Le 30 mars 2023, la Cour de justice a précisé l’articulation entre le règlement Dublin III et la protection des victimes de la traite. Des ressortissants de pays tiers ont sollicité l’asile aux Pays-Bas alors que l’Italie demeurait l’État responsable de l’examen de leurs demandes. Parallèlement, ces demandeurs ont dénoncé des actes de traite pour obtenir un titre de séjour humanitaire sur le territoire néerlandais. Les autorités néerlandaises ont rejeté ces demandes et ordonné le transfert des intéressés vers l’Italie en application du règlement. Des recours furent introduits contre ces refus de séjour, entraînant la suspension de l’exécution des transferts selon le droit national. Le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), saisi en appel, s’est interrogé sur la compatibilité de cette suspension avec les délais impératifs du droit européen. Il s’agit de savoir si un recours étranger à la procédure de transfert peut valablement interrompre le délai de six mois. La Cour juge que si l’exécution peut être suspendue, le délai de transfert demeure en revanche strictement intangible.
I. La faculté nationale de suspendre l’exécution du transfert
L’examen de cette décision suppose d’analyser la marge de manœuvre laissée aux États membres dans la mise en œuvre des mesures d’éloignement.
A. La protection facultative des victimes de la traite La Cour souligne que la directive 2004/81 n’impose pas de suspendre un transfert au-delà du délai de réflexion initialement prévu. Elle précise que « la garantie de l’effectivité d’un recours exercé contre une décision rejetant une demande de titre de séjour » n’exige pas une telle mesure. L’État membre reste toutefois libre d’adopter des dispositions plus favorables pour renforcer la protection des victimes potentielles. Cette possibilité découle directement de l’article 4 de la directive, permettant aux autorités nationales d’accroître les garanties procédurales. Le juge européen valide ainsi le choix souverain d’accorder un effet suspensif à des recours administratifs ou juridictionnels.
B. Le respect de l’autonomie procédurale des États L’article 29 du règlement Dublin III mentionne que le transfert s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant. La Cour interprète cette référence comme impliquant « une certaine marge d’appréciation dans la définition des conditions d’exécution des décisions de transfert ». Cette autonomie permet d’intégrer des préoccupations humanitaires ou de sécurité publique au sein de la procédure d’éloignement. La suspension de l’exécution sert alors à garantir que le demandeur reste sur le territoire durant l’examen de sa situation personnelle. Cette souplesse administrative ne doit cependant pas porter atteinte aux règles de répartition des responsabilités définies par le législateur.
II. L’intangibilité des délais de transfert du règlement Dublin III
Si la suspension de l’acte matériel est admise, elle ne saurait affecter le décompte rigoureux du délai de transfert vers l’État responsable.
A. L’interprétation stricte des causes de suspension du délai Le règlement énumère limitativement les situations permettant de déroger au délai de six mois pour effectuer le transfert effectif. La Cour affirme qu’un recours contre une décision de séjour « ne saurait être considéré comme constituant un recours ou une révision » visé par l’article 27. Seules les procédures contestant directement la décision de transfert peuvent interrompre le délai de forclusion prévu par le texte européen. Les juges refusent d’étendre par analogie les exceptions légales à des litiges portant sur d’autres fondements juridiques. Une telle extension risquerait d’altérer la répartition des responsabilités entre les États membres de manière imprévisible.
B. La sauvegarde de l’objectif de célérité du régime d’asile Le régime d’asile européen repose sur une détermination rapide de l’État responsable pour garantir un accès effectif aux procédures. Permettre aux États de moduler les délais selon leur droit interne risquerait de « différer exagérément l’examen des demandes de protection internationale ». L’expiration du délai de six mois entraîne donc irrémédiablement le transfert de la responsabilité vers l’État membre requérant. Cette règle assure que les procédures de prise en charge ne sont pas retardées par des manœuvres administratives ou des recours parallèles. La célérité demeure le principe cardinal qui limite strictement les facultés de suspension offertes par l’autonomie procédurale nationale.