se fondant sur l’absence de comparabilité des situations, dictée par la logique inhérente aux conventions fiscales bilatérales (II).
I. La reconnaissance d’une restriction à la libre circulation des capitaux
La Cour de justice commence son raisonnement par constater que le traitement fiscal moins favorable réservé aux investissements dans certains États membres constitue une entrave au sens de l’article 63 du TFUE. Elle admet que le dispositif belge est de nature à dissuader les résidents d’investir dans un autre État membre (A), réaffirmant ainsi la portée étendue du principe d’interdiction des restrictions aux mouvements de capitaux (B).
A. La constatation d’un traitement désavantageux pour les investissements intracommunautaires
La Cour relève d’emblée que la situation des résidents belges qui perçoivent des dividendes de source polonaise est objectivement moins favorable que celle des résidents percevant des dividendes d’un État tiers avec lequel la Belgique a conclu une convention plus avantageuse. Dans le premier cas, le droit à l’imputation de l’impôt étranger est subordonné au respect d’une condition restrictive de droit interne, tandis que dans le second, ce droit est inconditionnel.
Ce traitement différencié crée une disparité manifeste. La Cour estime qu’« un tel traitement désavantageux est susceptible de dissuader les résidents belges de procéder à des investissements dans les États membres avec lesquels le Royaume de Belgique n’a pas conclu de convention bilatérale prévoyant un droit inconditionnel à une imputation de l’impôt prélevé à la source sur l’impôt belge ». En qualifiant ce mécanisme de restriction, elle confirme que l’entrave à la libre circulation des capitaux ne se mesure pas seulement par rapport à une situation purement nationale, mais aussi par rapport à des flux de capitaux impliquant des États tiers.
B. La portée du principe d’interdiction des restrictions aux mouvements de capitaux
L’article 63, paragraphe 1, du TFUE pose un principe général d’interdiction des restrictions aux mouvements de capitaux non seulement entre les États membres, mais également entre les États membres et les États tiers. La Cour applique ici une jurisprudence constante en considérant que toute mesure nationale qui décourage les investissements transfrontaliers tombe, en principe, sous le coup de cette interdiction.
En l’espèce, l’investisseur résident est confronté à un choix où l’investissement dans un État membre donné est fiscalement pénalisé par rapport à un investissement similaire dans un État tiers. Cette situation porte atteinte à l’objectif d’intégration du marché unique des capitaux. La qualification de restriction apparaît donc comme une étape logique et nécessaire de l’analyse, avant d’examiner si une telle mesure peut néanmoins être justifiée au regard des dérogations prévues par le traité. C’est sur ce terrain de la justification que la solution de la Cour prend toute sa dimension.
II. La justification de la restriction par la logique des conventions fiscales bilatérales
Après avoir qualifié la mesure de restriction, la Cour de justice l’estime néanmoins justifiée. Elle fonde sa décision sur l’idée que les situations régies par des conventions fiscales distinctes ne sont pas objectivement comparables (A), ce qui permet de préserver l’équilibre négocié de chaque traité bilatéral (B).
A. Le recours à l’absence de situation objectivement comparable
La Cour examine la restriction à la lumière de l’article 65, paragraphe 1, sous a), du TFUE, qui autorise les États membres à appliquer des dispositions fiscales distinguant les contribuables selon le lieu où leurs capitaux sont investis. Pour qu’une telle distinction soit compatible avec le traité, elle doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.
La Cour écarte ici l’existence d’une situation comparable. Elle affirme que des résidents belges percevant des dividendes de Pologne « ne se trouvent pas dans une situation objectivement comparable à celle de résidents belges percevant des dividendes provenant d’un État tiers avec lequel le Royaume de Belgique a conclu une convention bilatérale préventive de la double imposition prévoyant un droit inconditionnel à une telle imputation ». Cette absence de comparabilité découle directement du fait que les avantages fiscaux en question sont issus d’instruments juridiques distincts, à savoir deux conventions bilatérales différentes.
B. La préservation de l’équilibre négocié des conventions bilatérales
La Cour souligne que les avantages prévus par une convention fiscale « font partie intégrante de l’ensemble des règles conventionnelles et contribuent à l’équilibre général des relations réciproques entre les deux États contractants ». Un avantage fiscal accordé dans le cadre d’un traité avec un État tiers est la contrepartie de concessions faites par cet État. Il ne peut donc être considéré comme un « avantage détachable » qui pourrait être transposé unilatéralement au contexte d’une autre convention, négociée avec un autre État et reposant sur un équilibre différent.
En adoptant cette position, la Cour reconnaît l’autonomie des États membres dans la négociation de leurs conventions fiscales, y compris avec des États tiers. Elle refuse d’imposer une clause de la nation la plus favorisée par le biais de la libre circulation des capitaux, ce qui aurait pour effet de perturber l’équilibre délicat de la répartition des pouvoirs d’imposition entre les États. La solution préserve ainsi la cohérence du système fiscal international fondé sur la réciprocité des engagements conventionnels.