Cour de justice de l’Union européenne, le 30 septembre 2020, n°C-233/19

Par un arrêt du 30 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la protection juridictionnelle accordée aux ressortissants de pays tiers en situation irrégulière et atteints d’une maladie grave. En l’espèce, une ressortissante d’un pays tiers s’est vu rejeter sa demande d’asile puis sa demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales, motivée par plusieurs pathologies sévères. En conséquence de cette dernière décision, une obligation de quitter le territoire lui a été notifiée, entraînant le retrait de l’aide sociale dont elle bénéficiait au profit d’une simple aide médicale urgente. La procédure engagée par l’intéressée devant le juge administratif pour contester la décision de retour étant dépourvue, en droit interne, d’un effet suspensif automatique, la juridiction du travail saisie du litige relatif à l’aide sociale a interrogé la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le droit de l’Union, et notamment la directive 2008/115 relative au retour, lue à la lumière de la Charte des droits fondamentaux, impose qu’un recours contre une décision de retour soit doté d’un effet suspensif de plein droit lorsque son exécution est susceptible d’exposer la personne à une dégradation grave et irréversible de son état de santé. À cette question, la Cour répond par l’affirmative, mais subordonne cette obligation à une double condition : l’argumentaire du requérant ne doit pas être manifestement infondé et le droit national ne doit pas prévoir d’autre voie de recours garantissant un tel effet.

La solution de la Cour établit ainsi un mécanisme de protection conditionné, fondé sur la garantie d’un recours effectif (I), dont la mise en œuvre renforce la portée de la protection des étrangers malades en affirmant la primauté du droit de l’Union sur les règles procédurales nationales (II).

I. La consécration d’un effet suspensif de plein droit conditionné

La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture combinée de la directive 2008/115 et de la Charte des droits fondamentaux, imposant la garantie d’un recours effectif en cas de risque sanitaire avéré (A), tout en définissant les contours du contrôle que le juge national doit opérer à cette fin (B).

A. La garantie d’un recours effectif en cas de risque sanitaire grave et irréversible

La Cour rappelle que si l’article 13 de la directive 2008/115 n’impose pas un effet suspensif systématique pour tout recours contre une décision de retour, les modalités de ce recours doivent néanmoins être conformes à l’article 47 de la Charte, qui garantit le droit à un recours effectif. Ce droit serait vidé de sa substance si l’exécution d’une décision administrative pouvait causer un préjudice irréparable avant même que le juge ait pu statuer sur sa légalité. La protection juridictionnelle doit donc être préventive pour être effective.

Le raisonnement se déploie en reliant cette exigence au principe de non-refoulement, garanti à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte. La Cour réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle ce principe s’applique lorsqu’il existe un risque réel de traitements inhumains ou dégradants. Elle juge que tel est le cas « lorsque l’exécution d’une décision de retour est susceptible d’exposer un ressortissant d’un pays tiers atteint d’une grave maladie à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé ». Dans une telle hypothèse, le recours contre cette décision doit impérativement être revêtu d’un effet suspensif de plein droit afin d’assurer l’effectivité de la protection garantie par la Charte.

B. Le contrôle marginal du juge national en l’absence de voie de recours adéquate

Ayant posé le principe d’un effet suspensif nécessaire, la Cour en précise les conditions d’application par une juridiction nationale, y compris celle qui n’est pas directement compétente pour statuer sur le fond du recours en annulation. Elle se garde d’imposer un effet suspensif inconditionnel pour tout recours, ce qui outrepasserait l’économie générale de la directive. La Cour opte pour une solution équilibrée en confiant au juge national une mission de filtrage.

Ce dernier n’est pas tenu de procéder à un examen complet et approfondi du risque sanitaire allégué, ce qui reviendrait à préjuger de l’issue du litige principal. Son contrôle est plus limité : il doit simplement vérifier si le recours « contient une argumentation visant à établir que l’exécution de la même décision exposerait ce ressortissant d’un pays tiers à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé, qui n’apparaît pas manifestement infondée ». Cette appréciation marginale permet de s’assurer du sérieux de la demande sans empiéter sur la compétence du juge du fond. En l’absence d’une voie de droit interne claire, prévisible et garantissant un tel résultat, tout juge national doit tirer les conséquences de cette suspension de plein droit.

II. La portée renforcée de la protection juridictionnelle des étrangers malades

En définissant les obligations du juge national en matière d’effet suspensif, la Cour de justice ne se contente pas d’interpréter le droit de l’Union ; elle en assure la primauté sur l’autonomie procédurale des États membres (A), offrant ainsi une solution pragmatique qui garantit une protection préventive et concrète (B).

A. L’affirmation de la primauté du droit de l’Union sur l’autonomie procédurale nationale

La portée de l’arrêt réside dans l’injonction faite à toute juridiction nationale, y compris une juridiction sociale, de laisser inappliquée une disposition de droit interne contraire aux exigences directement effectives de l’article 47 de la Charte. La Cour rappelle que le juge national, en tant qu’organe d’un État membre, a l’obligation d’assurer le plein effet du droit de l’Union. Il doit donc, même d’office, écarter les règles de procédure nationales qui feraient obstacle à la protection juridictionnelle effective.

Ainsi, la circonstance que la juridiction du travail n’est pas compétente pour statuer sur le recours en annulation de la décision de retour est indifférente. Elle doit néanmoins trancher la question préalable du caractère suspensif de ce recours pour statuer sur le droit à l’aide sociale dont elle est saisie. Cet arrêt illustre de manière significative le rôle du juge national comme juge de droit commun de l’application du droit de l’Union, contraint d’assurer la cohérence du système juridique et la protection des droits fondamentaux, même lorsque cela implique d’intervenir sur les effets d’une procédure relevant d’un autre ordre de juridiction.

B. Une solution pragmatique assurant une protection préventive et effective

Au-delà de sa portée institutionnelle, la décision apporte une réponse concrète et pragmatique à une situation humaine délicate. En subordonnant l’effet suspensif à une appréciation du caractère non manifestement infondé des griefs, la Cour établit un équilibre entre la nécessité de protéger les droits fondamentaux et l’objectif de bonne administration de la justice et de maîtrise des flux migratoires. Ce mécanisme prévient les recours purement dilatoires tout en garantissant que les cas potentiellement graves bénéficient d’une protection immédiate.

La dimension préventive de la solution est essentielle. Elle assure que le ressortissant malade ne sera pas privé de ses moyens de subsistance, matérialisés par l’aide sociale, pendant que la légalité de son éloignement est examinée. La suspension de la décision de retour neutralise la base légale du retrait de l’aide. Cette solution garantit ainsi l’effet utile non seulement du droit à un recours effectif, mais aussi du droit à des conditions de vie décentes, implicitement protégé par l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. La protection offerte n’est donc pas seulement théorique, mais bien tangible et immédiate.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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