Par un arrêt du 30 mai 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la notion de « frais de scolarité » ouvrant droit à l’allocation scolaire pour les fonctionnaires de l’Union. En l’espèce, plusieurs fonctionnaires du Parlement européen avaient sollicité le remboursement de sommes versées pour la scolarisation de leurs enfants dans des établissements belges subventionnés. Ces écoles, bien que respectant le programme officiel de la Communauté française de Belgique, proposaient un projet pédagogique spécifique, notamment linguistique et culturel, financé par des contributions versées par les parents à des associations tierces. Le non-paiement de ces contributions n’entraînait pas l’exclusion de l’enfant de l’établissement, mais uniquement sa non-participation au projet pédagogique additionnel. L’administration du Parlement, après avoir accepté de tels remboursements par le passé, a refusé les demandes pour l’année scolaire 2014/2015 au motif que les écoles concernées n’étaient pas des « établissements d’enseignement payants » au sens du statut des fonctionnaires. Les requérants ont alors introduit une réclamation, laquelle fut rejetée, bien que le secrétaire général du Parlement ait décidé d’accorder l’allocation à titre « gracieux et exceptionnel » pour l’année en cause. Saisi d’un recours en annulation, le Tribunal de l’Union européenne a, par un arrêt du 28 avril 2017, rejeté l’ensemble des moyens soulevés par les fonctionnaires. Ces derniers ont formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant l’interprétation retenue par le Tribunal. Se posait donc à la Cour la question de savoir si des contributions financières, versées de manière volontaire à une entité tierce pour financer des activités pédagogiques non obligatoires au sein d’un établissement d’enseignement par ailleurs gratuit, peuvent être qualifiées de « frais de scolarité » au sens de l’article 3 de l’annexe VII du statut. La Cour de justice rejette le pourvoi, confirmant que de telles sommes ne sauraient être considérées comme des frais de scolarité, car elles ne conditionnent pas la fréquentation même de l’établissement, seul critère pertinent pour déterminer si celui-ci est « payant ».
La solution retenue par la Cour repose sur une définition stricte de la notion de frais de scolarité, dont elle entend préserver l’autonomie (I). Cette approche conduit logiquement à faire primer le principe de légalité sur les garanties habituellement invoquées par les administrés, telles que la confiance légitime et l’égalité de traitement (II).
I. Une définition stricte et autonome de la notion de frais de scolarité
La Cour de justice opère une qualification rigoureuse des frais exposés par les requérants. Pour ce faire, elle s’attache d’abord à réaffirmer le caractère autonome de la notion statutaire de « frais de scolarité », la détachant de la situation individuelle des fonctionnaires (A). Elle en déduit ensuite que la nature obligatoire des frais constitue le seul critère pertinent pour leur qualification, indépendamment de leur destination pédagogique (B).
A. Le caractère autonome de la notion comme obstacle à une approche finaliste
Les requérants soutenaient que l’objectif de l’allocation scolaire, qui est de compenser les charges familiales réellement supportées par le fonctionnaire, devait conduire à une interprétation large de la notion de frais de scolarité. La Cour écarte ce raisonnement en rappelant que « la notion de “frais de scolarité” est une notion autonome du droit de l’Union ». L’interprétation de cette notion doit donc se fonder sur son libellé et les objectifs de la réglementation, et non sur la seule finalité de l’allocation. Or, le statut dispose clairement que l’allocation est destinée à couvrir les frais engagés pour la fréquentation d’un « établissement d’enseignement […] payant ». Le caractère payant ne s’apprécie pas au regard des dépenses effectives du parent, mais bien au regard de la nature de l’établissement lui-même. C’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a examiné la nature des frais pour déterminer s’ils conditionnaient l’inscription et la fréquentation des écoles. En se référant à une circulaire nationale belge pour constater que l’accès à ces établissements était gratuit, le juge n’a pas subordonné le droit de l’Union au droit national, mais a simplement utilisé un élément de fait pour qualifier la situation juridique au regard des seuls critères du statut. La Cour entérine ainsi une lecture littérale du texte, privilégiant une définition objective et uniforme de la condition d’octroi de l’allocation, au détriment d’une approche plus casuistique qui prendrait en compte la diversité des systèmes éducatifs et les choix des parents.
B. Le critère de l’obligation des frais comme clé de qualification
La Cour confirme la distinction opérée par le Tribunal entre les frais conditionnant la scolarisation et ceux finançant des projets pédagogiques spécifiques. Les contributions versées par les requérants à des associations sans but lucratif n’étaient pas exigées pour l’inscription ou la fréquentation des écoles. Leur non-paiement n’entraînait pas l’exclusion de l’élève, mais seulement sa non-participation au programme additionnel. Dès lors, ces sommes ne peuvent être considérées comme des frais de scolarité. La Cour valide l’analyse du Tribunal selon laquelle de telles contributions relèvent en réalité des « autres frais relatifs à l’accomplissement du programme scolaire de l’établissement d’enseignement fréquenté », explicitement exclus du remboursement par les dispositions générales d’exécution du statut. Elle juge ainsi que « les cotisations versées aux associations sans but lucratif concernées ne peuvent être qualifiées de “frais de scolarité”. En effet, elles constituent des frais générés par des exigences et des activités liées au projet spécifique et de scolarité non subventionné des écoles en cause ». Cette interprétation établit une frontière nette : seuls les frais dont l’acquittement est une condition sine qua non de la fréquentation de l’établissement ouvrent droit à l’allocation. Toute autre dépense, même si elle est directement liée à un projet éducatif et facturée par une entité liée à l’école, est écartée du champ d’application du remboursement.
Cette interprétation rigoureuse de la légalité statutaire emporte des conséquences importantes sur la protection que les fonctionnaires pouvaient espérer tirer de la pratique administrative antérieure ou de la situation de leurs collègues.
II. La primauté du principe de légalité sur les garanties invoquées par les fonctionnaires
Face à l’interprétation stricte du statut, les requérants avaient tenté d’invoquer plusieurs principes généraux du droit de l’Union pour contester le changement de pratique de l’administration. La Cour les rejette successivement, en faisant prévaloir le respect de la légalité sur la protection de la confiance légitime (A) et sur le principe d’égalité de traitement (B).
A. Le rejet de la confiance légitime face à une pratique administrative non conforme au statut
Les requérants arguaient que la pratique établie par le Parlement, qui avait remboursé ces mêmes frais durant plusieurs années, avait fait naître dans leur chef une confiance légitime. La Cour balaie cet argument en rappelant une jurisprudence constante et rigoureuse. Elle approuve le raisonnement du Tribunal selon lequel « aucune violation du principe de protection de la confiance légitime ne saurait être constatée lorsque des assurances précises, inconditionnelles et concordantes données par une institution ne respectent pas les dispositions du statut ». En d’autres termes, une pratique administrative, même ancienne et constante, ne peut créer de droits en violation des textes applicables. Nul ne peut se prévaloir d’une confiance légitime dans le maintien d’une situation illégale. Le fait que l’administration ait pu commettre une erreur d’interprétation par le passé ne la lie pas pour l’avenir. Cette solution, bien que sévère pour les fonctionnaires qui avaient pu organiser leur vie familiale sur la base de cette pratique, est une illustration classique de la hiérarchie des normes, où la stabilité des situations individuelles doit céder le pas devant le strict respect de la règle de droit. Le revirement de l’administration n’est alors pas une faute, mais un retour à une correcte application du statut.
B. L’inopérance du principe d’égalité de traitement face à une illégalité commise en faveur d’autrui
Le dernier argument des requérants portait sur une rupture d’égalité, dès lors que des fonctionnaires d’autres institutions, comme la Commission européenne, continuaient de percevoir le remboursement pour des enfants inscrits dans les mêmes écoles. La Cour écarte ce moyen en le jugeant inopérant. Elle se fonde sur le principe, tout aussi constant, selon lequel « le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui ». Ainsi, même à supposer que d’autres institutions aient continué à verser l’allocation de manière indue, cette illégalité ne saurait être étendue aux requérants. Le principe d’égalité ne peut être invoqué que dans le sens du respect de la légalité. Le Parlement, en refusant le paiement, s’est conformé au statut, et les requérants ne peuvent exiger qu’il commette la même erreur que d’autres pour garantir une égalité de traitement. Cette solution met en évidence les limites du pouvoir d’auto-organisation de chaque institution. Si chaque institution dispose d’une marge d’interprétation, celle-ci s’arrête là où commence une violation manifeste du statut, dont l’application se doit d’être uniforme à travers l’Union.