La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 30 juin 2016, précise les modalités du contrôle de proportionnalité des restrictions à la libre prestation des services. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la validité d’un monopole relatif aux jeux de hasard contesté par des exploitants de machines à sous dépourvus d’autorisation. Une société titulaire d’une concession avait engagé une action pour faire cesser l’exploitation illicite d’appareils installés dans des établissements tiers par des entreprises étrangères. Les défendeurs soutenaient que la législation nationale était contraire au droit de l’Union malgré une jurisprudence interne la jugeant compatible avec les objectifs de protection sociale.
Le Tribunal régional de Wiener Neustadt a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour sur la méthodologie de l’examen de la proportionnalité. Les juges nationaux souhaitaient savoir si ce contrôle devait intégrer les effets de la réglementation constatés empiriquement après son adoption initiale par le législateur. La question portait sur l’interprétation de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne face à une réglementation restreignant l’accès au marché des jeux. Les prétentions des parties s’opposaient sur la nécessité de démontrer avec certitude l’efficacité concrète des mesures de lutte contre la criminalité et l’addiction.
L’article 56 du traité impose-t-il une évaluation dynamique de la mesure restrictive au regard de ses résultats concrets et ultérieurs à son entrée en vigueur ? La Cour répond que l’examen de la proportionnalité doit se fonder tant sur l’objectif initial que sur les effets de la réglementation appréciés postérieurement. L’exigence d’une appréciation dynamique de la proportionnalité précède ainsi l’étude de la portée de l’évaluation empirique des mesures restrictives nationales au sein de l’Union.
I. L’exigence d’une appréciation dynamique de la proportionnalité
A. Le dépassement d’une analyse statique de la mesure restrictive
La Cour affirme que l’appréciation de la proportionnalité ne peut se limiter à l’analyse de la situation telle qu’elle se présentait au moment de l’adoption. Elle impose une approche dynamique obligeant le juge national à tenir compte de l’évolution des circonstances postérieurement à l’entrée en vigueur du texte législatif. Les magistrats doivent effectuer une « appréciation globale des circonstances entourant l’adoption et la mise en œuvre d’une réglementation restrictive » pour vérifier sa validité juridique. Cette méthode assure que la mesure demeure justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général malgré les mutations sociales, économiques ou technologiques de l’État.
L’analyse de la conformité au droit de l’Union européenne exige une vigilance constante sur l’adéquation des moyens employés par rapport aux buts légitimes poursuivis. Une réglementation initialement licite peut devenir disproportionnée si les conditions de son application ne permettent plus d’atteindre les objectifs de santé publique fixés. Le juge doit donc scruter les faits à la date de l’instance pour confirmer la persistance de la nécessité de la restriction aux libertés fondamentales. Cette exigence de suivi temporel garantit l’effectivité de la libre prestation des services face à des monopoles d’État potentiellement figés ou obsolètes.
B. La confirmation d’une mise en œuvre cohérente et systématique
L’article 56 du traité s’oppose à une règle qui ne répond pas « véritablement au souci de réduire les occasions de jeu » de façon systématique. Cette exigence de cohérence implique que l’objectif de lutte contre la criminalité soit poursuivi avec la même rigueur pendant toute la durée d’application de la loi. Le juge doit vérifier si la politique commerciale des opérateurs autorisés reste compatible avec la volonté initiale de limiter l’offre de jeux de hasard. La persistance de la légitimité de la restriction dépend alors de l’absence de décalage manifeste entre les intentions affichées et les résultats observés.
Une mesure de protection ne saurait être considérée comme cohérente si l’État encourage parallèlement la consommation des services qu’il prétend limiter pour des raisons morales. Le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne impose ainsi une surveillance de la pratique administrative et commerciale des titulaires de concessions exclusives. Les juridictions nationales vérifient que le système mis en place ne sert pas exclusivement à augmenter les recettes fiscales au détriment de l’ordre public. Cette évaluation continue de la mise en œuvre de la réglementation conditionne la reconnaissance de sa proportionnalité par rapport aux exigences du droit européen.
II. La portée de l’évaluation empirique des restrictions nationales
A. L’interprétation stricte de l’exigence de réalité des effets
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’emploi d’un terme suggérant la nécessité de prouver les effets de la loi de manière empirique et certaine. La Cour précise toutefois que le terme « véritablement » ne saurait être interprété comme une injonction de constater scientifiquement l’existence de résultats statistiques précis. Elle souligne que les différentes versions linguistiques convergent vers une exigence de sincérité et de réalité de l’objectif poursuivi par les autorités étatiques. Le contrôle juridictionnel porte ainsi sur la sincérité de la politique restrictive plutôt que sur une démonstration mathématique de son efficacité absolue.
L’absence d’obligation de preuve empirique certaine évite de paralyser l’action législative face à des phénomènes sociaux complexes dont les causes restent multiples. Le juge national dispose d’une marge d’appréciation pour évaluer si la réglementation contribue effectivement à la diminution de la criminalité ou de la dépendance. Il doit s’appuyer sur des indices concordants montrant que la mesure n’est pas purement symbolique ou détournée de sa finalité protectrice annoncée. Cette approche équilibrée préserve la souveraineté des États membres tout en assurant le respect du principe de proportionnalité inhérent aux libertés de circulation.
B. Les implications pour le contrôle juridictionnel des monopoles
Cette décision renforce le rôle du magistrat national qui doit examiner l’état des activités criminelles liées aux jeux à la date des faits litigieux. L’évaluation doit intégrer des facteurs tels que la croissance démographique ou la conjoncture économique qui peuvent influencer l’efficacité d’une mesure restrictive au fil du temps. Les autorités publiques sont donc tenues de surveiller l’impact de leurs réglementations pour garantir qu’elles ne deviennent pas disproportionnées par rapport au but initial. Cette obligation de vigilance prévient le maintien de barrières protectionnistes qui ne seraient plus justifiées par des impératifs de protection des consommateurs.
La solution retenue par la Cour de justice de l’Union européenne impose une révision périodique de la pertinence des monopoles d’État sur les marchés sensibles. Les juges doivent rester attentifs aux évolutions de la politique commerciale et à l’apparition de nouvelles formes de criminalité liées aux technologies de l’information. Cette jurisprudence assure une protection effective des droits des prestataires de services en empêchant la pérennisation de restrictions injustifiées par le simple passage du temps. Le contrôle juridictionnel devient ainsi l’instrument d’une régulation dynamique et adaptée aux réalités contemporaines du marché intérieur européen.