Cour de justice de l’Union européenne, le 30 mai 2018, n°C-30/15

En l’espèce, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 10 novembre 2016 vient annuler un précédent arrêt du Tribunal de l’Union européenne ainsi qu’une décision de la chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). La controverse juridique porte sur la validité d’une marque tridimensionnelle de l’Union européenne représentant la forme d’un cube dont les faces présentent une structure en grille. Cette marque, enregistrée en 1999 pour des « puzzles en trois dimensions », a fait l’objet d’une demande en nullité formée par une société concurrente.

Le demandeur en nullité soutenait que la marque était constituée exclusivement par la forme imposée par la nature du produit et par la forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, motifs d’exclusion prévus par le règlement sur la marque de l’Union européenne. La division d’annulation de l’EUIPO rejeta cette demande, une position confirmée par la chambre de recours au motif que la structure en grille n’était pas fonctionnelle. Saisi d’un recours, le Tribunal de l’Union européenne l’a rejeté par un arrêt du 25 novembre 2014, estimant que le signe litigieux ne contenait pas de fonction technique, car la capacité de rotation des éléments du cube n’était pas visible dans la représentation graphique de la marque. Le demandeur en nullité a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice.

Le débat se cristallisait autour des arguments échangés devant la Cour. Le requérant au pourvoi faisait valoir que le Tribunal avait commis une erreur de droit en n’examinant pas la fonctionnalité technique de la forme, y compris ses éléments non visibles comme le mécanisme de rotation. Le titulaire de la marque et l’EUIPO défendaient quant à eux la décision du Tribunal, arguant que l’analyse devait se limiter aux caractéristiques visibles de la forme telle que déposée.

Il était ainsi demandé à la Cour de justice de déterminer si, pour apprécier l’existence d’un motif de refus à l’enregistrement lié à une fonction technique, l’autorité compétente doit uniquement se fonder sur la représentation graphique du signe ou si elle doit également prendre en considération des éléments fonctionnels non visibles du produit que la forme représente.

La Cour de justice censure l’approche du Tribunal. Elle juge que l’analyse ne doit pas se limiter aux caractéristiques visibles de la forme. Elle affirme que les caractéristiques fonctionnelles du produit, y compris celles qui sont invisibles, doivent être prises en compte pour déterminer si la forme est exclusivement dictée par une fonction technique. Par conséquent, la Cour annule l’arrêt du Tribunal et la décision de la chambre de recours qui avait validé l’enregistrement de la marque contestée.

L’arrêt impose une clarification bienvenue de l’examen des formes présentant une fonction technique (I), ce qui renforce la distinction fondamentale entre le droit des marques et le droit des brevets (II).

I. La portée étendue de l’examen des formes à fonction technique

La Cour de justice, en censurant la méthode d’analyse du Tribunal, redéfinit les contours de l’appréciation d’une marque tridimensionnelle. Elle rejette une lecture purement visuelle du signe (A) pour imposer une prise en compte de la fonctionnalité réelle du produit concerné (B).

A. La censure d’une analyse exclusivement visuelle

Le Tribunal avait estimé que la fonction technique du produit, à savoir la capacité de rotation des éléments du cube, ne résultait pas des caractéristiques de la forme représentée. Il s’était limité aux lignes noires et à la structure en grille visibles sur les faces du cube. La Cour de justice juge ce raisonnement erroné. Elle précise que « s’agissant d’apprécier si des motifs de refus […] trouvent à s’appliquer, les caractéristiques essentielles du signe tridimensionnel en cause doivent être identifiées sur la base de la représentation graphique de ce signe ». Toutefois, l’analyse ne saurait s’arrêter là.

La Cour critique le fait que le Tribunal ait délibérément ignoré la fonction technique du produit réel. En se focalisant sur l’absence de représentation du mécanisme interne, le Tribunal a omis de reconnaître que la structure même de la grille extérieure est la conséquence directe et nécessaire de cette fonction. La segmentation visible du cube n’a d’autre objet que de permettre le jeu de rotation des pièces. L’approche du Tribunal revenait à accorder une protection par le droit des marques à un signe dont l’apparence est indissociable de sa fonction technique, ce qui contrevient à l’esprit du texte réglementaire.

B. La prise en compte nécessaire de la fonctionnalité du produit

La Cour de justice restaure une analyse plus concrète et fonctionnelle. Elle affirme que l’examen ne doit pas faire abstraction du produit réel et de son usage. Pour déterminer si la forme est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, il faut analyser la fonction du produit que cette forme représente, même si les mécanismes qui la permettent ne sont pas visibles. En l’occurrence, la « structure en grille qui figure sur chacune des faces du cube litigieux a pour effet de diviser visuellement chacune de ces faces en neuf petits cubes de taille égale ». Cette structure est l’expression même de la capacité de rotation, qui constitue le résultat technique du puzzle.

Cette solution oblige l’examinateur à regarder au-delà de la simple image pour comprendre ce qu’elle incarne fonctionnellement. L’analyse doit donc porter sur les caractéristiques essentielles de la forme et déterminer si celles-ci répondent à une fonction technique, empêchant ainsi l’enregistrement. En procédant ainsi, la Cour réaffirme que le droit des marques ne doit pas servir à protéger des inventions techniques.

II. La réaffirmation de l’étanchéité entre droit des marques et droit des brevets

La décision revêt une importance capitale pour la délimitation des différents droits de propriété intellectuelle. Elle a pour valeur de prévenir la création de monopoles perpétuels sur des solutions techniques (A), et sa portée affectera durablement l’enregistrement des formes fonctionnelles (B).

A. La prévention d’un monopole perpétuel sur une solution technique

La valeur principale de cet arrêt réside dans sa ferme volonté de préserver la finalité de chaque droit de propriété intellectuelle. Le droit des brevets offre une protection limitée dans le temps pour une invention technique. En contrepartie, l’invention doit être divulguée et tombe dans le domaine public à l’expiration du brevet. Le droit des marques, potentiellement perpétuel, a pour but de garantir l’origine d’un produit. Permettre l’enregistrement d’une forme dont les caractéristiques remplissent une fonction technique reviendrait à offrir à son titulaire un monopole éternel sur cette fonction.

La Cour souligne que les motifs d’exclusion visent précisément à « empêcher que la protection conférée par le droit des marques ne soit étendue au-delà des signes servant à distinguer un produit ou un service de ceux offerts par les concurrents ». En l’espèce, permettre à un opérateur économique de s’approprier la forme d’un puzzle rotatif par le biais du droit des marques l’autoriserait à interdire à ses concurrents de commercialiser des puzzles ayant la même fonctionnalité. Cette décision réaffirme donc avec force que les solutions techniques relèvent exclusivement du domaine du brevet, dont la durée est limitée.

B. La portée significative pour l’avenir des marques de forme

La portée de cette jurisprudence est considérable. Elle clarifie la méthode que les offices de propriété intellectuelle et les juridictions devront suivre pour évaluer la validité des marques tridimensionnelles. Désormais, l’analyse d’une forme ne pourra plus faire l’économie d’une interrogation sur la fonction technique qu’elle pourrait dissimuler. Il ne suffit plus que la forme présente un caractère distinctif suffisant ; il faut également s’assurer qu’elle n’est pas l’expression d’une solution technique.

Cet arrêt constitue un avertissement pour les entreprises qui cherchent à protéger des aspects fonctionnels de leurs produits par le droit des marques. La barre pour l’enregistrement des marques de forme est ainsi rehaussée. L’examen de la validité devra intégrer une analyse technique approfondie, pouvant aller jusqu’à la prise en compte d’informations extérieures à la représentation graphique, pour évaluer la réalité de la fonction. Cette solution est de nature à limiter le nombre de marques de forme enregistrées, en particulier dans les secteurs où l’apparence des produits est étroitement liée à leur utilité technique.

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Hassan KOHEN
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