Cour de justice de l’Union européenne, le 30 juin 2022, n°C-170/21

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction bulgare, la Cour de justice de l’Union européenne précise l’étendue des obligations du juge national confronté à une clause abusive dans un contrat de crédit à la consommation, dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer non contradictoire. En l’espèce, un professionnel avait saisi un tribunal d’une demande de délivrance d’une injonction de payer à l’encontre d’un consommateur pour des sommes dues au titre d’un contrat de crédit. Le juge de première instance, constatant d’office le caractère abusif d’une clause relative à des frais pour services supplémentaires, avait non seulement rejeté la demande pour la partie de la créance fondée sur cette clause, mais avait également imputé les paiements déjà effectués par le consommateur au titre de cette clause sur le capital et les intérêts restants dus. Saisie par le professionnel, une juridiction supérieure a annulé cette réimputation, estimant que le juge de l’injonction de payer n’avait pas compétence pour procéder à une telle compensation d’office, le consommateur devant engager une procédure distincte pour obtenir la restitution des sommes indûment versées. Face à cette divergence et doutant de la compatibilité de la jurisprudence de l’instance supérieure avec le droit de l’Union, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur les obligations qui incombent au juge national en vertu de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993. Le problème de droit soulevé consistait à déterminer si, dans une procédure unilatérale, le juge national doit non seulement écarter d’office une clause abusive, mais aussi en tirer toutes les conséquences restitutoires, notamment par une compensation d’office, y compris en allant à l’encontre de la jurisprudence d’une juridiction supérieure. La Cour répond que le juge national est tenu d’écarter d’office l’application de la clause abusive, ce qui peut le conduire à rejeter partiellement la demande du professionnel. En revanche, si la restitution des sommes versées en vertu de cette clause est une conséquence nécessaire, la directive n’impose pas en principe au juge de procéder à une compensation d’office, cette modalité relevant de l’autonomie procédurale nationale, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

L’arrêt consolide le rôle protecteur du juge national en matière de clauses abusives (I), tout en délimitant les contours de son intervention au regard des mécanismes de restitution (II).

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I. La consolidation de l’office du juge dans la protection du consommateur

La Cour de justice réaffirme avec force le devoir d’intervention du juge national face à une clause abusive (A), une intervention dont elle précise la portée sur la demande du professionnel (B).

A. Le contrôle d’office, un impératif en procédure non contradictoire

La décision rappelle une jurisprudence constante selon laquelle la protection du consommateur, considéré comme la partie faible au contrat, exige une intervention active du juge. Cette obligation est d’autant plus cruciale dans le cadre de procédures unilatérales, telle l’injonction de payer, où le consommateur est absent et ne peut donc faire valoir ses droits. La Cour énonce ainsi que le juge « est tenu d’écarter d’office l’application d’une clause abusive du contrat de crédit à la consommation ». Cette obligation supplée au déséquilibre informationnel et de pouvoir de négociation entre le professionnel et le consommateur. En agissant d’office, le juge garantit l’effet utile de la directive 93/13, qui vise à éliminer les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment du consommateur. L’arrêt souligne que cette mission s’impose même si le juge doit pour cela prendre des mesures d’instruction afin de disposer de tous les éléments de fait et de droit nécessaires à son appréciation. Le contrôle juridictionnel n’est donc pas une simple faculté, mais bien un devoir fondamental qui constitue le socle de la protection consumériste en droit de l’Union.

B. La faculté d’un rejet partiel de la demande comme sanction de l’abus

Après avoir constaté le caractère abusif d’une clause, le juge doit en neutraliser les effets. La Cour précise cependant que cette sanction ne conduit pas nécessairement à l’anéantissement de l’ensemble de l’acte. Conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive, « le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. » La Cour en déduit logiquement que le juge peut se limiter à écarter la seule clause illicite et maintenir le reste du contrat, pour autant que celui-ci puisse survivre juridiquement. Par conséquent, face à une demande en paiement, le juge « dispose de la faculté de rejeter partiellement cette demande ». Cette solution pragmatique permet de concilier la nécessaire sanction du professionnel ayant eu recours à une clause abusive et le maintien des relations contractuelles pour les obligations qui ne sont pas viciées. Elle évite des conséquences disproportionnées qu’entraînerait une annulation totale du contrat, tout en assurant le rétablissement de l’équilibre contractuel voulu par le législateur de l’Union.

L’office du juge étant ainsi clairement défini quant à l’identification et la non-application de la clause, la question plus délicate de la restitution des paiements déjà effectués se pose.

II. Le cadre conditionnel de la restitution des paiements indus

La Cour articule sa réponse autour de l’autonomie procédurale des États membres (A), une autonomie cependant strictement encadrée par les principes cardinaux du droit de l’Union (B).

A. La restitution par compensation d’office : une modalité relevant de l’autonomie procédurale nationale

La Cour établit une distinction claire entre l’obligation de résultat, qui est la non-opposabilité de la clause abusive et le droit à restitution pour le consommateur, et les modalités procédurales pour y parvenir. Elle juge que la directive « n’oblige pas, en principe, ce juge à procéder à une compensation d’office entre le paiement effectué sur le fondement de ladite clause et le solde dû en vertu de ce contrat ». En effet, l’organisation de la justice et les règles de procédure relèvent de la compétence des États membres. La directive impose que le consommateur ne soit pas lié par la clause et puisse obtenir la restitution des avantages indûment acquis par le professionnel, mais elle ne dicte pas la voie procédurale à suivre. Un État membre peut donc légitimement prévoir que la restitution doive être demandée dans le cadre d’une procédure distincte. Cette solution respecte la répartition des compétences entre l’Union et ses membres, en laissant à ces derniers le soin d’aménager leurs systèmes judiciaires pour atteindre l’objectif fixé par le droit de l’Union.

B. Les principes d’équivalence et d’effectivité comme limites à l’autonomie procédurale

L’autonomie procédurale nationale n’est cependant pas absolue. La Cour rappelle qu’elle est limitée par deux principes fondamentaux. Le principe d’équivalence interdit qu’une procédure visant à faire respecter un droit issu du droit de l’Union soit moins favorable que celle applicable à des recours similaires de nature interne. Le principe d’effectivité, quant à lui, proscrit toute règle nationale qui rendrait « impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union ». C’est donc à l’aune de ces deux principes que le juge national doit évaluer son droit procédural. Si l’obligation pour le consommateur d’engager une action distincte pour obtenir restitution constitue une charge excessive ou un obstacle insurmontable, alors le principe d’effectivité serait violé. Dans une telle hypothèse, le juge national serait tenu, pour assurer la primauté et l’effet utile du droit de l’Union, de procéder à la compensation d’office et « d’écarter l’application de la jurisprudence en sens contraire d’une juridiction de degré supérieur ». La Cour confie ainsi au juge national la responsabilité d’apprécier, au cas par cas, si son système procédural garantit une protection concrète et effective des droits du consommateur.

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Hassan KOHEN
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