Cour de justice de l’Union européenne, le 30 mars 2017, n°C-335/16

Par un arrêt en date du 1er décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours du principe du pollueur-payeur dans le cadre de la gestion des déchets municipaux. Saisie sur renvoi préjudiciel par une juridiction croate, la Cour a examiné la conformité d’un système national de tarification des déchets avec les exigences de la directive 2008/98/CE.

En l’espèce, une entreprise municipale de gestion de déchets a engagé une procédure de recouvrement à l’encontre de deux usagers pour des factures impayées relatives à la collecte des déchets ménagers. Les usagers contestaient le montant réclamé, arguant que celui-ci était calculé sur la base du volume du conteneur mis à leur disposition et non sur la quantité de déchets qu’ils avaient effectivement produits. Ils refusaient également de s’acquitter d’une redevance spécifique destinée à financer des investissements en capital pour des opérations de recyclage. La juridiction nationale, l’Općinski sud u Velikoj Gorici, a alors interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle méthode de calcul avec le droit de l’Union. Il s’agissait ainsi de déterminer si le principe du pollueur-payeur, tel que consacré par la directive, s’opposait à ce que les coûts de gestion des déchets soient facturés aux usagers sur la base d’un volume forfaitaire, et non de la quantité réelle, et incluent une participation aux frais d’investissement des infrastructures de traitement.

La Cour répond que, en l’état actuel du droit de l’Union, une telle réglementation nationale n’est pas contraire aux articles 14 et 15 de la directive 2008/98. Elle précise toutefois qu’il incombe à la juridiction nationale de s’assurer que ce mode de calcul n’entraîne pas l’imputation de coûts « manifestement disproportionnés » à certains détenteurs de déchets.

La décision de la Cour de justice valide ainsi une approche pragmatique de la mise en œuvre du principe du pollueur-payeur, tout en la soumettant au contrôle du juge national. Elle reconnaît une nécessaire souplesse laissée aux États membres dans l’organisation du financement de la gestion des déchets (I), mais encadre cette liberté par une exigence de proportionnalité dont l’appréciation est confiée au juge interne (II).

I. La validation d’une approche forfaitaire du principe pollueur-payeur

La Cour de justice admet que le financement du service de gestion des déchets peut reposer sur des critères qui ne sont pas directement liés à la quantité exacte de déchets produits par chaque usager. Cette position se fonde sur la reconnaissance d’une marge d’appréciation des États membres dans la détermination des coûts (A) et sur une conception large de ces coûts, qui peuvent inclure des frais d’investissement (B).

A. La souplesse laissée aux États membres dans la détermination des coûts

La Cour constate qu’aucune disposition du droit de l’Union n’impose « aux États membres une méthode précise s’agissant du financement du coût de l’élimination des déchets urbains ». Cette absence de cadre contraignant autorise les États à recourir à diverses modalités, telles qu’une taxe ou une redevance. Par conséquent, un système de facturation fondé sur le volume d’un conteneur ou la surface d’un logement n’est pas en soi contraire au principe du pollueur-payeur. La Cour estime qu’un tel critère « peut permettre de calculer les coûts de l’élimination de ces déchets et de les répartir entre les différents détenteurs ».

Ce faisant, la Cour entérine une application indirecte et forfaitaire du principe. Elle admet qu’il n’est pas toujours techniquement ou économiquement viable d’individualiser précisément la contribution de chaque usager. Le détenteur de déchets est ainsi tenu de participer au coût global d’un service collectif, même si sa participation est calculée selon une estimation de sa production de déchets plutôt qu’une mesure exacte. Cette solution pragmatique vise à ne pas imposer aux collectivités des contraintes de gestion trop lourdes qui pourraient nuire à l’efficacité du service public.

B. L’intégration des coûts d’investissement dans la contribution de l’usager

Le litige portait également sur la légalité d’une redevance supplémentaire visant à financer des investissements, notamment pour le recyclage. Sur ce point, la Cour de justice est également favorable à une interprétation large des coûts de gestion des déchets. Elle juge que les détenteurs de déchets doivent supporter l’ensemble des frais liés au service, ce qui inclut les dépenses d’investissement nécessaires à la mise en place d’infrastructures de traitement conformes aux objectifs de la directive.

Conformément à l’article 15 de la directive, la Cour estime que les États membres doivent s’assurer « que les producteurs de déchets participent collectivement aux investissements nécessaires pour remplir les objectifs » de la directive. Le principe du pollueur-payeur ne se limite donc pas à couvrir les seuls frais de fonctionnement de la collecte et de l’élimination. Il implique également une contribution à la construction et à la modernisation des installations, comme les centres de tri et de recyclage, qui sont indispensables à une gestion durable des déchets.

II. Une interprétation encadrée sous le contrôle du juge national

La flexibilité accordée aux États membres n’est cependant pas absolue. La Cour de justice y apporte une limite importante en introduisant un contrôle de proportionnalité. Elle pose le principe d’une limite à ne pas franchir, celle de la disproportion manifeste (A), et confère au juge national un rôle central pour en assurer le respect (B).

A. La limite de la disproportion manifeste

La Cour de justice tempère la portée de sa solution en précisant qu’un système de tarification forfaitaire ne doit pas conduire à « imputer à certains “détenteurs” des coûts manifestement disproportionnés par rapport aux volumes ou à la nature des déchets qu’ils sont susceptibles de produire ». Cette réserve constitue une garantie essentielle pour les usagers du service public. Elle vise à éviter que la simplicité administrative d’une méthode forfaitaire ne se traduise par une injustice flagrante pour certains contribuables.

L’exigence d’éviter une disproportion manifeste oblige les autorités nationales à s’assurer que les critères choisis pour la facturation conservent un lien raisonnable avec la quantité et la nature des déchets potentiellement générés. Par exemple, une personne vivant seule dans un petit appartement ne saurait se voir imputer des coûts similaires à ceux d’une famille nombreuse occupant une grande maison. Si la méthode de calcul peut être approximative, elle ne doit pas devenir arbitraire ni aboutir à des résultats manifestement inéquitables.

B. Le rôle directeur du juge national dans l’appréciation de la proportionnalité

Pour garantir l’effectivité de cette limite, la Cour de justice renvoie l’appréciation concrète à la juridiction nationale. Elle ne se contente pas de poser un principe abstrait, mais fournit au juge interne une série de critères directeurs. Celui-ci pourra ainsi tenir compte de « la surface et à l’affectation de ces biens, à la capacité productive des “détenteurs” des déchets, au volume des conteneurs mis à la disposition des usagers ainsi qu’à la fréquence du ramassage ».

Cette répartition des rôles est classique dans le cadre du renvoi préjudiciel. La Cour de justice donne une interprétation du droit de l’Union, et il appartient au juge national de l’appliquer aux faits spécifiques de l’espèce. En l’occurrence, cette démarche confère un pouvoir de contrôle significatif au juge national, qui devient le garant du juste équilibre entre l’efficacité de la gestion administrative et le respect des droits des usagers. Il lui reviendra de vérifier, au cas par cas, si la tarification appliquée ne rompt pas le lien de causalité raisonnable qui doit exister entre le service rendu et le prix payé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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