La Cour de justice de l’Union européenne, en sa deuxième chambre, a rendu une décision le 30 mai 2024 relative à la libre prestation des services. Ce litige oppose des prestataires de services d’intermédiation en ligne à une autorité nationale de régulation au sujet d’obligations d’inscription et de contributions financières. Les faits concernent des sociétés établies en Irlande et au Luxembourg qui proposent des services d’intermédiation immobilière et de vente de biens dans un autre État. La législation nationale leur impose désormais de s’inscrire à un registre administratif, de communiquer des informations structurelles et de verser une redevance annuelle. Saisi de recours en annulation, le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction de l’Union. La question posée est de savoir si la directive sur le commerce électronique s’oppose à de telles charges administratives et pécuniaires imposées par l’État de destination. La Cour juge que l’article 3 de ladite directive interdit ces mesures nationales adoptées pour veiller à l’application d’un règlement européen sur la transparence. Il convient d’analyser d’abord l’affirmation de l’exclusivité du contrôle de l’État d’origine (I) avant d’étudier l’encadrement strict des dérogations à cette liberté (II).
I. L’affirmation de l’exclusivité du contrôle de l’État d’origine
L’étude de cette exclusivité suppose d’examiner l’inclusion des obligations dans le domaine coordonné (A) ainsi que le rejet corrélatif de la compétence de l’État de destination (B).
A. L’inclusion des obligations nationales dans le domaine coordonné
Les juges soulignent que l’obligation d’inscription à un registre constitue une exigence relative à l’exercice légal de l’activité de service de la société de l’information. La Cour précise que ce « domaine coordonné » couvre les exigences « applicables aux prestataires » ou aux services, qu’elles soient générales ou spécifiquement conçues pour eux. Peu importe que le prestataire puisse techniquement débuter son activité sans ces formalités, car l’illégalité potentielle de l’exercice caractérise une restriction au marché intérieur. Ainsi, la transmission d’informations sur l’actionnariat et le versement d’une contribution financière entrent directement dans le champ d’application de la directive sur le commerce électronique.
L’appartenance de ces mesures au domaine coordonné entraîne l’application rigoureuse du principe du pays d’origine qui exclut toute intervention concurrente de l’État de destination.
B. Le rejet de la compétence de l’État de destination
Le principe de reconnaissance mutuelle impose que les services soient réglementés uniquement dans l’État membre sur le territoire duquel le prestataire de services est établi. La juridiction européenne rappelle qu’il appartient exclusivement à l’État membre d’origine de protéger les objectifs d’intérêt général par la voie de la réglementation nationale. En conséquence, l’État de destination ne peut pas restreindre la libre circulation en exigeant le respect d’obligations supplémentaires non prévues par l’État membre d’établissement. Cette solution préserve l’intégrité du marché unique en évitant que les opérateurs transfrontaliers ne soient soumis à une multitude de régimes administratifs nationaux divergents.
Si le contrôle appartient en principe à l’État d’origine, la directive prévoit des exceptions dont la mise en œuvre est toutefois soumise à un contrôle juridictionnel rigoureux.
II. L’encadrement strict des dérogations à la libre prestation de services
Cet encadrement se manifeste par l’insuffisance des motifs de surveillance générale (A) et par l’inefficience de l’objectif de transparence commerciale comme motif dérogatoire (B).
A. L’insuffisance des motifs de surveillance et de régulation
La Cour examine si les mesures litigieuses peuvent bénéficier des exceptions prévues par la directive pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique. Elle affirme que seules les « mesures prises à l’encontre d’un service donné » peuvent légalement déroger au principe fondamental de la libre circulation des services. Les « mesures générales et abstraites visant une catégorie entière de prestataires » ne répondent pas à cette exigence de précision imposée par le droit de l’Union. Le but de surveillance des marchés ne saurait justifier une entrave systématique sans démontrer un risque sérieux et grave d’atteinte aux intérêts protégés par l’article 3.
L’exigence de spécificité de la mesure se double d’une appréciation stricte des objectifs invoqués par l’État membre pour limiter l’exercice des libertés de circulation.
B. L’inefficience de l’objectif de transparence commerciale comme dérogation
La juridiction souligne l’absence de lien direct entre l’objectif de transparence envers les entreprises utilisatrices et les impératifs de protection des consommateurs finaux. La protection des entreprises ne se confond pas avec celle des particuliers, et les répercussions indirectes sur ces derniers restent insuffisantes pour fonder une dérogation. Toute exception au principe du contrôle par l’État d’origine doit faire l’objet d’une interprétation stricte afin de ne pas vider la liberté de prestation. Par cet arrêt, la Cour garantit que la mise en œuvre de règlements européens ne serve pas de prétexte à la réintroduction de barrières administratives nationales.