Cour de justice de l’Union européenne, le 30 septembre 2010, n°C-132/09

Par un arrêt en date du 30 septembre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les limites de sa propre compétence pour connaître d’un recours en manquement fondé sur la violation d’un accord international conclu par un État membre. En l’espèce, la Commission européenne avait engagé une procédure sur le fondement de l’article 226 du traité instituant la Communauté européenne, reprochant à un État membre de ne pas respecter les obligations financières prévues par un accord de siège relatif aux écoles européennes situées sur son territoire. Cet accord, conclu en 1962, visait à assurer auxdites écoles les meilleures conditions de fonctionnement et prévoyait notamment la prise en charge par l’État d’accueil des dépenses de mobilier et de matériel didactique.

La procédure a été initiée par la Commission après que l’État membre concerné a refusé de continuer à financer certaines de ces dépenses. Devant la Cour, cet État membre a soulevé une exception d’incompétence, arguant que l’accord de siège n’était pas un acte de droit communautaire et que la Cour ne pouvait donc pas statuer sur sa violation dans le cadre d’une procédure en manquement. La Commission soutenait au contraire que l’accord était intrinsèquement lié au fonctionnement des institutions et, de ce fait, relevait du champ du droit communautaire, notamment par son articulation avec l’article 10 du traité CE relatif au principe de coopération loyale.

La question de droit posée à la Cour consistait à déterminer si elle était compétente, sur la base de l’article 226 CE, pour sanctionner le manquement d’un État membre à des obligations découlant d’un accord international conclu en marge du traité, mais présentant des liens étroits avec les institutions de l’Union.

À cette question, la Cour répond par la négative, en déclarant le recours irrecevable. Elle juge qu’elle « est incompétente pour statuer sur le recours de la Commission européenne, introduit sur le fondement de l’article 226 CE, au motif que le Royaume de Belgique aurait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’accord de siège […] lu en combinaison avec l’article 10 CE ». Cette décision, qui délimite rigoureusement le champ d’intervention du juge de l’Union, repose sur une conception stricte de sa saisine (I), dont la portée révèle les limites du contrôle juridictionnel en matière d’obligations internationales souscrites en marge du droit de l’Union (II).

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I. L’affirmation d’une incompétence fondée sur la nature extracommunautaire de l’accord

La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse rigoureuse de la nature de l’acte juridique litigieux, en refusant de le rattacher artificiellement à l’ordre juridique de l’Union. Elle écarte d’abord l’argument d’une violation accessoire du droit communautaire (A), avant de confirmer que le statut de l’accord international prime sur la nature de la voie de droit utilisée (B).

A. Le rejet d’un rattachement accessoire au droit de l’Union

La Commission tentait de fonder la compétence de la Cour en invoquant la violation de l’accord de siège en combinaison avec l’article 10 CE, qui impose aux États membres un devoir de coopération loyale. L’argument consistait à suggérer que le non-respect de l’accord portait indirectement atteinte au bon fonctionnement des institutions et violait donc ce principe fondamental. La Cour écarte ce raisonnement en qualifiant le lien avec l’article 10 CE de subsidiaire. Elle relève en effet que « la prétendue méconnaissance de l’article 10 CE par [l’État membre] ne présente qu’un caractère accessoire par rapport au manquement allégué, lequel est relatif à l’accord de siège ». En d’autres termes, le cœur du litige ne se situe pas dans le non-respect d’une obligation issue du traité, mais bien dans l’inexécution d’un engagement international distinct. La Cour refuse ainsi que le principe de coopération loyale serve de fondement autonome pour attirer dans son champ de compétence des différends relatifs à des normes qui lui sont extérieures. Cette position préserve l’article 10 CE d’une application extensive qui en ferait un instrument de contrôle universel des agissements des États membres.

B. La primauté de la nature de l’accord sur la voie de droit

Le principal apport de l’arrêt réside dans l’extension de sa jurisprudence antérieure au cadre spécifique du recours en manquement. La Cour rappelle qu’elle s’était déjà déclarée incompétente pour interpréter la Convention de 1957 portant statut de l’école européenne, dont l’accord de siège de 1962 découle directement. Dans l’arrêt *Hurd* du 15 janvier 1986, elle avait jugé que cette convention, bien que liée au fonctionnement des Communautés, n’en constituait pas une partie intégrante. La nouveauté de la présente décision est de transposer explicitement cette solution, initialement rendue sur renvoi préjudiciel, à l’action en manquement de l’article 226 CE. La Cour affirme que cette appréciation « est également valable au regard de la procédure prévue à l’article 226 CE, dont l’objet ne peut viser qu’un manquement d’un État membre à l’une des obligations qui lui incombent en vertu du traité CE ». Par cette formule, elle établit clairement que le fondement matériel de l’obligation prime sur la nature procédurale de l’action. La compétence de la Cour dépend de la source de l’obligation violée, et non de l’outil juridictionnel mobilisé par la Commission.

Au-delà de cette application rigoureuse des principes de compétence, la décision invite à une réflexion sur sa valeur et ses implications pour l’ordre juridique de l’Union.

II. La portée d’une solution formaliste face aux réalités du fonctionnement institutionnel

En adoptant une lecture stricte de sa compétence d’attribution, la Cour de justice privilégie la sécurité juridique formelle au détriment d’une approche plus fonctionnelle (A). Cette position, bien que juridiquement orthodoxe, met en lumière une lacune potentielle dans le système de protection des intérêts liés à l’Union (B).

A. La primauté de la sécurité juridique sur l’intégration fonctionnelle

La Cour rejette les arguments de la Commission visant à démontrer que l’accord de siège aurait été implicitement intégré dans l’ordre juridique de l’Union. Elle écarte d’abord l’idée que la participation de la Haute Autorité de la CECA, puis de la Commission, au Conseil supérieur des écoles européennes aurait conféré à la Communauté la qualité de partie contractante à l’accord de 1962. Ensuite, elle réfute l’hypothèse selon laquelle la Convention de 1994, signée par la Communauté, aurait pu modifier le statut de l’accord antérieur. La Cour estime ainsi que « ni la consolidation alléguée de l’acquis de la convention de 1957 par la convention de 1994 […] ni la référence faite par cette dernière aux accords de siège ne sauraient modifier rétroactivement la nature juridique de l’accord de siège ». Ce faisant, la Cour adopte une position volontairement formaliste, attachée à la lettre des traités et au statut originel des conventions. Elle refuse de reconnaître une communautarisation rampante d’accords internationaux au motif de leur lien fonctionnel avec les institutions. Cette approche garantit la prévisibilité et la sécurité juridique, en application du principe de compétence d’attribution, mais elle peut paraître déconnectée des réalités pratiques du fonctionnement d’une organisation intégrée.

B. La mise en évidence d’une lacune dans le système de contrôle

La conséquence la plus notable de cet arrêt est de révéler une zone de fragilité dans l’architecture juridictionnelle de l’Union. En se déclarant incompétente, la Cour laisse sans sanction au niveau de l’Union le manquement d’un État membre à des obligations pourtant essentielles au bien-être de son personnel et de leurs familles. La Commission, en tant que gardienne des traités, se retrouve ainsi démunie pour faire respecter des engagements qui, sans être formellement communautaires, n’en sont pas moins indispensables au bon fonctionnement de l’écosystème institutionnel. L’arrêt souligne implicitement l’importance pour les institutions de s’assurer que les accords futurs de ce type soient soit directement conclus par l’Union, soit assortis d’une clause compromissoire expresse attribuant compétence à la Cour de justice. La décision illustre ainsi les limites du contrôle en manquement et la nécessité, pour garantir une protection juridique complète, d’intégrer formellement dans le giron de l’Union l’ensemble des instruments qui régissent son environnement direct.

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