Cour de justice de l’Union européenne, le 30 juin 2016, n°C-416/15

Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié l’application dans le temps des règlements antidumping, en particulier lorsqu’une mesure est étendue pour contrer un contournement. En l’espèce, une société importatrice avait mis en libre pratique dans l’Union des tissus de fibre de verre expédiés depuis Taïwan en 2012. Postérieurement, les autorités douanières nationales ont réclamé à cette société le paiement de droits antidumping, considérant que les marchandises étaient en réalité originaires de la République populaire de Chine et relevaient d’un règlement instituant un droit initial, puis d’un règlement étendant ce droit aux importations depuis Taïwan. La société a contesté ce redressement, arguant que les importations avaient eu lieu avant même l’ouverture de l’enquête pour contournement et l’enregistrement obligatoire des importations concernées. Saisie du litige, la Cour d’appel de Bucarest a interrogé la Cour de justice sur la possibilité d’appliquer rétroactivement le règlement d’extension. La question de droit posée était donc de savoir si un droit antidumping étendu pour cause de contournement pouvait s’appliquer à des importations effectuées avant l’entrée en vigueur du règlement ayant ouvert l’enquête et imposé l’enregistrement desdites importations. La Cour a répondu par la négative, jugeant que le règlement d’extension ne pouvait s’appliquer rétroactivement. Elle a cependant précisé que le règlement antidumping initial restait applicable si l’origine chinoise des marchandises était établie par les autorités nationales.

I. Le rejet d’une application rétroactive du règlement d’extension

La Cour de justice encadre strictement les dérogations au principe de non-rétroactivité en matière de droits antidumping. Elle subordonne l’application de mesures à des importations passées à l’existence d’un enregistrement douanier préalable (A), offrant ainsi une protection essentielle aux opérateurs économiques contre l’insécurité juridique (B).

A. Le principe de non-rétroactivité conditionné à l’enregistrement des importations

La Cour rappelle que si le droit de l’Union consacre le principe de non-rétroactivité des mesures antidumping, des exceptions existent, notamment en cas de contournement. Toutefois, l’application de ces exceptions est formellement encadrée. Le règlement de base prévoit que l’extension de droits antidumping ne peut prendre effet qu’à compter d’une date précise. Comme le souligne l’arrêt, « dans le cas de l’existence d’un contournement, l’extension des mesures définitives déjà instituées prend effet à compter de la date à laquelle l’enregistrement a été rendu obligatoire ». Cet enregistrement des importations, ordonné par le règlement qui ouvre l’enquête de contournement, agit comme une notification officielle aux importateurs, les avertissant du risque d’une application future de droits étendus. En l’absence d’un tel enregistrement au moment des faits, les conditions d’une application rétroactive ne sont pas remplies. Les importations en cause ayant eu lieu avant même l’adoption du règlement imposant cet enregistrement, elles ne pouvaient donc être soumises au droit étendu.

B. La confirmation d’une solution protectrice pour les opérateurs économiques

En refusant l’application rétroactive du règlement d’extension, la Cour réaffirme l’importance du principe de sécurité juridique. Les opérateurs économiques doivent pouvoir se fier au cadre réglementaire en vigueur au moment où ils réalisent leurs opérations commerciales. Une application rétroactive imprévisible des droits de douane porterait une atteinte disproportionnée à la confiance légitime et à la prévisibilité des transactions. La solution de la Cour est sans équivoque lorsqu’elle énonce que « le droit antidumping définitif étendu par cette disposition n’est pas applicable rétroactivement à des produits expédiés de Taïwan, mis en libre pratique dans l’Union après la date d’entrée en vigueur du règlement initial, mais avant celle du règlement d’ouverture ». Cette position garantit que les sanctions douanières, même justifiées sur le fond par des pratiques de contournement, ne peuvent être imposées sans que les opérateurs aient été préalablement et formellement avertis du risque encouru par l’obligation d’enregistrement. L’arrêt conforte ainsi une interprétation stricte des dérogations au principe de non-rétroactivité.

II. La réaffirmation de la primauté de l’origine réelle des marchandises

Après avoir écarté l’application du règlement d’extension, la Cour offre cependant une voie alternative pour la perception des droits. Elle rappelle le pouvoir de contrôle des autorités douanières quant à l’origine déclarée des marchandises (A) et confirme que si l’origine réelle est établie, le règlement initial s’applique de plein droit (B).

A. Le pouvoir de contrôle a posteriori des autorités douanières

La Cour précise que son interprétation stricte de la non-rétroactivité ne laisse pas les autorités douanières sans ressource face à une déclaration d’origine potentiellement inexacte. Le fait que des marchandises soient accompagnées de certificats d’origine ne lie pas définitivement les autorités. Celles-ci conservent la faculté de mener des contrôles a posteriori pour s’assurer de la conformité de l’origine déclarée. L’arrêt rappelle à cet effet que « la finalité du contrôle a posteriori est de vérifier l’exactitude de l’origine indiquée dans le certificat d’origine ». Cette prérogative est fondamentale pour l’efficacité du système douanier et la lutte contre la fraude. Un certificat d’origine ne constitue qu’un élément de preuve, qui peut être remis en cause par des éléments factuels démontrant une réalité différente, comme une enquête révélant que les marchandises ont simplement transité par un pays tiers sans y subir de transformation substantielle.

B. La soumission des importations au droit initial en cas d’origine avérée

La conséquence logique de ce pouvoir de contrôle est la possibilité d’appliquer le droit antidumping initial si l’origine véritable des marchandises est prouvée. La Cour conclut sa démonstration en guidant explicitement la juridiction de renvoi sur ce point. Si les autorités douanières parviennent à établir que les produits importés sont en réalité originaires du pays visé par le premier règlement, alors ce règlement s’applique directement. Le contournement n’est alors plus la base juridique de la taxation, mais simplement le procédé frauduleux ayant dissimulé la véritable origine des biens. La solution est clairement énoncée : « le droit antidumping institué par l’article 1er, paragraphe 1, du règlement initial est applicable à l’importation de tels produits, s’il est établi que, bien qu’expédiés depuis Taïwan et déclarés comme étant originaires de ce pays, ces produits sont en réalité originaires de la République populaire de Chine ». Cette précision est essentielle car elle assure que la protection de la sécurité juridique ne se transforme pas en une immunité pour les opérateurs ayant délibérément masqué l’origine de leurs produits pour échapper aux droits dus.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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