Cour de justice de l’Union européenne, le 30 mai 2013, n°C-651/11

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu cette décision le 30 mai 2013 en matière d’harmonisation des législations fiscales. Le litige portait sur la qualification d’une cession de participations minoritaires au regard du régime de la transmission d’une universalité de biens. Une société détenait trente pour cent des parts d’une entité dont elle assurait parallèlement la direction contre rémunération. Elle a cédé ses titres à un tiers en même temps que les autres associés tout en mettant fin à ses fonctions administratives. La cédante a déduit la taxe ayant grevé les frais liés à cette vente en invoquant l’existence d’une transmission d’entreprise.

L’administration fiscale a refusé cette déduction et a établi un avis de redressement pour la période allant de 1996 à 1998. La cour d’appel de la Haye a d’abord annulé ce redressement par une décision dont le sens a été contesté en cassation. Saisi de ce litige, le Hoge Raad der Nederlanden a décidé de surseoir à statuer par une décision du 2 décembre 2011. La juridiction de renvoi demandait si la cession d’une part du capital social pouvait bénéficier de la dispense de taxation prévue par la directive. Elle souhaitait également savoir si la concomitance des ventes réalisées par les autres actionnaires modifiait l’analyse juridique de l’opération.

La société soutenait que la cession de sa participation constituait la transmission d’une universalité de biens et de services au sens de la législation. Elle considérait que les frais exposés devaient être considérés comme faisant partie des frais généraux liés à l’ensemble de son activité économique. L’administration fiscale affirmait au contraire que la vente d’actions ne permettait pas au bénéficiaire de continuer l’exploitation de manière autonome. Elle contestait ainsi le droit à déduction de la taxe dès lors que l’opération en aval ne revêtait pas un caractère taxable.

La question posée était de savoir si la cession de trente pour cent des parts d’une société constitue une transmission d’entreprise. Le juge européen répond par la négative en estimant que « la détention des actions d’une entreprise ne suffit pas » pour autoriser une telle qualification. Il précise que les actionnaires ne sont pas propriétaires des actifs mais détiennent seulement un droit sur la gestion et les bénéfices. L’analyse portera sur l’exclusion des cessions de parts du concept d’universalité avant d’envisager la rigueur de l’approche individuelle des mutations.

I. L’exclusion des cessions de parts du concept d’universalité de biens

A. La distinction structurelle entre détention de capital et propriété des actifs

Le juge rappelle que le régime de faveur vise à faciliter les transferts d’entreprises en évitant de grever inutilement la trésorerie du bénéficiaire. Cette dispense s’applique uniquement si l’ensemble des éléments transférés permet la poursuite d’une activité économique autonome sous la direction du nouvel acquéreur. Or, la Cour souligne que « les actionnaires ne sont pas propriétaires des actifs de l’entreprise » dans laquelle ils détiennent une simple participation financière. La vente de titres ne peut donc être assimilée à une transmission de biens corporels ou incorporels affectés à une exploitation commerciale.

La décision confirme que la simple prise de participations financières ne constitue pas une exploitation de biens visant à produire des recettes permanentes. Seule une immixtion directe dans la gestion accompagnée de services taxables confère à la détention de titres le caractère d’une activité économique. Toutefois, cette immixtion ne transforme pas la nature juridique de la participation qui reste limitée à des droits financiers et administratifs. Le transfert de tels droits ne permet pas au cessionnaire de se substituer au cédant pour exploiter directement les actifs sociaux.

B. L’insuffisance de la cessation des fonctions de direction pour caractériser un transfert

La juridiction souligne que la fin des activités de direction du cédant constitue la conséquence logique et directe de la vente des actions. Cette rupture du lien contractuel de gestion n’entraîne pas pour autant la transmission d’une unité économique indépendante au profit de l’acheteur. Pour bénéficier de la qualification d’universalité, il aurait fallu que les prestations de direction forment une partie autonome de l’entreprise du vendeur. L’acquéreur aurait alors dû payer une contrepartie distincte du prix des actions pour reprendre l’exploitation de ces services de manière indépendante.

L’arrêt précise que la transmission d’une universalité de biens couvrirait uniquement les activités de direction si celles-ci étaient effectivement cédées comme telles. La cession des parts sociales demeure une opération juridiquement distincte dont l’objet porte exclusivement sur la propriété des titres de capital. La simultanéité entre la vente du capital et le retrait des organes d’administration ne suffit pas à unifier ces deux transactions. Le juge maintient ainsi une séparation stricte entre les actifs nécessaires à l’exploitation et les titres représentatifs de la propriété sociétaire.

II. Le maintien d’une analyse fragmentée des opérations de cession

A. L’impossibilité d’agréger les cessions réalisées par plusieurs associés

Le juge européen refuse de prendre en compte le fait que l’acheteur acquiert la totalité du capital par des transactions concomitantes. Il souligne que le libellé de la directive utilise le terme de cédant au singulier pour définir les conditions de la transmission. Chaque opération doit donc être appréciée de manière individuelle et indépendante par l’autorité fiscale sans égard pour les intentions globales des parties. Cette approche garantit une application uniforme de la taxe sur la valeur ajoutée en évitant des interprétations fondées sur des critères subjectifs.

La Cour considère que « chaque opération doit être appréciée de manière individuelle » conformément au principe fondamental du système commun de la taxe. La cession par tous les associés de leurs parts respectives à une même personne ne constitue pas juridiquement le transfert d’une universalité. Cette pluralité de vendeurs empêche de considérer que le bénéficiaire continue la personne d’un cédant unique au sens du droit de l’Union. La neutralité fiscale impose de traiter chaque vente de titres selon ses caractéristiques propres sans tenir compte du résultat final de l’opération.

B. L’impact du traitement fiscal de l’opération sur le droit à déduction

Le droit à déduction suppose l’existence d’un lien direct et immédiat entre les prestations acquises en amont et les opérations réalisées. La cession d’actions étant qualifiée d’opération exonérée, la taxe ayant grevé les frais de vente n’est en principe pas récupérable par l’assujetti. Le juge précise cependant qu’une déduction reste possible si les coûts sont incorporés dans le prix des biens ou services fournis. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si ces dépenses font partie des frais généraux liés à l’activité économique globale.

Cette solution limite strictement la portée de la dispense de taxation pour les sociétés holdings qui gèrent activement leurs participations dans des filiales. La valeur de la décision réside dans la clarification des conditions de déductibilité de la taxe lors de la sortie du capital. Elle oblige les opérateurs à démontrer que les frais de cession ne sont pas incorporés dans le prix de vente des titres. La portée de cet arrêt assure ainsi une protection contre les risques de déductions abusives liées à des opérations financières exonérées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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