Cour de justice de l’Union européenne, le 30 novembre 2009, n°C-357/09

Par l’arrêt commenté, la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours de la durée maximale de la rétention d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, en application de la directive 2008/115/CE. En l’espèce, un ressortissant d’un pays tiers, après le rejet de sa demande d’asile, a été placé en rétention administrative en vue de son éloignement. Saisie d’un recours contestant la légalité de la prolongation de cette mesure privative de liberté, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur les modalités de calcul de la durée de rétention et sur les conséquences juridiques de l’épuisement du délai maximal autorisé. Le problème de droit soulevé portait ainsi sur la computation des différentes périodes de privation de liberté dans le calcul de la durée maximale de rétention et sur le caractère absolu ou relatif de l’obligation de libérer l’intéressé à l’expiration de ce délai. La Cour de justice consacre une interprétation stricte des garanties entourant la rétention, jugeant que le décompte doit inclure la plupart des périodes de détention liées à la procédure d’éloignement. Elle affirme surtout que l’expiration du délai maximal emporte une obligation de libération immédiate, quelles que soient les circonstances de fait. La décision clarifie ainsi le cadre temporel de la mesure de rétention (I) avant de consacrer le caractère impératif des garanties protégeant la liberté individuelle (II).

I. La délimitation rigoureuse du temps de rétention aux fins d’éloignement

La Cour de justice définit avec précision les périodes qui doivent être prises en compte dans le calcul de la durée maximale de la rétention, en opérant une distinction fondée sur la finalité de la privation de liberté. Elle adopte une approche extensive en intégrant les périodes antérieures ou connexes à la procédure d’éloignement (A), tout en excluant logiquement les placements relevant d’un autre régime juridique (B).

A. L’inclusion des périodes de rétention antérieures et connexes

La Cour affirme que le calcul du délai de rétention ne saurait être fragmenté. Elle juge que « la durée maximale de rétention qui y est prévue doit inclure la période de rétention accomplie dans le cadre d’une procédure d’éloignement initiée avant que le régime de cette directive ne soit d’application ». Cette solution assure une continuité dans la protection des droits du ressortissant, empêchant qu’un changement de cadre normatif n’ait pour effet de remettre à zéro le compteur de la durée de sa détention. La finalité de la mesure, à savoir l’éloignement, demeure inchangée, justifiant un décompte unifié pour garantir l’effet utile de la limitation temporelle.

Dans le même esprit, la Cour considère que la suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement due à un recours juridictionnel n’interrompt pas le calcul de la durée de rétention. Elle énonce que « la période pendant laquelle l’exécution de l’arrêté de reconduite forcée à la frontière a été suspendue en raison d’une procédure de recours juridictionnel introduite par l’intéressé (…) est prise en compte pour le calcul de la période de rétention ». Cette position est essentielle, car elle évite que l’exercice d’une voie de droit, garantie fondamentale, ne se retourne contre l’individu en prolongeant indéfiniment sa privation de liberté. La rétention reste justifiée par la seule perspective de l’éloignement, et sa durée doit donc continuer à courir tant que cette perspective subsiste.

B. L’exclusion des périodes de placement non liées à l’éloignement

La Cour opère une distinction nécessaire en fonction de l’objectif poursuivi par la privation de liberté. Elle précise que « la période durant laquelle une personne a été placée en centre de placement provisoire sur le fondement d’une décision prise au titre des dispositions nationales et communautaires relatives aux demandeurs d’asile ne doit pas être considérée comme une rétention aux fins d’éloignement ». La solution repose sur une différence de nature juridique entre les deux mesures. Le placement d’un demandeur d’asile vise à garantir le traitement de sa demande et obéit à un régime spécifique, distinct de celui de la directive 2008/115.

Cette dissociation est fondamentale car elle préserve la cohérence de chaque procédure. La rétention aux fins d’éloignement est une mesure de dernier ressort, strictement encadrée en raison de son lien direct avec une procédure de départ forcé. L’assimiler à une privation de liberté d’une autre nature affaiblirait les garanties spécifiques attachées à la directive « retour ». La Cour veille ainsi à ce que le calcul de la durée maximale de rétention ne s’applique qu’aux situations relevant explicitement du champ de cette directive, en fonction de la finalité de la mesure.

II. L’affirmation des garanties encadrant la fin de la rétention

Après avoir défini le périmètre temporel de la mesure, la Cour se concentre sur les conditions de sa cessation, en renforçant les garanties pour la personne retenue. Elle lie la poursuite de la rétention à l’existence d’une perspective réelle d’éloignement (A) et consacre le caractère absolu de l’obligation de libération à l’expiration du délai maximal (B).

A. Le contrôle subordonné à la perspective raisonnable d’éloignement

La Cour rappelle que la rétention ne peut être justifiée que si elle poursuit son objectif. Le concept de « perspective raisonnable d’éloignement » est ici central. La Cour lui donne une portée concrète en jugeant que « seule une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés (…) correspond à une perspective raisonnable d’éloignement ». Cette perspective disparaît « lorsqu’il paraît peu probable que l’intéressé soit accueilli dans un pays tiers eu égard auxdits délais ». La rétention ne peut donc se poursuivre si les chances de réussite de l’éloignement dans le temps imparti sont quasi nulles.

Cette exigence conditionne directement l’office du juge. La Cour précise que le mécanisme de contrôle juridictionnel « ne trouve pas à s’appliquer lorsque les possibilités d’allongement des délais de rétention (…) sont épuisées ». En d’autres termes, une fois que la durée maximale est atteinte ou sur le point de l’être sans qu’une issue soit trouvée, la base légale de la rétention disparaît. Le contrôle judiciaire ne peut servir à prolonger une situation dépourvue de justification, la privation de liberté devenant alors arbitraire.

B. La primauté de la libération immédiate à l’expiration du délai maximal

La Cour de justice tire la conséquence ultime de l’épuisement des délais de rétention. Elle énonce de manière péremptoire que la directive « ne permet pas, lorsque la période maximale de rétention prévue par cette directive a expiré, de ne pas libérer immédiatement l’intéressé ». Cette obligation de libération est inconditionnelle et ne saurait être écartée pour des motifs d’ordre pratique ou de comportement de l’individu. La Cour rejette explicitement les justifications tenant au fait que l’intéressé « n’est pas en possession de documents valides, qu’il fait preuve d’un comportement agressif et qu’il ne dispose pas de moyens de subsistance propres ».

Cette solution confère une valeur particulière à la décision. Elle établit une hiérarchie claire entre la garantie fondamentale de la liberté individuelle et les considérations administratives ou de sécurité. L’expiration du délai légal met fin de plein droit à la base juridique de la détention. Maintenir une personne privée de liberté au-delà de cette limite constituerait une violation du droit de l’Union, quelles que soient les difficultés rencontrées par l’État membre. La Cour affirme ainsi avec force que la durée maximale de rétention n’est pas un objectif mais une limite absolue, dont le dépassement est sanctionné par une libération impérative.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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