La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 6 octobre 2025 un arrêt confirmant la légalité de droits antidumping sur des importations. Deux producteurs égyptiens appartenant à un même groupe industriel contestent le calcul de la valeur normale effectué par la Commission européenne dans le règlement d’exécution litigieux. Les requérantes critiquent la méthode d’ajustement des coûts de production de la matière première utilisée pour fabriquer les tissus en fibres de verre exportés. Elles soutiennent que l’administration ne peut écarter leurs écritures comptables au seul motif que les prix d’achat intragroupes diffèrent des prix du marché. Le Tribunal de l’Union européenne ayant rejeté leur recours initial le 1er mars 2023, les intéressées ont formé un pourvoi devant la haute juridiction. La question de droit posée est de savoir si l’absence de conditions de pleine concurrence autorise la Commission à écarter les coûts comptabilisés. La Cour rejette le pourvoi en validant le recours à des sources externes pour déterminer les frais lorsque les transactions liées sont faussées. L’analyse portera d’abord sur les conditions de rectification des écritures comptables avant d’examiner la validité des méthodes de substitution retenues par les institutions.
I. L’encadrement du pouvoir de rectification des coûts de production
A. La remise en cause légitime des documents comptables du producteur
Le règlement (ue) 2016/1036 prévoit que « les frais sont normalement calculés sur la base des documents comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête ». Cette règle suppose toutefois que les registres « tiennent compte raisonnablement des frais liés à la production et à la vente du produit considéré ». La Cour souligne que ce régime dérogatoire doit faire l’objet d’une interprétation restrictive sans pour autant priver la Commission de son pouvoir de vérification. L’institution peut ainsi écarter les données comptables si elles ne représentent pas de manière adéquate les charges effectivement supportées sur le marché national.
B. L’exigence de prix de pleine concurrence pour l’évaluation des frais
Les prix pratiqués entre sociétés liées font l’objet d’une attention particulière afin de déceler d’éventuelles distorsions affectant directement le calcul de la valeur normale. Le juge de l’Union considère que des tarifs systématiquement inférieurs à ceux appliqués aux acheteurs indépendants ne constituent pas une base de calcul fiable. Une telle différence de prix démontre que les transactions n’ont pas été conclues dans des « conditions de pleine concurrence » au sens du règlement. L’ajustement devient nécessaire pour garantir que les coûts retenus correspondent à ceux qu’un producteur indépendant aurait encourus dans des circonstances commerciales normales. Cette étape préliminaire de constatation de la distorsion permet d’ouvrir la voie à une reconstruction plus fidèle de la valeur économique des intrants.
II. La mise en œuvre de méthodes alternatives de calcul
A. La hiérarchie impérative des sources de données de substitution
Le règlement de base organise les modalités de remplacement des frais lorsqu’ils ne sont pas raisonnablement reflétés dans les écritures comptables de la partie. Les services de la Commission doivent prioritairement se fonder sur les coûts d’autres producteurs ou exportateurs établis dans le même pays exportateur. Ce recours à des données tierces locales vise à maintenir une proximité géographique et économique avec l’environnement de production initial des marchandises. La Cour précise que cette obligation de recherche de comparabilité ne s’impose que si les informations sont disponibles et exploitables par l’administration. En l’absence de tels éléments de comparaison nationaux fiables, le cadre juridique autorise alors le passage à une méthodologie de calcul subsidiaire.
B. La justification du recours subsidiaire à toute autre base raisonnable
L’administration peut déterminer les frais sur « toute autre base raisonnable » si les données des producteurs locaux ne permettent pas une comparaison valable. Dans cette affaire, la structure verticalement intégrée du seul autre producteur national rendait ses propres coûts de production inadaptés à une transposition directe. La Cour valide l’utilisation de prix facturés à des sociétés indépendantes sur le marché égyptien pour ajuster le coût de la matière première. Cette approche garantit la cohérence du calcul tout en respectant l’obligation de motivation pesant sur les institutions européennes lors de l’adoption de l’acte. La solution retenue confirme ainsi la marge d’appréciation technique nécessaire pour traiter des situations économiques complexes au sein de groupes internationaux intégrés.