Par un arrêt en date du 30 juin 2016, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une demande de décision préjudicielle par le Tribunalul Sibiu, a précisé les contours de l’obligation des États membres de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union. En l’espèce, une contribuable roumaine avait dû acquitter une taxe sur les émissions polluantes pour l’immatriculation d’un véhicule d’occasion provenant d’un autre État membre. Suite à une première décision préjudicielle ayant jugé une telle taxe contraire à l’article 110 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la contribuable a obtenu une décision de justice nationale ordonnant le remboursement de la somme indûment versée. Cependant, l’État membre concerné a adopté une législation d’urgence prévoyant un échelonnement du remboursement sur une période de cinq ans, suspendant toute procédure d’exécution forcée et conditionnant le paiement à la disponibilité de fonds spécifiques.
Saisie une nouvelle fois, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la compatibilité d’un tel dispositif avec les principes du droit de l’Union. L’enjeu était de déterminer si les modalités procédurales nationales, bien que relevant de l’autonomie des États membres, ne rendaient pas en pratique excessivement difficile, voire impossible, l’exercice du droit au remboursement découlant de l’ordre juridique de l’Union. La Cour a estimé qu’un tel système national, en instaurant un remboursement différé et incertain sans voie d’exécution forcée, méconnaissait les exigences fondamentales du droit de l’Union, en particulier le principe d’effectivité. La solution rappelle ainsi fermement les limites imposées à l’autonomie procédurale des États lorsque les droits que les justiciables tirent des traités sont en jeu.
La Cour censure ainsi un dispositif national qui méconnaît les exigences fondamentales du droit de l’Union (I), tout en rappelant la primauté de celui-ci sur les considérations budgétaires internes (II).
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I. La censure d’un dispositif national faisant obstacle à la restitution de l’indû
La décision de la Cour s’articule autour du rappel des principes cardinaux qui gouvernent le remboursement des taxes contraires au droit de l’Union (A), pour ensuite sanctionner un mécanisme national qui, par ses modalités, rend ce droit au remboursement en grande partie illusoire (B).
A. La réaffirmation des principes cardinaux encadrant le remboursement des taxes
La Cour rappelle d’emblée sa jurisprudence constante selon laquelle « le droit d’obtenir le remboursement des taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union ». Cette obligation de restitution, assortie du versement des intérêts, découle directement de l’ordre juridique européen. En l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient aux États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, de définir les modalités de ces remboursements.
Toutefois, cette autonomie est strictement encadrée par deux limites fondamentales : le principe d’équivalence et le principe d’effectivité. Le premier exige que les modalités applicables aux recours fondés sur le droit de l’Union ne soient pas moins favorables que celles régissant des recours similaires d’origine purement interne. Le second, au cœur du litige, interdit aux États d’aménager leurs procédures de manière à rendre « impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ». La Cour rappelle également le principe de coopération loyale, qui interdit à un État membre d’adopter, après un arrêt constatant l’incompatibilité d’une taxe, des conditions de remboursement spécifiques et moins favorables que le régime de droit commun.
B. La sanction d’un mécanisme rendant illusoire le droit au remboursement
La Cour examine le dispositif national à l’aune de ces principes. Elle constate que la législation roumaine, en prévoyant un échelonnement du remboursement sur cinq ans, en suspendant toute mesure d’exécution forcée pendant cette période et, surtout, en conditionnant le paiement à la disponibilité de fonds provenant d’une autre taxe, ne satisfait pas aux exigences du principe d’effectivité. Un tel système, selon la Cour, « place le justiciable dans une situation d’incertitude prolongée quant à la date à laquelle il obtiendra le remboursement intégral du montant de la taxe indûment payée ».
L’élément décisif de la censure réside dans l’absence de toute voie de droit contraignante pour le créancier. La Cour souligne que le justiciable ne dispose « d’aucun moyen lui permettant de contraindre l’autorité publique compétente de s’acquitter de ses obligations lorsqu’elle cesse de les exécuter volontairement ». En combinant un délai de remboursement excessivement long, une conditionnalité des paiements et une immunité d’exécution temporaire au profit de l’État, le dispositif national vide le droit au remboursement de sa substance. La Cour conclut ainsi qu’un tel système « rend l’exercice des droits tirés de l’ordre juridique de l’Union excessivement difficile et ne satisfait pas à l’obligation incombant aux États membres de garantir qu’il soit donné plein effet à de tels droits ».
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II. La portée du contrôle de la Cour sur l’autonomie procédurale des États membres
Au-delà de la sanction du cas d’espèce, l’arrêt se distingue par sa fermeté quant aux justifications pouvant être avancées par les États (A) et par le rôle central qu’il confie au juge national pour assurer la primauté effective du droit de l’Union (B).
A. Le rejet des justifications d’ordre économique pour déroger au droit de l’Union
L’État membre concerné justifiait la mise en place de ce système de remboursement échelonné par l’existence de difficultés économiques et budgétaires, ainsi que par le risque d’un blocage institutionnel face à l’afflux de demandes de restitution. La Cour balaie cet argument avec une grande clarté. Elle rappelle que l’obligation de rembourser les taxes illégalement perçues est un principe fondamental et ne saurait être écartée pour des raisons purement économiques.
La Cour affirme qu’il « ne saurait être admis […] qu’un État membre, en sa qualité de débiteur dans un litige tel que celui au principal, puisse se prévaloir d’une insuffisance de fonds pour justifier l’impossibilité d’exécuter une décision juridictionnelle reconnaissant à un justiciable un droit tiré de l’ordre juridique de l’Union ». Cette position réaffirme avec force la hiérarchie des normes : les contraintes budgétaires nationales ne peuvent servir de prétexte pour paralyser l’exercice d’un droit conféré par les traités. L’autonomie procédurale ne permet pas de vider de sa substance une obligation matérielle imposée par le droit de l’Union.
B. Le rôle renforcé du juge national comme garant de l’effectivité du droit de l’Union
Tout au long de sa décision, la Cour précise qu’il appartient à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications concrètes. S’agissant du principe d’équivalence, elle souligne qu’« il incombe à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications nécessaires afin de garantir le respect de ce principe ». De même, concernant le régime de droit commun qui s’appliquerait en l’absence de la loi litigieuse, la Cour invite le juge national à vérifier si celui-ci répond aux exigences du principe d’effectivité.
Cette démarche illustre parfaitement le dialogue des juges et la fonction du renvoi préjudiciel. La Cour de justice ne se substitue pas au juge national ; elle lui fournit l’interprétation du droit de l’Union qui lui permettra de trancher le litige dont il est saisi. En l’espèce, elle lui donne les outils pour écarter l’application de la législation nationale contraire aux principes d’effectivité et de coopération loyale. L’arrêt conforte ainsi le juge national dans son rôle de premier gardien de l’ordre juridique de l’Union, chargé d’assurer, au cas par cas, que les droits des citoyens européens ne restent pas lettre morte face à des obstacles procéduraux nationaux.